Les Betsimisaraka aux XVIII-XIXe siècles : une population maritime obligée de tourner le dos à la mer

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Dans la première moitié du xviiie siècle, le malata (mulâtre ou métis) Ratsimilaho réussit à regrouper sous son autorité, les différents groupes claniques de la côte est. Le nouveau chef qui cherche à fonder une dynastie se donne le nom de Ramaromanompo (celui qui a de nombreux sujets), et la population qui essaie de renforcer son unité récente, celui de Betsimisaraka (les nombreux qui ne se séparent pas).
Une nouvelle entité socio-politique fait alors son apparition sur la scène malgache, en contrôlant la bande côtière qui s’étend, grosso modo, du nord de la baie d’Antongil jusqu’au sud de Mahanoro. Mais cette confédération betsimisaraka, les descendants de Ratsimilaho n’ont pas réussi à la transformer en monarchie unitaire. La cupidité des traitants étrangers et l’égoïsme des chefs claniques attisent les rivalités et provoquent la multiplication des guerres intestines. Les Betsimisaraka restent donc divisés même si parfois, ils s’entendent pour monter des expéditions communes dans le but de piller les Comores, et même la côte orientale d’Afrique.
Les butins que ces pirates ramènent, les articles que les Européens apportent, les marchandises qui viennent des Hautes Terres et de la côte nord-ouest, et les produits de la côte orientale elle-même, font qu’au début du xixe siècle, le littoral betsimisaraka apparaît comme la première zone commerciale de Madagascar. En 1817, Radama Ier roi de l’Imerina dans sa volonté d’unifier l’île, soumet cette région riche et prospère, et avec l’aide des Anglais, il met fin aux expéditions maritimes des Betsimisaraka. L’oligarchie qui, après sa mort, exerce effectivement le pouvoir, s’efforce, grâce à une série de mesures, d’écarter ces derniers des activités rémunératrices, et de les détourner de la mer.

A la fin du xviie siècle, des pirates, chassés des Antilles et d’Amérique sont venus opérer dans l’océan Indien et ont choisi la région comprise entre Tamatave et Diego-Suarez comme base de leurs opérations. Ils s’y ravitaillent en vivres et y apportent leurs prises. Ils contribuent ainsi à la prospérité des ports de la baie d’Antongil, de l’île Sainte-Marie, de Fénérive, de Foulpointe et secondairement de Tamatave, et à la puissance des clans dont ils épousent les filles.

Les Tsikoa, habitant la zone située au sud de Tamatave et donc, à l’écart du commerce, partent à la conquête des ports du nord qui, selon eux, regorgent de richesses.

Les mobiles de Ratsimilaho qui arrive à se faire reconnaître chef des Antavaratra sont à la fois de recouvrer l’indépendance et de reprendre les ports, sources de richesse et de puissance. Mais si les chefs des clans du nord ont uni leurs forces pour combattre et chasser les Tsikoa, ils se sont très vite opposés les uns aux autres pour ne pas partager les bénéfices qu’ils retirent des ports. Ainsi, l’apparition de la population betsimisaraka et son incapacité à conserver son unité peuvent être considérées comme le résultat de la volonté des hommes de contrôler et de monopoliser les activités commerciales florissantes de la côte est.
Au xviiie siècle, cette population profite d’un environnement favorable au développement d’une vie maritime. L’abondance et la beauté des bois, surtout dans la baie d’Antongil et l’île Sainte-Marie, lui permettent de construire deux sortes de pirogues. Les unes d’un seul tronc plus ou moins gros sont creusées par le moyen du feu et façonnées ensuite par les deux bouts. Il y en a « de fort grandes dans lesquelles on aurait pu tenir de quinze à vingt personnes fort à l’aise, et qui auraient été capables de porter un tonneau… Les autres pirogues sont faites en planches et beaucoup plus grandes que les autres puisqu’elles peuvent porter de quatre à cinq tonneaux ». Dans cette zone orientale, compartimentée par des rivières qui coulent d’ouest en est, la pirogue est le moyen de transport par excellence. Ainsi, toute une flotille d’embarcations remonte et descend les cours d’eau, ou parcourt le littoral. La mer est la voie la plus rapide, et relativement la plus aisée pour aller du sud vers le nord ou vice versa.
Le commerce, tout naturellement, se développe dans cette zone située sur la route des Indes et à proximité des Mascareignes. Les bateaux qui relient l’Europe à l’Inde y relachent pour se ravitailler en eau et en vivres. Ceux de l’île-de-France et de l’île Bourbon y viennent prendre surtout du riz et des bœufs que les Betsimisaraka troquent, la plupart du temps, contre des armes et de la pacotille. Ainsi sollicités, ces derniers multiplient et intensifient les activités qui alimentent le commerce maritime.
La forêt est plutôt saccagée qu’exploitée méthodiquement, non seulement pour fournir le raphia, la cire, le bois, recherchés par les étrangers, mais aussi pour augmenter la surface cultivée en riz, un des principaux produits d’exportation du pays. En dépit de conditions écologiques peu favorables, l’élevage bovin se développe pour répondre à la demande des Mascareignes. Malgré cela, la production de la côte orientale reste insuffisante. Aussi, les Betsimisaraka, de leur propre initiative, ou bien parce qu’ils sont au service des traitants ou de Benyowsky, installés chez eux, se tournent-ils vers l’intérieur des terres et vers la côte nord-ouest. De l’Antsihanaka leur arrivent du riz et surtout des esclaves dont la plupart proviennent de l’Imerina. La côte nord-ouest leur envoie bœufs et esclaves dont certains sont des Masombika importés d’Afrique. Partenaires des étrangers, ou intermédiaires entre eux d’un côté, et les Sihanaka et Sakalava de l’autre, les Betsimisaraka jouent un rôle important dans la traite du xviiie siècle. A Madagascar, ils sont, à l’époque, les premiers fournisseurs des Mascareignes en esclaves. Pour se procurer des esclaves qu’ils espèrent nombreux et à bon marché, les traitants français poussent les Betsimisaraka à s’entre-déchirer. C’est ainsi qu’en 1772, le capitaine du navire La Concorde a aidé Iavy — petit-fils de Ratsimilaho et roi de Foulpointe à razzier les Fariavahy,un groupe ambanivolo (sous les bambous, c’est-à-dire de l’intérieur) en mettant à sa disposition un canon et en lui promettant de payer 35 piastres un esclave.
En 1781, une seconde rafle a été opérée et a produit 1 500 prisonniers, dont 150 seulement ont été livrés pour la traite. Mais les autorités françaises des Mascareignes font pression sur les chefs malgaches pour faire cesser ces razzias qui ruinent le pays et perturbent le commerce de traite. Très vite, les Betsimisaraka se font pirates et, entre 1790 et 1820, viennent à intervalles réguliers et par bandes de plusieurs dizaines d’embarcations, razzier les îles Comores et parfois la côte orientale africaine, capturant surtout des femmes et des enfants qu’ils vendent aux Européens ou qu’ils gardent à Madagascar comme esclaves.
Ces pirates, hardis navigateurs, utilisent de frêles pirogues dont les bordages de certaines sont liés par des tresses, et qui peuvent porter 20 hommes ou plus.
(HORIZONS MARINS, ITINÉRAIRES SPIRITUELS (VE-XVIIIE SIÈCLES). VOLUME II, Manassé Esoavelomandroso p. 289-294)

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