William Ruto, président du Kenya : « Les tensions entre Nord et Sud sont tout aussi stériles que celles entre les Occidentaux et la Chine »

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Présent à Paris au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 juin, le président kényan évoque, dans un entretien au « Monde », la guerre en Ukraine, le financement de la lutte contre le changement climatique et le remboursement de la dette.

Le président du Kenya, William Ruto, au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, à Paris, le 23 juin 2023. LEWIS JOLY / AFP

William Ruto a été élu président du Kenya fin 2022. Il dirige un pays en grande difficulté financière, de quelque 57 millions d’habitants. Cet ancien homme d’affaires était à Paris à l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, les 22 et 23 juin, organisé par la France pour tenter de relancer les liens entre pays du Nord et du Sud, mis à rude épreuve par la guerre en Ukraine.

Regrettez-vous que la guerre en Ukraine ait déplacé l’attention des grandes puissances des conflits en Afrique ?

Bien sûr, l’attention des Etats-Unis et des pays européens à nos problèmes a diminué, car ils se concentrent sur la guerre en Ukraine. Par exemple, au sujet du conflit qui se déroule dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), nous manquons de soutien. Le Kenya finance seul la présence de deux mille soldats. Nous entraînons les soldats congolais à nos frais. Cette attitude est offensante car elle nous laisse penser que certains conflits, certaines vies, sont plus importants que d’autres. Au Soudan, les Occidentaux font là aussi preuve d’une attention insuffisante, alors que la situation pourrait dégénérer en génocide.

La guerre en Ukraine a révélé un fossé important entre le Nord et le Sud, comment l’analysez-vous ?

Je ne suis pas d’accord. Nous sommes tous du même côté. C’est ce qui doit nous conduire à trouver une résolution pacifique. Ce conflit affecte l’Afrique : les céréales, les engrais, toutes les chaînes d’approvisionnement sont menacées par la guerre. Il touche aussi l’Europe, au point de remettre en cause les engagements qui avaient été pris pour lutter, entre autres, contre le dérèglement climatique. Plusieurs pays, comme le Royaume-Uni, ont renoué avec le charbon. Nous repartons en arrière.

Nous sommes tous membres des Nations unies, dont nous avons signé la charte. Celle-ci nous oblige à respecter – que nous aimions les frontières que nous avons ou pas – l’indépendance et l’intégrité des Etats. Nous sommes tous attachés à un mécanisme de résolution des conflits qui passe par le dialogue et c’est pour cela que plusieurs chefs d’Etat africains [dont le président sud-africain, Cyril Ramaphosa] ont pris l’initiative de se rendre à Kiev et à Moscou mi-juin.

Etait-ce le bon moment pour lancer cette initiative africaine alors que l’Ukraine mène sa contre-offensive pour récupérer les territoires occupés par les forces russes ?

Il n’y a pas un bon ou un mauvais moment pour prendre une initiative de paix. Les attentes étaient bien sûr plus élevées que les résultats obtenus. Personne ne sait où va cette guerre mais, au moins, nous avons pu dire qu’elle doit cesser.

Certains de vos homologues du Sud, comme Cyril Ramaphosa ou le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, ont des mots beaucoup plus durs que vous sur la responsabilité des pays occidentaux, par exemple en matière de réchauffement climatique. Ont-ils tort ?

Ce qu’ils disent est vrai. Le Nord est largement responsable des dégâts provoqués par le changement climatique, et le Sud, y compris l’Afrique, en supporte les conséquences alors qu’il y a très peu contribué. C’est aussi vrai que la promesse de verser 100 milliards de dollars [91,83 milliards d’euros] par an aux pays en développement pour les aider à s’adapter et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre n’a pas été tenue.

Mais nous sommes dans cette posture d’accusation depuis tant de temps et il n’en est rien sorti de concret, alors c’est le moment de changer, de cesser de blâmer et de trouver une solution qui profite à tous. C’est mon approche. Les tensions entre Nord et Sud sont tout aussi stériles que celles entre les Occidentaux et la Chine. Nous ne devons pas nous considérer comme des victimes. Et l’Afrique a des idées à mettre sur la table dans cette discussion.

Lesquelles ?

Nous pensons, par exemple, qu’il faut cesser de vouloir régler un problème global avec des instruments décidés au niveau national. Cela ne marche pas, car l’intérêt national prime toujours sur les biens publics mondiaux comme le climat. Le changement climatique, avec ses inondations, ses sécheresses, ses cyclones, ravage le monde. C’est notre problème à tous, comme l’a été la pandémie de Covid-19 et comme l’est la guerre en Ukraine.

Nous, pays du Sud, nous avons un problème supplémentaire : nos conditions d’emprunt pour financer notre développement sont huit fois plus coûteuses que celles du Nord. Nous demandons de mettre en pause le remboursement du service de la dette pendant une période de dix ans et de rééchelonner la dette elle-même sur une période de cinquante ans afin de pouvoir faire face à nos besoins dans les domaines de l’éducation, de la santé. Chaque année, le Kenya verse 5 milliards de dollars pour le service de sa dette. Sur dix ans, cela ferait 50 milliards, c’est bien davantage que ce que nous pouvons espérer auprès du Fonds monétaire international.

Mais il est précisément question de réformer le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour accroître leurs moyens financiers…

Nous avons emprunté 3 milliards de dollars à la Chine pour financer un projet ferroviaire de 700 kilomètres. Cela nous a pris quelques mois de négociations, mais si nous nous étions tournés vers la Banque mondiale, cela aurait pris dix ans. Ces institutions internationales sont inefficaces, trop bureaucratiques, et nous ne parviendrons pas à les transformer, car leurs principaux actionnaires ne veulent pas perdre le pouvoir de poser leurs conditions pour accorder de l’argent aux pays les plus pauvres.

Il faut créer une nouvelle institution consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique qui soit capable de répondre à l’urgence de la situation. Elle doit être dotée de ressources nouvelles, à l’échelle des besoins, et, pour cela, nous devons créer une taxe mondiale sur le carbone. Au Kenya, nous dépensons chaque mois 500 millions de dollars pour acheter des produits pétroliers. Nous voulons qu’ils soient taxés. C’est la seule façon de lever assez d’argent pour atteindre l’objectif de zéro émission nette en 2050. Nous voulons une institution de membres égaux et nous paierons notre part, car nous voulons avoir le droit de parler et de décider comme les autres. Si nous ne faisons pas cela, cette planète va couler. Le Nord avec le Sud, ensemble.

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