France: La dissolution de l’Assemblée nationale a de quoi inquiéter pour ces trois raisons

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Le coup de poker d’Emmanuel Macron offre un cadeau au RN, dans un contexte où la Macronie et la gauche sont en difficulté pour rivaliser.

LUDOVIC MARIN / AFP Emmanuel Macron lors de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin.

POLITIQUE – Les amateurs de poker connaissent bien cette situation, un brin alarmante. Acculé par des cartes faibles et un flop désastreux, le joueur voit ses espoirs de gain se réduire dangereusement après un tournant malheureux. Sa stratégie pour survivre ? Faire tapis, en espérant que la rivière déjouera les probabilités. Voilà comment pourrait se résumer la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée dimanche 9 juin, dans le sillage de la gifle électorale ayant porté l’extrême droite à près de 40 %.

Car en convoquant des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet, le chef de l’État prend le risque du saut dans l’inconnu, puisque c’est le Rassemblement national qui se présente en favori pour poser ses valises à Matignon et former un gouvernement. Soit l’installation de l’extrême droite au pouvoir, dans un contexte où celle-ci conquiert d’autres capitales en Europe, à l’image de l’Italie de Giorgia Meloni.

Voici donc trois raisons qui rendent cette perspective, découlant de la dissolution, inquiétante.

1. L’extrême droite propulsée

Prenons d’abord deux faits. Quatre électeurs sur dix ont fait, ce dimanche 9 juin, le choix de l’extrême droite. Un autre chiffre : en un an, Jordan Bardella est devenu la deuxième personnalité politique préférée des Français, talonnant l’ancien Premier ministre Édouard Philippe. Des données qui montrent que les semaines écoulées ont contribué à légitimer le parti lepéniste, et que cette dynamique pourrait très bien se reproduire lors des prochaines élections législatives.

Faisons maintenant des suppositions. Si le RN obtient la majorité le 7 juillet, le président du RN sera nommé à Matignon, et devra donc former un gouvernement. Santé, Économie, Finances, Intérieur… Tous ces ministères passeront sous le giron d’un parti inexpérimenté dont l’accession au pouvoir constituerait une rupture dans l’histoire du pays.

Sur les réseaux sociaux, on voit émerger une (fumeuse) théorie. Pour contrer l’extrême droite, Emmanuel Macron aurait pris le pari de proposer aux Français d’aller au bout du processus. Avec un double objectif :

dire aux électeurs qu’ils sont maintenant libres de confirmer et de (vraiment) mettre le RN au pouvoir. En espérant démontrer l’incompétence du parti à la flamme car il considère que ses propositions populistes se fracasseront sur les réalités du pouvoir ; disqualifiant ainsi Marine Le Pen pour 2027.

Rien n’est plus faux. Et c’est l’incapacité de la Macronie à endiguer la montée du vote RN qui en témoigne. Depuis sept ans, Emmanuel Macron et les siens affirment que la condamnation morale est inutile, qu’il faut cibler en priorité l’inaptitude du parti lepéniste à gouverner. Un échec cuisant, confirmé par la loi immigration, dont les positions les plus dures ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Le camp présidentiel pensait ainsi que démonstration avait été faite de l’incurie du principe de priorité nationale. Il a, au contraire, donné du grain à moudre au RN qui réclame de longue date une révision de la Constitution pour l’instaurer. Il en serait de même de deux ans de Bardella au pouvoir. Même en cas d’échec, il aura beau jeu d’expliquer qu’il était impossible d’appliquer son projet dans le cadre d’une cohabitation. Marine Le Pen se frotte les mains.

2. La Macronie démunie

Souvenons-nous : faire baisser le vote RN était le serment d’Emmanuel Macron le soir de sa victoire en 2017. Non seulement cela n’a pas marché, mais c’est l’inverse qui s’est produit. La raison ? L’incapacité du camp présidentiel à se positionner face à cet adversaire. Tiraillée entre la volonté de ne pas froisser ses électeurs, tout en se revendiquant d’un camp progressiste hostile au RN, la Macronie a souvent envoyé des signaux contradictoires, légitimant parfois le parti de Marine Le Pen.

Comme lorsque les troupes présidentielles ont accepté d’accorder des postes à responsabilité à l’Assemblée nationale ou que la porte-parole du groupe Renaissance, Maud Bregeon, a assumé faire un lien entre immigration et délinquance, à rebours de ce que disait sa tête de liste. Résultat : personne ne sait vraiment chez les macronistes quelle est la bonne réponse à apporter. À ce sujet, les images tournées par TF1 au QG de Valérie Hayer quelques minutes avant l’annonce sont éloquentes. On y voit une série de militants Renaissance rejeter en bloc le scénario d’une dissolution. « S’il dissout, ça va être une catastrophe », anticipe l’un d’eux.

Preuve que les troupes macronistes ne savent plus à quel saint se vouer. Empêtré dans son incapacité à tracer le périmètre du « champ républicain », comprenant parfois La France insoumise, et parfois non (ce qui a diabolisé LFI et dédiabolisé le RN), le camp présidentiel a peu d’armes pour contrer la progression du parti présidé par Jordan Bardella. On mesure bien le risque de cette situation à trois semaines d’élections législatives anticipées et au surlendemain d’une crise agricole.

3. La gauche divisée

Six. C’est le nombre de jours qu’il reste à la gauche pour s’unir. Selon les résultats définitifs, le total de toutes les forces de gauche atteint 31,6 % des suffrages exprimés. Sur le papier, on se dit que c’est dans cet espace qu’est le barrage à l’extrême droite. Sauf que, à ce stade, rien ne permet de dire que toutes les composantes parviendront à s’entendre. Car si les insoumis, les socialistes, les écolos et les communistes ont décidé de se rencontrer, la perspective d’une alliance électorale apparaît fragile.

En cause, la volonté des insoumis de rejouer le match de la NUPES, ce qui est perçu par les autres forces comme un alignement contraint derrière Jean-Luc Mélenchon, dont les orientations et les méthodes ont contribué à l’explosion de la coalition de gauche à l’automne. En outre, Raphaël Glucksmann, qui est arrivé en tête dans le match à gauche, a déjà appelé à une alliance entre le Parti socialiste et les écologiques, mais sans les insoumis.

Il faut dire que, durant la campagne européenne, le fondateur de Place Publique a littéralement été pilonné par LFI. Pas évident, derrière, de recoller les morceaux après tant d’animosité exprimée à (très) haute voix, si tant est qu’il soit possible de réunir tout ce petit monde derrière une bannière commune après les divisions étalées au grand jour au sujet de la situation à Gaza. Autant de difficultés qui, pour le moment, ne laissent que peu d’espoir sur la capacité de la gauche à empêcher une victoire du RN au mois de juillet. Avec, comme vu plus haut, toutes les répercussions que ce séisme électoral engendrerait, dans l’immédiat, comme en 2027.

(source: huffingtonpost.fr)

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