Conjoncture difficile – Les bailleurs de fonds font pression

Sans attendre les moutures du projet de loi de finances rectificative, les deux principaux bailleurs de fonds de Madagascar accentuent le quadrillage du terrain pour inciter le gouvernement à réagir en conséquence.
TOUS les principaux indicateurs macroéconomiques clignotent au rouge. Du moins si l’on en croit les Perspectives énoncées par la Banque mondiale. « Des analyses basées sur des évidences » s’empresse de préciser Marc Shocker, spécialiste de l’économie au Bureau de cette institution dans la capitale. Ainsi « la croissance devrait s’affaiblir en 2022, sous l’effet de la troisième vague de la pandémie au tournant de l’année, d’une saison cyclonique particulièrement active et de l’escalade du conflit en Ukraine. Selon les dernières projections de la Banque mondiale, cela entraînera un fléchissement de la croissance en 2022 à 2,6% tandis que l’inflation s’accélère à 7,5%, et que le déficit budgétaire se creuse à plus de 7% du PIB. La croissance devrait se redresser en 2023 pour atteindre 4,2%, grâce à un modeste rebond des dépenses de consommation et de l’investissement privé. La reprise attendue de l’activité économique se traduira par un faible recul du taux de pauvreté de la population qui passera à 80,2 en 2023 contre 81% aujourd’hui ».
Des prévisions pessimistes mais réalistes, sinon pragmatiques, vite reprises en boucle, par des médias internationaux qui y décèlent les difficultés du régime à gérer les crises successives de différentes natures. À la différence du Rwanda, par exemple, moins impacté par la pandémie du coronavirus, avec une économie diversifiée et assise sur des bases solides.
La Banque mondiale avance des options pour surmonter la tempête, avec un élan de réformes pour retrouver le chemin d’une croissance économique à même de réduire l’ampleur de la pauvreté qui heurte bien des esprits. Plusieurs priorités sont mises en avant comme urgentes dans cette note de Perspectives économiques.
Piqûre de rappel
Comme une stratégie claire pour accélérer la vaccination des personnes vivant en situation de vulnérabilité, dans les zones urbaines et touristiques, la restauration des services publics essentiels et des infrastructures de connectivité suite aux récents chocs climatiques,
des mesures fortes visant à réduire l’insécurité alimentaire et à stimuler la production nationale, des réformes de la tarification du carburant et de l’électricité, un nouvel élan pour booster l’accès au haut débit et aux services numériques, et davantage de transparence et de redevabilité dans le secteur public.
La Banque mondiale entend ainsi créer un écosystème propice à une croissance économique soutenue, inclusive et qui s’inscrit dans la durée. Mais tout le monde a pu mesurer avant- hier au Novotel, la longueur du chemin à parcourir. Sur le faible taux de vaccination, 4,6%, la directrice des opérations se demande : « Est-ce qu’il existe vraiment une spécificité malgache. Comment pourra-t-on réduire la pauvreté si les gens ne sont pas en bonne santé pour travailler ? » s’interrogeait-elle, dépitée mais avec une pointe d’ironie. Il est vrai, en guise de piqûre de rappel, que la Banque mondiale a mis le paquet sur la campagne de vaccination. Par une enveloppe de 100 millions de dollars pour acquérir des doses vaccins à lutter contre le coronavirus.
Ces révélations publiées une journée avant la fin de la seconde mission de revue de la Facilité élargie de crédit, FEC, par les émissaires du Fonds monétaire international, FMI, conduits par Frédéric Lambert étaient-elles autant de préparation psychologique de la population sur les pilules amères à avaler dans les prochains mois ? Ou un simple hasard du calendrier. En tout cas, même si aucune déclaration officielle n’a été faite sur les discussions avec l’équipe de Frédéric Lambert, trois tangentes sont incontournables. La hausse des prix du carburant, les efforts à consentir pour atteindre l’équilibre financier opérationnel de la Jirama, l’augmentation des recettes publiques. La transparence budgétaire et la bonne gouvernance s’y rattachent.
De l’appréciation de la délégation du FMI dépendra de la décision de son Conseil d’administration pour l’éventuel décaissement de la troisième tranche de la FEC, qui sera cette fois-ci affectée à l’aide à la balance de paiement. Dans la pure tradition du FMI. Les deux précédentes, à la demande de la partie malgache, ont été comptabilisées au titre des aides budgétaires. Il faudra alors attendre le fameux communiqué de Frédéric Lambert pour être fixé. Le Conseil des ministres de mercredi n’a même pas effleuré le sujet. Pourtant d’une importance capitale.
Rapport de la banque Mondiale: «La pauvreté résulte de plusieurs paramètres»
Durant la présentation des perspectives économiques de Madagascar, hier au Novotel, des hauts responsables de la Banque mondiale ont donné des réponses aux interrogations sur ses aides financières.
Cartes sur table. Les yeux dans les yeux. Idah Z. PswarayiRiddihough, directrice des opérations de la Banque mondiale pour les Comores, Madagascar, Maurice et le Mozambique, Marie-Chantal Uwanyiligira, représentante de la Banque mondiale à Madagascar, Marc Stocker, économiste principal, Ibrahim El Ghandour, spécialiste en gouvernance, tous deux du bureau de Madagascar, ont mis les choses au clair sur les interventions de cette institution financière, cible des récriminations ces derniers temps.
C’était hier au Novotel d’Alarobia au cours de la présentation des perspectives économiques de Madagascar pour cette année, encore marquée par la pauvreté grandissante de la population.
Voilà des années que la Banque mondiale octroie des millions de dollars. A contrario, le taux de pauvreté de la population n’a cessé de croître. Comment expliquez-vous ces contradictions. Les projets que vous financez sont-ils en cohérence avec les besoins réels du pays?
Idah Z. Pswarayi-Riddihough. Le montant des aides importe peu. La Banque mondiale fait des analyses, effectue des études. Elles sont présentées au gouvernement avec des recommandations et des options. Il appartient aux autorités d’en décider. Il s’agit d’un travail commun sous forme de partenariat. Si nous insistons sur les réformes structurelles, ce n’est pas pour le plaisir de tout changer de fond en comble. Mais dans l’objectif d’obtenir des résultats différents, des impacts tangibles sur le terrain. La pauvreté n’est pas une chose isolée, mais la résultante de nombreux paramètres interdépendants. Aussi nous devrions trouver des solutions et non pas une.
Pourquoi les décaissements des fonds de la Banque mondiale interviennent-ils plusieurs mois après la signature officielle de leurs allocations? Le régime, à quelques mois des élections présidentielles, est-il prêt à poursuivre ces réformes ?
Marie-Chantal Uwanyligira.
Je m’excuse mais ma réponse peut froisser certaines susceptibilités. Cette longue attente a pour origine la lenteur procédurière. Après la signature d’un accord de crédit, il faut passer par vingt sept étapes pour décaisser. Des projets attendent dix à onze mois pour être entamés. Je tiens à préciser que la Banque mondiale n’impose jamais des conditionnalités de mise en vigueur. Pour la seconde partie de la question, il appartient au gouvernement de répondre. Étant une Rwandaise, je peux témoigner que mon pays, cité aujourd’hui comme un exemple de réussite en matière de développement socio-économique, a mis vingt-cinq ans pour boucler les réformes. Qu’il faudra mener à leurs termes pour qu’elles puissent produire des résultats. À titre d’illustration, lors du diagnostic du secteur privé, il a été indiqué que Madagascar possède des atouts pour l’économie digitale. Mais comment démocratiser l’internet avec un faible taux d’accès à l’électricité? D’où la nécessité de réformer le secteur de l’ énergie. La Banque mondiale y a consacré beaucoup de temps.
Avez-vous les moyens de contrôle des dépenses gouvernementales de vos appuis financiers ?
Marie Chantal Uwanyligira. Je pense que nous avons des instruments efficaces et efficients pour mener des audits sur les résultats des projets. Nous avons déjà exigé le remboursement illico des dépenses jugées inéligibles suivant les termes du contrat. La Cour des comptes a aussi publié ses appréciations sur nos contributions. Sur cet aspect là, nous avons ce qu’il faut pour scruter les affectations de nos aides financières. Indépendamment des outils gouvernementaux.
À propos des subventions de la Jirama, quelle est la position de la Banque mondiale ?
Idah Z. PsawaraviRiddihough. J’ai eu déjà l’occasion d’en parler. Je ne reviendrai plus sur mon exposé. Mais comment voulez-vous réduire le taux de pauvreté de la population avec un taux d’accès à l’électricité de 15%? Alors que les autres pays pairs, en moyenne, arrivent à 47%. Ces subventions ont aussi des effets secondaires sur les finances publiques. Le système de tarification Optima vise à permettre à la Jirama d’atteindre l’équilibre financier opérationnel. Auparavant les plus riches payaient moins que les plus pauvres. D’où le concept d’optimisation. Encore une fois, nous suggérons des options. Aux autorités de faire ou de ne pas faire le nécessaire. Il faudra une coalition pour la croissance afin de lutter contre cette pauvreté. Il est important de s’approprier des réformes avancées.
(source: lexpress.mg)