savonnerie
À la mémoire d’André Ramaroson
Avant de choisir le thème de la Chronique du jour, je m’étais demandé quel était plus important : évoquer un énième scandale dont ce régime semble avoir fait sa marque déposée; ou parler du décès d’André Ramaroson qui, toute sa vie de capitaine d’industrie, n’avait cessé de plaider et agir pour le «Vita Malagasy». Que la rubrique «faits divers» tienne lieu d’actualité politique et économique d’un pays, on sait que c’est la fin des valeurs dans lesquelles nous avons été éduqués. Je choisis de privilégier l’exemple d’un industriel tenant du «patriotisme économique» : une certaine idée de ce à quoi on refuse de renoncer, en même temps qu’outil pour sauvegarder ce qui reste de civilisation à notre société en crise économique et morale profonde. Et sur le mode de Jean-Joseph Rabearivelo, à son ami Jacques Rabemananjara: «Je te passe le flambeau. Tiens-le bien haut».
«Il n’est pas logique que l’État taxe les matières premières pour la fabrication locale des bondillons, alors qu’il baisse les droits de douanes à l’importation de bondillons sans valeur ajoutée à Madagascar». En une phrase, le combat de longue haleine qui était devenu celui d’une vie. Il y a dix ans, la «Savonnerie tropicale», dont André Ramaroson était le président-fondateur, brandissait des chiffres accusateurs : l’importation de bondillons et copeaux était passée de 595 milliers USD en 2012, à 5086 milliers USD en 2014. Face aux savons importés au prix de la matière première, le préjudice a été constaté par la «Savonnerie tropicale» dans la baisse des dons remis à la Croix-Rouge, alimentés par la retenue de 10 Ariary sur chaque barre de savon Nosy parfum citronnelle vendue : 2.714.540 ariary (en 2011), 1.820.680 ariary (en 2015).
André Ramaroson est mort dans la solitude orgueilleuse qu’on prête aux incompris. Son coup de semonce de chaque 20 novembre, en la journée internationale de l’industrialisation, n’a jamais rencontré l’écho de sa pleine page d’insertion dans les journaux. J’ai retrouvé celui du 20 novembre 2015, que la Savonnerie Tropicale allait reprendre intégralement, à la veille de l’examen du projet de loi de finances pour 2020.
«Halte à la tromperie» en était le titre. Y étaient dénoncés les «pseudo-savonniers (…) opportunistes qui essaient encore de faire passer les bondillons de savons, qui sont des savons sous autres formes, pour des matières premières et bénéficier ainsi d’un avantage compétitif par la tromperie voire les fraudes». Et la supercherie ainsi détaillée : «avoir fait rentrer ces bondillons en 2010 et 2011, sous la nomenclature douanière 34 02 19 10 pour bénéficier des droits de douanes à 5%, sous le prétexte fallacieux que ce sont des granulés alors qu’ils devaient être sous la nomenclature idoine : savons sous autres formes 34 01 20 00, avec 20% de droits de douanes à payer». Sujet d’une grande actualité alors que des sociétés importatrices qui voulaient faire passer de l’huile raffinée (10% de droits de douanes) pour de l’huile brute (5% de droits de douanes) viennent d’être condamnées à de l’emprisonnement et des milliards d’amende.
Si de fausses matières premières mais vrais produits semi-manufacturés inondent le marché, sans être surchargées d’une taxe protectionniste, le pays, avant même que d’avoir franchi l’étape qualitative de «l’agriculture comme base» et d’atteindre la phase de «l’industrie comme moteur», va déjà vers la «désindustrialisation» que la «Savonnerie tropicale» dénonce sans relâche pour sa filière : délocalisation de la fabrication, assassinat du savoir-faire industriel local du «Tena Vitantsika Malagasy».
