Natasha Van Rijn (PNUD Mada): «Le chemin vers les ODD a été perturbé par la pandémie»
Depuis l’année 2021, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), met en œuvre un nouveau programme pays qui court jusqu’en 2023. Natasha van Rijn, représentante résidente du PNUD, nous donne un aperçu de ce cadre d’action qui se décline trois portefeuilles dont l’un concerne la croissance inclusive. À huit ans de l’année 2030 qui marque l’échéance pour les Objectifs de développement durable (ODD), elle soulève, également, les défis majeurs d’ordre national et global à relever pour rattraper le retard causé par la pandémie, entre autres. Interview.
En début de semaine, il y a eu l’atelier qui conclut une consultation nationale des femmes entrepreneures, initiée par le PNUD. Concrètement, en quoi consiste cette démarche? Quel est son objectif?
En fait, le PNUD travaille en étroite collaboration avec le secrétariat de la ZLECAF. C’est la Zone de libre échange pour le continent africain. Le secrétariat est actuellement sur une phase de réflexion pour la rédaction d’un protocole spécifique concernant les femmes dans le commerce. Ce que le PNUD Madagascar a voulu faire, c’est d’effectuer des consultations régionales avec les femmes malgaches, pour pouvoir prendre en compte leurs perspectives afin d’en faire part au secrétariat de la ZLECAF, pour que les perspectives et points de vue des femmes malgaches commerçantes et qui veulent l’être soient pris en compte dans les réflexions plus élargies. Cet événement a donc tenu pour partager les conclusions, les grandes recommandations de ces consultations. L’objectif était d’identifier les opportunités, mais aussi les contraintes liées aux activités des femmes malgaches dans le commerce extérieur et aussi, de dégager des recommandations spécifiques qui pourront ensuite, alimenter les réflexions régionales.
Quel est l’intérêt pour Madagascar d’adhérer à la ZLECAF?
Madagascar a signé l’accord ZLECAF le 21 mars 2018. Trente-six sur cinquante-quatre pays ont déposé leurs instruments de ratification. Madagascar n’est pas le seul à ne pas avoir déposé ce document. En gros, l’ambition de la Zone de libre échange est de regrouper l’ensemble des cinquante-quatre pays et de créer un marché unique qui serait composé de plus d’un milliards de consommateurs potentiels. Ce qui en ferait le huitième bloc économique du monde, avec un potentiel de PIB [Produit intérieur brut] extrêmement important de 3 000 milliards de dollars. Donc le but et l’enjeu est d’alléger les barrières de commerce pour apporter des opportunités économiques importantes pour les pays concernés, dont Madagascar.
Certaines des grosses pointures du secteur privé malgache sont, pourtant, réticentes à l’adhésion à la ZLECAF, au motif que système économique malgache ne serait pas prêt. Que Madagascar n’est pas suffisamment porté sur l’exportation afin de profiter pleinement de cette Zone de libre échange. Le moment est-il opportun pour adhérer à un tel dispositif, ou serait-il préférable d’effectuer des réformes et ajustements au niveau local, préalablement?
Dans tous les cas, y adhérer ou pas relève d’une décision du gouvernement malgache. Effectivement, ce n’est pas une décision qui peut être prise rapidement. Elle demande un certain nombre de conditions aussi bien au niveau national, que régional qui dépendent de plusieurs facteurs. Et certains de ces facteurs sont sortis, justement, durant les consultations régionales des femmes malgaches dans le commerce.
Evidemment, la prise d’une telle décision doit être préparée. Il y a des mesures d’accompagnement à envisager. ça dépend, aussi, de quel secteur on parle, puisque le marché est énorme. Je pense qu’il faut, effectivement, une réflexion et des préparations. Que ce n’est pas une chose que l’on fait du jour au lendemain.
Pourriez-vous nous donner des exemples de ces facteurs qui ont été soulevés durant les consultations des femmes entrepreneures?
Les consultations qui ont été effectuées dans toutes les régions du pays ont révélé un certain nombre de défis, mais également, des opportunités. Un des défis le plus important est le manque d’information pour celles qui sont des commerçantes et celles qui veulent le devenir. Si elles n’ont pas accès aux opportunités, par exemple, c’est parce qu’elles ne sont pas au courant. Il y a, aussi, les innovations et les technologies disponibles à Antananarivo, par exemple, qui ne sont pas forcément disponibles ou accessibles pour celles qui œuvrent dans le commerce ailleurs dans le pays. Je pense que ces défis sont, également, des opportunités dans le sens que si les informations ne sont pas là, on peut faire en sorte qu’elles soient disponibles. Pareillement, pour l’accès aux opportunités techniques.
Les femmes entrepreneures malgaches et plus largement, l’entrepreneuriat malgache est-il prêt pour faire face aux défis de cette nouvelle Zone de libre échange?
Je dirais, pourquoi pas. Si d’autres pays dans la zone sont prêts, si les filières et les commerçants sont prêts à tester certaines opportunités dans la région, je pense que les entrepreneurs malgaches le sont aussi, pour faire un premier pas dans ce sens. Comme je l’ai dit, ça ne se fera pas d’un jour à l’autre. Il y a plusieurs réflexions à faire au niveau national, bien sûr, mais je dirai que le potentiel est là.
En février, vous aviez eu une rencontre avec le ministre de l’Industrie. Vous aviez discuté du projet de pépinière industrielle. Concrètement, qu’est-ce que le PNUD peut apporter pour appuyer la concrétisation de ce projet?
Le PNUD vient d’adopter un nouveau programme pays pour la période 2021 – 2023. Ce programme pays concerne trois grands piliers thématiques, à savoir, la gouvernance, la croissance inclusive et le développement durable, et troisièmement l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Ce programme se traduit en trois grands portefeuilles. Un portefeuille programmatique sur la gouvernance, un deuxième sur la croissance inclusive et un troisième qui vise à mettre en action toutes les réflexions concernant quatre zones du pays, qui sont l’Androy, l’Anosy, Atsimo Andrefana et Analamanga. Dans le cadre du deuxième portefeuille, le PNUD a engagé avec le ministère de l’Industrie, un projet spécifique qui vise à tester et appuyer la croissance économique verticale et horizontale. Dans ce contexte, les zones de pépinières industrielles offrent une opportunité d’appuyer des filières spécifiques ou des zones spécifiques. Nous pensons et suite à cette réunion de février, nous avons trouvé qu’il y a une grande opportunité à saisir dans un soutien qui pourrait à la fois, mettre en oeuvre notre vision programmatique et appuyer la mise en place, au moins préliminaire, de certaines zones pépinières qui vont aussi soutenir la vision du ministère.
Sur un autre sujet, soutenir les actions pour l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), fait partie de la mission du PNUD. A huit ans de l’année 2030, qui est l’échéance indiquée, où en est Madagascar face aux dix-sept challenges des ODD?
Madagascar, comme d’autres pays, fait face à d’importants défis dans la mise en œuvre des ODD. Et cela s’est accentué à la suite de la pandémie causée par la Covid-19. Sur le plan global, le chemin vers les ODD en 2030 a quand même été perturbé par la pandémie. Donc nous avons beaucoup de travail à faire, même pour revenir à la situation d’avant la pandémie. Cela demande beaucoup de collaborations entre institutions et avec les gouvernements concernés afin d’y arriver. C’est quand même une tâche très importante. On ne peut pas, non plus, ne pas essayer. C’est vrai qu’avec les huit ans en face de nous, il y a beaucoup de travail à faire si l’on veut progresser vers l’atteinte des ODD en 2030.
L’insécurité alimentaire dans le Sud, la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles, ou encore, l’extrême pauvreté sont des fléaux toujours d’actualité à Madagascar. Y a-t-il d’autres secteurs où la Grande île doit encore faire de gros efforts pour, au moins, se rapprocher de ces ODD?
Je dirais qu’aux défis nationaux pour le pays, dont vous venez de soulever quelques-uns, viennent s’ajouter malheureusement des défis globaux. Le changement climatique est un problème qui nous concerne tous. Il n’y a pas de moyen de contourner cette question. Globalement, nous sommes tous impactés par ce grand challenge auquel il faut faire face. Cela touche également les ODD. En plus, il y a la pandémie qui a beaucoup affecté tous les pays du monde. Nous avons aussi vu récemment l’évolution de la situation sécuritaire entre l’Ukraine et la Russie, qui peut, éventuellement, avoir un impact économique global. Ces paramètres cumulés font que nous avons plusieurs défis auxquels il faut faire face. Mais, aussi, autant de raisons pour conjuguer les efforts de lutte contre la pauvreté qui peuvent s’accroître davantage avec ces éléments mondiaux et nationaux qui sont en cours.
Comment pourrait-on rattraper le retard causé par ces problèmes d’ordre national et global?
Je pense que nous vivons dans un moment extrêmement important. Ceci, dans le sens que si nous continuons avec le «business as usual» [poursuivre les mêmes pratiques, ne pas changer de méthode malgré les perturbations ou les difficultés], nous n’allons pas réussir. Nous sommes face à des défis tellement importants et interreliés, que nous sommes dans l’obligation de réfléchir autrement et d’essayer d’aborder les problèmes d’une autre façon. Ce qui implique d’ouvrir les réflexions vers des innovations, des approches qui ne sont pas forcément connues, mais qu’il faut tester, piloter pour pouvoir relever ces gros défis interreliés auxquels nous n’avions pas forcément fait face dans le passé.
Il y a déjà eu les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), avec comme échéance 2015, qui n’ont pas été atteints. À l’allure actuelle, les projections sont pessimistes pour l’atteinte des ODD en 2030. Une rallonge de l’échéance prévue, ou une nouvelle formule est-elle déjà envisagée?
Le Système des Nations unies est une entité où les décisions sont prises collégialement par les pays membres. Il appartient aux pays membres d’en décider. Ceci dit, les ODD est un engagement pris collectivement. Je ne pense pas que ce soit facile d’envisager une rallonge de cette échéance. Mais encore une fois, la décision revient aux Etats membres des Nations unies.
Vous avez parlé précédemment du nouveau programme pays du PNUD. En tant que partenaire au développement de Madagascar depuis un certain nombre d’années, le PNUD n’aurait-il pas une part de responsabilité dans la situation actuelle du pays?
D’abord, il faut peut-être souligner que le PNUD est ici en tant que partenaire, tout d’abord du gouvernement, ensuite, des institutions malgaches et la population. Nous faisons partie du système des Nations Unies qui compte plusieurs agences. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les autres partenaires techniques et financiers, c’est-à-dire les acteurs bilatéraux et multilatéraux. Tout cela, en appui tout d’abord au gouvernement de Madagascar pour avancer sur le chemin du développement. Donc si on prend la perspective de responsabilité, comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense que nous avons une responsabilité collective de faire une pause et de voir autour de nous que les défis du passé ne sont pas du tout les défis du futur. Nous avons des changements sociaux, que ce soit au niveau national ou international, tellement importants que nous devons nous regrouper et essayer de réfléchir sur un futur que nous ne connaissons pas et qui demande, de nous tous, une certaine innovation et des changements d’approche si nous voulons réussir.
Y a-t-il déjà des pistes de nouvelles méthodologies, de nouvelles démarches qui seraient en réflexion ou même déjà traduites en action sur terrain?
Il y en a plusieurs, mais je pense que le plus important, au cœur de toutes ces innovations, est qu’il y a une nouvelle demande, un nouveau besoin de pouvoir s’adapter à un changement social qui est très important et très rapide. Si on regarde le domaine de la technologie par exemple, il y a d’importantes transformations sur notre façon de communiquer et d’interagir sur le plan social. Cela nous impose des réflexions sur des solutions. Je mettrais au cœur de ma réponse le besoin de pouvoir s’adapter davantage à des changements au niveau social que nous ne connaissons pas encore. Toute innovation demande la capacité de changer d’approche et s’adapter rapidement à une nouvelle réalité.
(source: lexpress.mg)
