soeur Marie Lataste
La grâce et les Vertus Théologales
Soeur Marie Lataste (1822 – 1847)
mystique catholique
Joindre l’utile au … Nécessaire !

Yahweh dit à Moïse: « Va vers Pharaon, car j’ai appesanti son coeur et le coeur de ses serviteurs, afin d’opérer mes signes au milieu d’eux, et afin que tu racontes aux oreilles de ton fils et du fils de ton fils quelles grandes choses j’ai faites en Egypte et quels signes j’ai opérés au milieu d’eux; et vous saurez que je suis Yahweh. » (Exode 10, 1-2)
Livre 8
La grâce et Les Vertus Théologales
édition numérique originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
LIVRE HUITIÈME, De la grâce et des vertus théologales.
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 1
Un jour, je priais à genoux devant le saint tabernacle. Je remerciais le Sauveur Jésus des nombreuses grâces qu’il m’avait accordées et qu’il ne cessait de m’accorder encore. Il se montra à moi sur l’autel; je ne sais pourquoi, n’osant m’approcher de lui, je demeurai à ma place. Il m’appela; je m’approchai, et je tombai à ses genoux : « Ma fille, me dit-il, j’ai entendu votre voix et vos remerciements. Je vous ai accordé des grâces nombreuses; votre reconnaissance pour mes bienfaits vous en obtiendra de plus considérables; et la première que je veux vous donner, c’est de bien comprendre ce que c’est que la grâce et les effets qu’elle produit dans les âmes.
« Savez-vous, ma fille, quelles sont les diverses significations de ce mot : Grâce? – Seigneur, je ne sais si je les connais; mais du moins ne saurais-je ni m’exprimer, ni dire mes idées sur ce mot. –Eh bien! ma fille, je vais vous l’apprendre.
« Le mot grâce signifie pardon. N’avez-vous point entendu dire qu’un roi, qu’un juge, qu’un homme puissant avait fait grâce à un coupable? Que le roi, le juge ou l’homme puissant ont pardonné à ce coupable?
« Le mot grâce signifie affection, amour, bienveillance. Vous vous rappelez sans doute cette parole de l’ange à Marie : « Vous avez trouvé grâce devant Dieu »? –
Oui, Seigneur. – Cela signifie que Dieu accorde à Marie toute sa bienveillance et qu’elle a gagné son amour.
« Le mot grâce signifie remerciement, comme quand vous me dites : Je vous rends grâce, Seigneur, de tous vos bienfaits.
« Le mot grâce, considéré dans un sens plus intime, signifie tout don de Dieu accordé aux hommes par sa seule libéralité et sans aucun mérite de leur part.
« Considérée ainsi, vous en pouvez distinguer de deux sortes : la grâce de l’ordre naturel qui regarde tous les besoins de la vie du temps, la grâce de l’ordre surnaturel qui regarde tous les besoins de votre âme pour la conduire à la félicité éternelle.
« Ainsi votre création, la conservation de votre vie, la force, la santé et le mouvement de votre corps, l’intelligence et les facultés de votre âme sont des grâces naturelles, des dons de Dieu. Ce sont des dons gratuits, car ces dons ne vous étaient pas dûs. Comment la naissance eût-elle été un droit pour vous? Vous n’existiez pas. Le néant a-t-il des droits? L’intelligence, comment eût-elle été un droit pour vous? Est-ce que Dieu n’est pas libre de ses dons? Ne pouvait-il donc pas vous refuser l’intelligence? Ne pourrait-il pas encore vous en refuser l’usage?
« La grâce dans l’ordre surnaturel est un don surnaturel et invisible, mais que l’âme ressent et que Dieu accorde gratuitement aux êtres intelligents et raisonnables comme force et puissance pour arriver à la vie éternelle. C’est un don, comme tout ce qui est en vous; surnaturel, c’est-à-dire au-dessus des dons naturels, pour vous vivifier et vous transformer. C’est un don gratuit que Dieu aurait pu ne point donner et que les créatures ne pouvaient point exiger. Il est accordé aux êtres intelligents et raisonnables, par ceux-là seuls qui ont l’intelligence et la raison peuvent mériter ou démériter, mettre en usage ou laisser ce don, et ainsi atteindre ou perdre la vie éternelle.
« C’est pour cela que la grâce vous est donné, pour vous faire obtenir la gloire du ciel.
« De ce que je viens de dire par rapport à la grâce, vous devez conclure que Dieu en est l’auteur et le donateur, c’est-à-dire le principe, et que la fin qu’il se propose en la donnant est de faire participer les âmes fidèles à la gloire du ciel.
« Pensez-vous, ma fille, qu’il n’y ait aucune cause depuis la chute du premier homme, qui ait mérité le don de la grâce aux hommes, et qui n’empêche pas la grâce d’être un don gratuit? – Seigneur, il me semble, lui répondis-je, que vous êtes la cause méritoire de la grâce. Votre incarnation, votre vie, vos souffrances dans la passion, votre mort, nous ont mérité toutes les grâces du salut. Néanmoins, malgré votre mort et ses mérites, la grâce est un don gratuit, parce que vous êtes Dieu et que votre incarnation, cause méritoire de la grâce, a été libre.
« Oui, ma fille, c’est moi qui ai mérité aux hommes toutes les grâces que Dieu leur accorde, et je les ai méritées en souffrant volontairement, et sans y être obligé, les tourments de ma passion.
« Ma fille, il y a deux espèces de grâce que Dieu accorde aux hommes. Les premières pour eux-mêmes et pour leurs besoins. Les secondes pour les besoins et les nécessités d’autrui. Ces dernières ne sont pas par elles-mêmes une cause directe de mérites; mais les premières rendent toujours agréable à Dieu, quand on les reçoit avec de bonnes dispositions et quand on en fait un saint usage.
« Je vous parlerai plus tard des grâces que Dieu accorde à quelques âmes, non pour elles, mais pour les autres. Aujourd’hui je veux vous parler uniquement des grâces que Dieu accorde à chacun pour son utilité personnelle.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 2
Je ne sais si je m’exprime bien, mais je ne sais pas m’exprimer autrement. J’écris selon l’intelligence qui m’a été accordée des paroles du Sauveur Jésus.
Je continue : « Parmi les grâces que Dieu accorde à chacun pour son utilité personnelle, on en distingue de deux sortes : celles qu’il accorde pour la sanctification et la bonté de tous les actes et celles qui constituent en l’âme un état, une manière d’être, ou autrement dit les grâces actuelles et les grâces habituelles ou sanctifiantes.
« Qu’est-ce que la grâce actuelle? Avant de répondre à cela, je dois vous rappeler, ma fille, que l’homme par lui-même ne peut rien faire de méritoire pour le ciel sans la grâce de Dieu. Après cela, vous comprendrez aisément ce que c’est que la grâce actuelle. La grâce actuelle est un secours passager que Dieu donne à l’homme pour connaître, vouloir ou faire un bien surnaturel, en l’excitant et l’aidant à cette connaissance, à ce vouloir, à cette action.
« C’est un secours nécessaire à l’homme que le péché a rempli de faiblesse et qui se trouve impuissant devant une fin surnaturelle. C’est un secours passager, cela le distingue de la grâce habituelle qui est en l’âme d’une manière permanente.
« J’ai ajouté, ma fille, que ce secours excite et aide l’homme, pour vous marquer que ce secours le dispose à l’action et le soutient quand il l’accomplit. Pour quelle action ce secours est-il donné à l’homme? pour une action ou intérieure ou extérieure. Or, pour toute action, il y a deux choses : la disposition à l’action et l’accomplissement de l’action. Dans la disposition à l’action, c’est l’intelligence de l’homme qui est précisément en jeu; ce secours de Dieu éclaire son intelligence. Dans l’accomplissement de l’action, c’est la volonté; ce secours de Dieu excite et aide la volonté à l’accomplir. Que l’action soit intérieure comme un acte d’amour, ou extérieure, comme un exercice de piété quelconque, pour que cette action soit bonne, il faut nécessairement le secours de Dieu, et il s’appelle la grâce actuelle.
« La grâce actuelle est donnée à deux fins; d’abord, de faire pratiquer le bien, comme je viens de vous l’indiquer; et puis, de faire éviter le mal; d’où il suit, ma fille, que si cette grâce est nécessaire, elle l’est pour opérer le bien, et puis pour éviter le mal.
« La grâce actuelle est nécessaire pour opérer le bien, pour produire des actes de foi, d’espérance et de charité surnaturels, car la foi, l’espérance et la charité sont des vertus surnaturelles, et par les seules forces de sa nature l’homme ne peut en produire les actes. Celui même qui a la grâce sanctifiante a besoin de la grâce actuelle pour produire ces actes, car cette grâce sanctifiante, comme toutes les habitudes surnaturelles que Dieu établit dans l’âme d’une manière permanente, est à peu près pour les actions surnaturelles ce que sont pour les actions simplement naturelles les puissances et les facultés naturelles.
« Il ne faut pas dire pour cela, ma fille, que les actions des hommes qui ne sont pas précédées et aidées de la grâce sont des actions mauvaises; que l’homme, sans la grâce, ne peut rien faire de bien; mais, en vérité, sans la grâce il ne peut rien faire de méritoire pour le ciel.
« La grâce actuelle est nécessaire pour faire le bien, et aussi pour éviter le mal.
« Oui, ma fille, elle est nécessaire même à l’homme qui est en état de grâce, et sans cette grâce actuelle, il lui est impossible de passer un long temps sans tomber dans le péché véniel. Elle est nécessaire non-seulement pour éviter le péché véniel, mais encore le péché mortel. Pour éviter le mal, en effet, il faut se déterminer au bien et l’accomplir; car qui n’avance pas recule, et celui qui n’amasse pas constamment dissipe. Or, pour se déterminer au bien, pour faire le bien, il faut, outre la prédisposition donnée par la grâce habituelle, une excitation, et un secours actuel pour l’accomplir.
« Ma fille, la grâce actuelle ne vous manquera jamais; recevez-la et servez-vous en selon le dessein de Dieu. Ainsi vous éviterez le mal et vous pratiquerez le bien. Je ne veux point vous retenir plus longtemps; demain, revenez près de moi, je vous parlerai de la grâce sanctifiante. Je vous dirai quels sont ses causes, sa nature et les effets qu’elle produit dans l’âme. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 3
Le Sauveur Jésus me parla ainsi le lendemain : « Ma fille, la grâce actuelle est le premier moyen qui dispose l’âme à la possession de Dieu, à la vision béatifique, à la gloire du ciel; mais il ne la met pas dans un rapport immédiat avec sa fin surnaturelle. Elle n’est donc pas le dernier moyen qui conduise à la vision de Dieu ou la fasse atteindre; mais elle conduit l’âme à l’acquisition de la grâce surnaturelle habituelle, qui est précisément la préparation immédiate à la possession de Dieu, parce qu’elle dépose en elle la participation de la vie divine.
« Il y a plusieurs causes de la grâce sanctifiante que Dieu met en vous.
« La cause productive ou créatrice de la grâce, qui est Dieu lui-même, auteur de tout don naturel et surnaturel.
« La cause méritoire de cette grâce, qui n’est autre que le fils de l’homme et les souffrances de sa passion.
« La cause instrumentale, ou ce par quoi Dieu vous donne la grâce, ce sont les sacrements.
« La cause formelle de la grâce ou la nature de la grâce en tant que placée dans l’âme, c’est la justice de Dieu communiquée à cette âme.
« Enfin, ma fille, la cause finale de la grâce ou les motifs pour lesquels Dieu la communique sont au nombre de trois : le premier motif, c’est sa propre gloire. Dieu, je vous l’ai déjà dit, a tout fait pour sa gloire; mais rien ne peut plus contribuer à sa gloire que le don de la grâce habituelle par laquelle il élève l’âme jusqu’à lui, comme une louange éternelle qu’il contemplera et recevra dans les siècles des siècles. Le second motif, c’est la gloire de son Fils fait homme pour sauver les hommes. Qu’est-ce que la gloire? C’est le rayonnement d’un être, c’est la manifestation des attributs qui sont en lui. Or, l’homme, par la grâce, devient membre de mon corps, et, uni à moi, il est juste, il est saint, il est ami de Dieu, il est fils de Dieu; et cette filiation, cette amitié, cette sainteté, cette justice brillent en lui dans tout leur éclat, et me manifestent moi-même, qui ne fais qu’un avec lui. Le troisième motif, c’est la participation de l’homme à la gloire de Dieu et à ma gloire, lesquelles ne sont définitivement, et pour jamais obtenues, que lorsque l’homme est définitivement, et pour jamais, participant de la gloire de mon Père et de ma gloire.
« Quelle est donc la nature de la grâce sanctifiante, ou qu’est-ce que la grâce sanctifiante? La grâce sanctifiante est un don de Dieu surnaturel, gratuit et créé, intrinsèquement inhérent à l’âme et demeurant en elle sous forme d’habitude, et par lequel l’homme, participant de la vie divine, justifié, sanctifié et agréable à Dieu, devient son fils adoptif, et acquiert des droits à la vie éternelle.
« Comprenez-vous ces paroles, ma fille? – Seigneur, j’en comprends quelques-unes; mais les autres sont pour moi pleines d’obscurité. – Désirez-vous en avoir l’explication? – Oui, Seigneur, et je la recevrai de vous avec empressement.
« Vous comprenez, ma fille, que la grâce sanctifiante est un don surnaturel et gratuit? – Oui, Seigneur, vous me l’avez déjà dit. – Eh bien! ma fille, la grâce sanctifiante est aussi un don créé, c’est-à-dire que, quelle que soit la perfection de ce don, ce don n’est pas la substance même de Dieu; car ce don est intrinsèquement inhérent à l’âme, c’est-à-dire qu’il vient modifier l’âme, mais non la détruire ou la changer à ce point qu’elle cesse d’être âme. Il est inhérent et sous forme d’habitude, c’est-à-dire d’inclination, de propension à faire le bien. Or, si ce don était la substance même de Dieu, il n’y aurait pas seulement inclination à faire le bien, il y aurait action continuelle du bien, parce que Dieu est souverainement et éternellement auteur du bien.
« La grâce sanctifiante est une participation à la nature divine. Ma fille, vous ne pouvez comprendre ni le sens ni la nature de cette parole : vous la comprendrez au ciel, et cela fera votre bonheur dans la patrie.
« Je veux néanmoins vous donner une explication ou vous faire concevoir par image ce que c’est que cette participation.
« Je vous ai dit, en vous parlant de Dieu, qu’il y a trois personnes en Dieu. Que le Père se connaît et engendre son Fils par cette connaissance; que le Père et le Fils s’aiment, et que cet amour du Père et du Fils est le Saint-Esprit, troisième personne de la sainte Trinité. Cette connaissance éternelle du Père, cette tendance éternelle du Fils vers le Père, cet amour éternel du Père vers le Fils et du Fils vers le Père par le Saint-Esprit constitue la vie intérieure de la sainte Trinité. Ma fille, il se passe quelque chose de semblable dans l’homme qui est fait à l’image de Dieu, bien plus encore par la seconde création opérée par la grâce que par la première, oeuvre de la nature. La grâce met dans l’homme la foi, l’espérance et la charité; et ces trois vertus constituent la vie intérieure de l’âme, vie active et de mouvement, puisque par la foi l’homme connaît Dieu, tend vers lui par l’espérance, et s’unit à lui par la charité. Or, vivre ainsi n’est-ce pas vivre à l’image de la vie de Dieu?
« Je vous ai dit, ma fille, que Dieu est saint, que Dieu est juste, que Dieu est tout-puissant, et que, par ses œuvres extérieures, Dieu manifeste ainsi ses attributs. Or, ma fille, tel est l’homme avec la grâce sanctifiante. Il est saint, car la grâce sanctifiante est incompatible avec le péché mortel; il est juste, parce qu’il discerne le bien du mal, évite le mal et pratique le bien. Il est tout-puissant, et ses bonnes œuvres manifestent sa force et son pouvoir. Il lutte contre le monde, contre le démon, contre lui-même; il lutte contre le mal, il ne combat que pour le bien, il peut tout pour l’opérer.
« Que de merveilles la grâce sanctifiante n’opère-t-elle donc pas! Ce n’est pas tout, elle rend encore agréable à Dieu. Car Dieu s’aime lui-même et aime sa vie. Il se trouve reproduit dans celui qui a la grâce sanctifiante; il y considère sa vie, il y voit sa justice, sa sainteté, comment donc n’aimerait-il pas celui qui a la grâce sanctifiante?
« Oui, ma fille, il l’aime comme il aime son Fils; car l’homme qui a la grâce sanctifiante devient par cela seul son fils adoptif. Il voit en lui mes mérites, ma passion et ma mort, et il dit : il est mon fils! Il voit en lui ma vie toute entière, et il dit : Il est mon fils!
« Or, cette adoption de l’homme comme fils de Dieu, produite par la grâce, entraîne immédiatement un autre résultat qui est inséparable de l’adoption; c’est le droit réel, véritable, de celui qui a la grâce sanctifiante, et de celui qui est adopté, à la gloire, à la félicité de Celui qui l’adopte.
« Voilà, ma fille, en quelques mots, l’explication de la définition que je vous adressais tout à l’heure, et quelle est la nature même de la grâce.
« Que pourriez-vous conclure de ce que je viens de vous dire sur la grâce sanctifiante? – Je ne sais, Seigneur; mais parlez à votre servante Marie, et la lumière se fera dans son intelligence. – Ma fille, ne vous ai-je pas dit que la grâce sanctifiante rend l’homme juste, saint, ami de Dieu? – Oui, Seigneur. – L’homme, ma fille, naît-il dans cet état de justice, de sainteté, d’amitié de Dieu? – Non, Seigneur. – En quel état naît l’homme? – Il naît dans le péché. – Comment sort-il de cet état? – Par le baptême. – Que dépose le baptême dans celui qui est baptisé outre et avec le caractère de chrétien? – La grâce sanctifiante. – Que fait donc la grâce sanctifiante dans le baptisé? – Elle le justifie, elle le rend saint. – La justification peut-elle exister sans la grâce sanctifiante? – Je ne le pense pas. – La grâce sanctifiante peut-elle exister dans une âme sans qu’elle soit justifiée? – Non, Seigneur. – Au même moment où une âme reçoit la grâce sanctifiante, reçoit-elle aussi la justification? – Oui, Seigneur. – Comment comprenez-vous cela? – Seigneur, je me figure le pécheur comme un pauvre dénudé de tout, et Dieu comme un roi infiniment riche. Ce roi vient vers le pauvre avec tous ses trésors qu’il met en sa possession; dès lors, ce pauvre cesse d’être pauvre et se trouve riche dès qu’il a reçu les dons du roi. Il en est de même pour le pécheur; il a le péché dans le cœur, Dieu lui donne la grâce, le péché s’en va. Le péché me semble incompatible avec la grâce sanctifiante, comme la pauvreté avec la richesse. – Ma fille, vous avez raison, l’homme ne peut être en même temps pécheur et ami de Dieu; s’il est pécheur, il reste dans la mort, parce que le péché est la mort de l’âme; dès lors il est séparé de Dieu; mais s’il a la grâce, il a la vie; s’il a la grâce, il est ami de Dieu, et si Dieu l’aime, il doit nécessairement être justifié. Dieu hait le péché, mais il aime la justice; par conséquent, celui qui est l’objet de l’amitié de Dieu par la grâce sanctifiante est nécessairement justifié.
« La grâce sanctifiante donnée à l’âme produit en elle autre chose que la justification. Elle renouvelle encore complètement l’intérieur de l’homme; elle le rajeunit, elle le rapproche de Dieu son principe, elle l’éloigne des créatures. Or, si Dieu se rapproche de l’homme ou l’homme de Dieu, il doit nécessairement y avoir changement ou en Dieu ou en l’homme. En Dieu, ma fille, cela ne se peut pas; c’est donc l’homme qui change, et qui est changé. Il devient un homme nouveau, un homme sans péché, un homme uni à Dieu, un homme avec une inclination qui le porte vers le bien.
« La grâce sanctifiante néanmoins n’enlève point de l’âme la concupiscence.
« Qu’est-ce que la concupiscence, ma fille? Ce n’est rien autre chose que l’inclination désordonnée de l’âme qui porte à s’attacher à la créature et à faire oublier le Créateur.
« Le péché originel a mis dans l’âme l’amour du bien créé. En lui-même, cet amour n’est pas un mal, il n’est point péché, mais il le devient très facilement; il l’est réellement dès que l’amour du bien infini n’est pas supérieur à l’amour du bien fini, dès que l’amour du Créateur n’est pas supérieur à celui de la créature.
« Cela doit vous suffire pour vous faire comprendre que la concupiscence ne disparaît point par la grâce sanctifiante, parce que l’amour du bien créé, de ce qui est fini, terrestre, n’étant pas un péché, et n’étant pas incompatible avec la grâce sanctifiante, celle-ci ne peut le faire disparaître.
« La grâce sanctifiante pourtant lutte contre la concupiscence; elle est une arme contre la concupiscence, elle est une tendance opposée à celle de la concupiscence, car elle donne à l’âme un amour prédominant du bien infini, qui l’emporte sur celui des biens matériels et terrestres.
« C’est là l’œuvre de la grâce dans l’âme. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 4
Je priais un jour près du saint tabernacle; je m’étais unie au Sauveur Jésus par la communion spirituelle, il vint à moi et me dit :
« Je vous ai parlé, ma fille, de la grâce et des diverses sortes de grâce; je veux que vous sachiez aussi que la grâce se donne à tous et que les obligations de chaque état n’empêchent pas son cours. La grâce est une source immense et inépuisable qui s’échappe de mon cœur, et à laquelle tous peuvent puiser abondamment. Quelle que soit la position et l’état des hommes, tous peuvent y prendre part, en m’offrant leurs actions, en les sanctifiant, en les faisant en vue de plaire à mon Père, et surtout par la pratique de la religion et la fréquentation des sacrements.
« Cependant, ma fille, voyez les hommes, ils fuient ma grâce, ils n’ont d’yeux que pour leurs intérêts matériels; ils vivent dans le péché, ils vivent dans la mort. Quelle ignorance en eux des vérités du salut! Et n’est-ce pas leur faute? Comment excuseront-ils leur indifférence, comment expliqueront-ils leur éloignement de Dieu? Mais leur ignorance est une ignorance coupable ou une ignorance qui n’est point vraie. Souvent ces hommes se rappellent bien les instructions de leur première communion, mais ils sont attachés à leurs péchés et ils ne veulent point y renoncer; à leurs rapines et ne veulent point les abandonner; à leurs passions, et, ne voulant point les maîtriser ils se disent ignorants. Pauvres hommes, quelle folie!
S’ils sont réellement ignorants, pourquoi n’écoutent-ils pas l’instruction de mes ministres? Pourquoi ne conforment-ils pas leur conduite aux enseignements qui leur sont donnés par mes prêtres? Mais ne savent-ils pas qu’ils ont fait mal, qu’ils ont commis le péché, qu’ils se sont révoltés contre Dieu, qu’ils sont privés de ma grâce?
« Ma fille, ce n’est point ni l’éclat ni la condition diverse des hommes qui empêche le cours de ma grâce, tous peuvent y participer et abondamment. Mon plus grand désir serait de la répandre avec profusion sur toutes les âmes. Ceux qui veulent y participer le peuvent, même les plus ignorants, parce qu’ils trouvent dans mes prêtres des amis qui les soutiennent, qui les guident, qui les éclairent, qui leur rendent la paix du cœur et de l’âme, qui les délivrent de leurs fautes, qui leur donnent ma grâce. O hommes! Ne savent-ils pas que Dieu regarde moins ce qu’ils savent, ce qu’ils font, que la bonne volonté avec laquelle ils agissent? N’éprouvent-ils pas en eux les mouvements quotidiens de la grâce qui les invite à revenir à Dieu, à se donner à lui? Dieu veut le salut de tous, je vous l’ai déjà dit, et il donne à tous les grâces qui leur sont nécessaires pour qu’ils opèrent leur salut.
« Néanmoins, ma fille, il y a une certaine mesure de grâce que Dieu, dans ses décrets éternels et insondables, destine à chacun. Il n’accorde pas à tous le même degré. Mais aussi ne demandera-t-il pas à tous non plus le même compte. Il proportionne la grâce au degré de sainteté auquel il veut que s’élève celui à qui il la donne; il proportionne sa grâce aussi aux besoins de chacun.
« Il y a des grâces générales auxquelles tous participent, les justes, les pécheurs, et tous les hommes dans leurs diverses conditions. Mais il y a des grâces particulières que Dieu n’accorde pas à tous les chrétiens, parce qu’elles ne sont nécessaires qu’à quelques âmes d’élite et à certaines vocations. Que de grâces plus grandes, par exemple, ne faut-il, pas à un prêtre pour vivre saint et sanctifier les autres; à un confesseur, à un directeur pour mener et conduire les âmes dans le sentier de la vérité et du bien? Celles-là ne vous sont point nécessaires, ma fille; aussi vous n’en rendrez pas compte.
« La grâce est pour tous une source de vie et le remède à tous les maux. Elle rend la vie à ceux qui sont morts par le péché. Elle donne la ferveur à ceux qui sont lâches et négligents, la componction aux insensibles, le recueillement aux dissipés, la soumission aux indociles, la charité à ceux qui sont froids et sans cœur.
« Comprenez toujours bien ce que c’est que la grâce, ma fille, estimez-la toujours davantage, augmentez-la dans votre cœur. N’oubliez pas que Dieu l’accorde à tous, mais plus particulièrement et en plus grande abondance à ceux qui la lui demandent et y correspondent. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 5
J’étais fort inquiète sur tout ce qui se passait en moi depuis quelque temps. Le doute que me témoignait mon directeur sur la vérité de ce que je voyais et entendais augmentait en moi la crainte d’être victime de quelque illusion. J’ai dit ailleurs comment le Sauveur Jésus lui-même m’a détrompée et m’a rassurée.
Voici ce qu’il m’a dit sur la conduite à tenir dans les faveurs extraordinaires que Dieu accorde, comme sont des révélations, des visions, des extases, des ravissements.
« Ma fille, une personne qui éprouve de ces sortes d’attraits qui la mettent hors d’elle-même, et qui réjouissent son cœur et son âme, doit-elle s’abandonner à ces attraits et les suivre? Mais qu’arrive-t-il à cette pauvre âme si c’est le démon qui se change en ange de lumière pour la séduire? Doit-elle résister opiniâtrement? Mais si cet attrait est une grâce de Dieu, elle n’y correspond point. Que doit-elle faire en pareille conjoncture?
« La première chose à faire, ma fille, c’est de déclarer à son directeur tout ce que l’on éprouve et tout ce qui se passe dans l’âme; puis il faut suivre en tout le conseil de son directeur.
« Le directeur, s’il est sage, s’il est prudent, s’il est instruit, examinera tout ce que cette âme lui aura rapporté; il verra si ces choses sont conformes à l’esprit de piété et à celui de l’Église. Il examinera les dispositions de la personne qu’il dirige, et s’il juge que ce qui se passe en elle la porte à la vanité et à l’indépendance ou opère en elle quelque résultat fâcheux, il l’engagera à résister à ces attraits et à les repousser.
« S’il voit, au contraire, que tout ce qu’elle dit est conforme à l’esprit de piété et de l’Église, et qu’au lieu de perdre sa piété, cette personne devient de plus en plus pieuse, simple, humble, soumise et fidèle à remplir ses devoirs, il l’engagera à se soumettre humblement à la volonté de Dieu et à s’abandonner à lui comme un enfant aux bras de sa mère.
« Quand le directeur a conseillé à une personne de recevoir ainsi cet attrait et d’y correspondre, comment doit agir cette personne pour correspondre à cet attrait?
« Au moment où elle sent son âme attirée vers un état autre que son état habituel ou normal, elle doit commencer par se dépouiller complètement de sa volonté, pour embrasser entièrement celle de son directeur, et puis conjurer Dieu de ne point permettre qu’elle soit trompée. Elle doit reconnaître enfin qu’elle n’est digne d’aucune de ces faveurs signalées et prier le Seigneur de lui faire miséricorde.
« Si cette âme agit ainsi, il est certain, ma fille, que Dieu ne permettra pas qu’elle soit victime d’aucune illusion, parce qu’elle a mis en lui toute sa confiance. Mais si cette faveur est une faveur que Dieu lui accorde, cette faveur, loin de lui être retirée, lui sera donnée avec plus d’abondance et de perfection, parce qu’elle la méritera plus encore par sa manière d’agir si soumise et si humble.
« Cette personne pourra non-seulement s’abandonner ainsi à ces ravissements qu’elle éprouvera, mais encore écouter et retenir les enseignements qui lui seront donnés, pourvu que ces enseignements soient conformes en tout aux enseignements de la sainte Église de Dieu.
Comme elle ne peut pas en juger par elle-même, elle doit communiquer aussi à son directeur ce qui lui a été dit, comme cela lui a été dit, autant qu’elle pourra se le rappeler. Son directeur jugera ces enseignements avec prudence, discrétion, et consultera même, s’il le faut, des hommes, ministres de Dieu comme lui, mais plus instruits que lui. Après cela le directeur se prononcera. Si celle qu’il dirige reçoit ses décisions avec humilité et soumission, ce sera une preuve que l’esprit de Dieu est avec cette personne. Si, au contraire, elle les reçoit avec peine, si elle brise le joug de la dépendance pour suivre sa volonté, ce sera un signe non équivoque que l’esprit de Dieu n’est pas en elle.
« Ma fille, dans ces circonstances, il faut deux choses à ces âmes, une grande humilité et une grande soumission à leur directeur. De plus, pour que cette soumission soit non-seulement bonne en elle-même, mais produise de bons résultats, il faut que le directeur de ces âmes soit instruit, sage et prudent; sans cela, ce sera un aveugle qui en mènera un autre, et ils tomberont tous deux dans le précipice. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 6
Le Sauveur Jésus m’a dit une autre fois : « Ma fille, je vous ai parlé des grâces que Dieu accorde aux hommes pour eux-mêmes et pour leur avancement spirituel. Il est d’autres grâces que Dieu accorde à certaines âmes et qui sont plus pour l’utilité des autres que pour leur propre utilité : comme celles des apôtres qui faisaient des miracles, ressuscitaient les morts, redressaient les boiteux, confondaient les imposteurs, se faisaient comprendre de plusieurs nations dont le langage était différent, annonçaient longtemps à l’avance les événements futurs.
« Ces dons de miracles, de langues, de prophéties et autres semblables furent donnés aux apôtres, et sont encore données à quelques âmes d’élite pour le bien de leurs frères. C’est par les miracles qu’ils convainquent les incrédules; c’est par le langage qu’ils les instruisent; c’est par l’annonce des événements futurs qu’ils maintiennent dans les cœurs des fidèles des sentiments d’espérance ou qu’ils excitent en eux des sentiments de crainte.
« Il ne faut point désirer ces dons, ma fille, et Dieu ne les accorde qu’aux âmes qu’il a choisies pour cela. Mais quand Dieu donne ces grâces extraordinaires et purement gratuites, il faut en faire un usage conforme à sa volonté, afin d’opérer pour autrui et en autrui le bien que Dieu désire voir opérer.
« Ces enseignements sur la grâce et ses effets vous suffiront, ma fille, et vous permettront de vous montrer plus fidèle à toutes les grâces de Dieu, aux grâces de chaque jour, de chaque heure, de chaque moment, qui tombent sur votre âme comme une rosée bienfaisante pour faire germer en vous toutes sortes de vertus. »
Je remerciai le Sauveur Jésus, je me jetai à ses genoux et lui demandai sa bénédiction.
Le Sauveur leva les yeux au ciel et dit : « Mon Père, bénissez votre servante Marie, comme je la bénis, et que ma parole produise en son âme des fruits de vie. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 7
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
« La grâce sanctifiante met dans l’âme les trois vertus de foi, d’espérance et de charité pour la diriger vers Dieu; celles de justice, de force, de prudence et de tempérance pour la diriger dans ses rapports avec les créatures, et enfin les sept dons du Saint-Esprit pour la disposer à recevoir les mouvements qu’il donne à ceux qui veulent se sauver. »
Il ne me parla ce jour-là que de la foi, de l’espérance et de la charité.
« La foi, me dit-il, peut s’entendre de plusieurs manières, comme l’espérance, la charité et la grâce.
« La foi désigne le jugement intérieur de l’âme, qui marque le bien et le mal; comme on vous dit d’un homme : Il a fait cela de bonne foi, ou de mauvaise foi.
« La foi désigne la fidélité à tenir un pacte ou une promesse.
« La foi désigne la confiance que l’on a en la parole de quelqu’un.
« La foi désigne cette inclination par laquelle quelqu’un donne son assentiment, sans crainte d’être trompé, à ce qu’il ne voit pas pourtant d’une manière précise.
« La foi désigne un des dons gratuits de Dieu par lequel on a une certitude suréminente des choses qu’on doit croire.
« La foi désigne le caractère distinctif entre les chrétiens et ceux qui ne le sont pas, c’est le baptême.
« La foi désigne la matière ou la réunion des vérités qu’il faut croire, ou les symboles.
« La foi désigne une habitude informe et sans vie, insuffisante au salut, la foi sans les œuvres.
« Voilà les diverses manières d’entendre la foi; mais la foi dont je veux vous parler et que vous ne devez pas confondre avec ces sortes de foi, c’est la foi théologique, la vertu surnaturelle de foi.
« Vous devez distinguer dans la vertu de foi quatre choses : sa nature, son acte, son objet, sa cause et son effet.
« La vertu de foi, ma fille, est une habitude surnaturelle que Dieu met dans l’âme et qui lui donne la conviction ferme et l’assentiment libre aux vérités qu’il a révélées, et que l’Église catholique propose à sa croyance.
« La foi est une vertu surnaturelle, par conséquent un don de Dieu. Elle donne la conviction ferme, c’est-à-dire qu’elle enlève toute crainte d’erreur dans ce que l’on croit. Cette conviction produit l’assentiment de la volonté, assentiment libre et non forcé, comme celui des démons, qui croient, eux aussi, mais avec nécessité. La foi se porte sur les vérités que Dieu a révélées et que l’Église catholique propose à sa croyance. Il a institué l’Église pour cela. Celui qui a la vertu de foi croit ces vérités sans peine ni difficulté; il est porté à les croire vérités, parce que la vertu de foi est une habitude, une inclination, une propension que l’âme reçoit de Dieu par cette vertu, et qui la porte à croire que qu’il révèle. Celui qui a la vertu de foi est convaincu de ces vérités, bien qu’il ne les comprenne pas. Ces vérités ne sont point une simple opinion, c’est une réalité divine; et la conviction est d’autant plus ferme qu’elle repose sur Dieu, vérité éternelle qui ne peut tromper. Celui qui a la foi a en lui le commencement de la vie éternelle, c’est-à-dire qu’il possède par la croyance ce qu’il ne voit point, mais qu’il espère, qu’il désire et vers quoi il tend par ce mouvement de son intelligence et cet assentiment de sa volonté.
« La foi est la première des vertus et le fondement des autres vertus. Elle est avant l’espérance, parce que pour espérer il faut savoir ce qui fait l’objet de cette espérance. Elle est avant la charité, parce que la charité c’est l’amour, et pour aimer aussi, il faut connaître l’objet de cet amour. Or, la foi fait connaître Dieu et ce qui a rapport à Dieu. C’est donc sur elle que reposent l’espérance et la charité.
« La foi peut exister seule sans la charité et l’espérance. Mais l’espérance ne peut exister sans la foi. La charité aussi, du moins ici-bas, demande la foi pour exister. Je dis du moins ici-bas, parce que la foi et l’espérance ne sont que des vertus du temps : elles n’existeront point dans l’éternité parce qu’elles n’auront plus de raison d’être. Dans le ciel on voit Dieu face à face, par conséquent la foi est inutile; dans le ciel on possède Dieu, par conséquent on ne l’espère plus.
« La foi est la première des vertus dans l’ordre de l’existence, mais non dans celui de la dignité. La charité est la plus considérable des vertus; elle en est la vie.
« La foi doit être une, catholique et vraie. Elle est une en tant que vertu; il n’y a point plusieurs vertus de foi, bien qu’elle soit donnée à plusieurs. Elle est une quant à son objet; tous doivent croire la même chose, Dieu et les révélations de Dieu. Elle est une quant à sa fin, elle ne dirige que vers la possession de Dieu.
« Elle doit être catholique et universelle, c’est-à-dire qu’elle doit s’étendre à toutes les vérités sans exception, remplir tous les lieux de la terre et embrasser le bien universel du temps et de l’éternité, Dieu.
« Elle doit être vraie. Si la foi était erronée, elle ne serait plus foi : elle serait erreur, mensonge, fausseté; la foi doit nécessairement porter sur la vérité, c’est-à-dire sur Dieu.
« La vertu de foi repose dans l’intelligence et dans la volonté. Dans l’intelligence comme dans le lieu spécial de sa demeure, d’où elle explore et regarde; dans la volonté, comme force de ce regard et comme assentiment à l’existence de ce qui est vu.
« Il y a, ma fille, deux sortes d’actes de foi : le premier est purement intérieur, le second est extérieur et se manifeste au dehors.
« L’acte de foi intérieur est de trois sortes. Il peut porter sur Dieu d’une manière générale, tel qu’il est en lui-même trinité et unité, sans chercher à pénétrer ce mystère; c’est l’âme qui dit simplement : Je crois.
« L’acte de foi peut porter sur Dieu, vérité infaillible et éternelle. Cet acte peut s’exprimer ainsi : Je crois à la parole de Dieu et à sa révélation.
« Enfin, l’acte de foi peut être un acte de l’intelligence que la volonté détermine à tendre vers Dieu; cet acte peut s’exprimer ainsi : Je crois en Dieu, vérité et bonté suprême.
« L’acte de foi extérieur est triple aussi. L’acte de foi extérieur n’est rien autre chose que la manifestation extérieure de ce qui est dans l’âme qui croit, et cette manifestation a lieu de trois manières.
« Le premier acte de foi est la reconnaissance publique de tous les articles de foi. Cette reconnaissance n’est pas de nécessité de salut, mais elle peut le devenir selon les lieux ou le temps. Si vous étiez citée devant le tribunal d’un prince, d’un juge ou d’un magistrat et qu’on vous interrogeât sur votre foi, vous seriez obligée de la manifester à ce point que si vous veniez à mourir après l’avoir méconnue ou dissimulée, sans vous être rétractée, vous seriez certainement damnée.
« Cette confession de sa foi est, vous le comprenez, ma fille, un des actes les plus glorieux du chrétien. Confesser sa foi, en effet, c’est honorer et glorifier Dieu; confesser sa foi, c’est être son défenseur; confesser sa foi, c’est confondre les incrédules; confesser sa foi, c’est édifier son prochain et lui donner le bon exemple.
« Le second acte extérieur de foi, c’est l’acte d’adoration de Dieu par le culte extérieur qu’on lui rend pour reconnaître ses divins attributs.
« Le troisième acte extérieur de foi, c’est la confession de ses péchés par laquelle on reconnaît avoir offensé Dieu, et par laquelle aussi on lui demande pardon et oubli de ses offenses.
La foi est nécessaire au salut, ma fille. Le salut, en effet, n’est que la conclusion de la perfection d’un être raisonnable. Or, la perfection de cet être ne consiste pas seulement dans la possession de tout ce qui en constitue la nature, mais encore dans la réception du mouvement qui est donné à cette nature par une nature supérieure. Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit des deux mouvements de l’homme, le mouvement vers l’existence et le mouvement de retour vers Dieu ? Le mouvement vers l’existence, c’est le don de tout ce qui convient à la nature humaine ; le mouvement de retour vers Dieu, c’est le mouvement que la nature divine, supérieure à la nature humaine, donne à celle-ci pour la diriger dans le bien. Avec ce mouvement, on va droit au bien, droit à Dieu, droit à l’éternelle félicité. Or, la première condition pour la réception de ce mouvement, c’est la foi qui fait connaître Dieu, qui fait tendre vers lui en appréciant ce qui est en lui et ce qu’il veut mettre en vous. Celui qui n’a pas la foi ressemble à une maison dont les portes sont fermées, où Dieu voudrait entrer, mais où il n’entre pas parce que le maître ne l’ouvre pas. S’il y entrait, il y apporterait la lumière, mais parce qu’il n’y pénètre pas, cette maison demeure dans l’obscurité et les ténèbres. Sans la foi donc, il est impossible de plaire à Dieu, parce que c’est repousser Dieu. Sans la foi on ne peut être sauvé, parce qu’on n’est pas uni à Dieu. Sans la foi, on encourt la condamnation de Dieu, parce qu’on se laissera aller à toutes ses inclinations, parce qu’on commettra le péché, et que le péché demande condamnation.
« Ma fille, que devez-vous croire ? La vérité ; la vérité éternelle, la vérité qui demeure toujours et demeurera dans les siècles des siècles. La vérité, c’est Dieu ; la vérité, c’est moi. Je suis l’expression personnelle de la vérité, et c’est avec droit que j’ai dit aux hommes et que je vous dis en ce moment : Je suis la vérité ! Je suis la vérité première qui contient toutes les autres vérités, la vérité qui les rassemble toutes, et toutes les vérités réunies en moi ne font qu’une vérité : la vérité de Dieu ou Dieu, vérité éternelle.
« Or, vous devez croire la vérité première. Vous devez croire aussi les autres vérités qui découlent de moi et par lesquelles vous êtes aidée à tendre vers moi. La manifestation de la vérité première à une âme attire cette âme vers la vérité. Pour l’attirer plus facilement, cette vérité se manifeste sous diverses formes, et, comme autant de liens, elles viennent l’enlacer doucement et la porter vers Dieu.
« Ainsi, tout ce qui a rapport à la divinité, en tant qu’elle est Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce qui a rapport à mon humanité, à mon Église, aux sacrements que j’ai institués, sont autant de formes diverses de la vérité première qui se présentent à l’homme et lui disent : Crois et marche vers Dieu !
« Toutes ces vérités sont renfermées dans les symboles de l’Église et les décisions qu’elle porte sur la vérité première, décisions qui lui sont inspirées par Dieu lui-même.
« Ces vérités, l’homme ne les comprend pas dans leur nature intime, parce que la vérité c’est Dieu, mais il les croit et les doit croire parce qu’elles viennent de Dieu.
« La foi, ma fille, est donnée par Dieu. C’est lui qui est la cause première de la foi. Mais la foi a plusieurs causes secondaires qui la produisent : la révélation de ce qu’il faut croire, la vision des miracles qui ne sont autre chose qu’une persuasion motivée de foi, enfin l’assentiment de l’âme à ce qu’il faut croire.
« La révélation est cause de la foi. Comment avoir la foi, en effet, si Dieu ne révèle pas ce qu’il faut croire, ou si ceux à qui Dieu l’a révélé ne vous font point participer à la révélation qui leur a été faite ? La foi véritable est une foi vivante, et pour qu’elle vivre, il lui faut une nourriture, un objet qu’elle saisisse. La révélation est cause secondaire de la foi, mais cause venant de Dieu, révélateur de la vérité.
« La vue des miracles est cause de la foi, non-seulement en ce sens que les miracles sont opérés par Dieu, mais en ce sens que Dieu doit exciter la foi par la vue des miracles. C’est aussi une cause secondaire et insuffisante. Et n’en avez-vous pas la preuve dans ce qui s’est passé durant ma vie ? Combien de personnes ont vu mes miracles et combien peu pourtant ont eu la foi en eux-mêmes ? C’est pourquoi les miracles sont aussi bien un motif qu’une cause de la foi.
« L’assentiment de l’âme à la vérité est une cause de la foi, non en ce sens que l’âme puisse par elle-même recevoir et admettre la vérité éternelle qui lui est proposée, ce qui est faux, parce que cet acte dépasse les forces de la nature humaine, mais en ce sens que Dieu donne à l’âme l’inclination, la force pour arriver à la foi.
« Les avantages de la foi sont immenses pour une âme. La foi, c’est une arme contre le monde : elle triomphe de lui et le foule aux pieds. Car, par la foi, on repousse la concupiscence de la chair, parce qu’on sait que tout passera en ce monde et qu’il ne restera qu’une seule chose : le bien et le mal qu’on aura fait. On repousse la concupiscence des yeux, parce qu’on sait qu’il n’y a qu’une seule richesse que les voleurs ne puissent point enlever ni la rouille faire disparaître, Dieu ! On repousse l’orgueil de la vie, parce que la vue d’un Dieu humilié, crucifié et mort pour les hommes fait connaître le néant, la misère et le péché de l’homme qui ne lui permet pas de s’enorgueillir.
« La foi est un bouclier contre Satan et contre ses traits. Vainement cherchera-t-il à frapper celui qui a la foi, à l’entraîner dans la révolte, à le faire tomber dans le péché. Celui qui a la foi sait que Satan veut sa perte et sa damnation, il sait que Dieu veut son salut et son bonheur, il écoutera Dieu et repoussera Satan.
« La foi est par conséquent un éloignement du péché. Celui qui résiste au monde et à Satan n’a plus qu’un autre ennemi : lui-même et ses passions ; mais il a en lui la même force pour se combattre que pour repousser ses deux premiers ennemis ; il lutte, et triomphe de lui-même et de ses passions, qui deviennent pour lui l’occasion de mérites considérables.
« La foi produit la sanctification du cœur. Elle fait fuir le péché, par conséquent elle conserve la grâce, qui est état de sainteté ; elle fait avouer le péché quand on a eu la faiblesse de le commettre ; elle fait expier par la pénitence. Aussi est-elle une source de sanctification pour l’âme.
« La foi produit la crainte, non point seulement la crainte servile, c’est-à-dire la crainte de l’enfer, la crainte de la punition, mais la crainte de la séparation de Dieu, la crainte de ne point l’aimer, de ne point le servir fidèlement, de ne point lui être uni sur la terre et dans le ciel.
« La foi opère des prodiges : Celui qui a la foi transporte des montagnes.
« La foi fait exaucer les prières qu’on adresse à Dieu.
« La foi, sur la terre, relève la dignité de l’homme et le déifie en le faisant participer à la vie divine, dont elle est le commencement et l’origine en l’homme.
« Enfin, la foi assure la vie éternelle, parce que celui qui a la foi vit dans la justice, opère des œuvres bonnes et saintes qui seront l’objet de sa récompense dans l’éternité.
« Ce que je viens de vous dire sur la foi doit vous la faire estimer beaucoup, vous la faire désirer de plus en plus et vous inciter à l’augmenter autant qu’il vous sera possible, en ne faisant rien de contraire à ce don qu’il a plu au Seigneur de déposer en vous.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 8
« Je veux vous parler maintenant de l’espérance.
« Ma fille, il y a trois sortes d’espérance : l’espérance naturelle, l’espérance surnaturelle et l’espérance criminelle.
« L’espérance naturelle est une inclination qui se trouve dans chaque individu, et le fait tendre vers un but naturel qu’il croit être bon et dans lequel il croit posséder le bonheur.
« L’espérance surnaturelle ou la vertu d’espérance est une habitude surnaturelle que Dieu met dans l’âme pour lui faire attendre avec une confiance certaine la vie éternelle et les moyens de l’obtenir par le secours de Dieu.
« L’espérance criminelle n’est une espérance que de nom. Qui dit espérance marque le bien; et quel bien peut-on attendre du crime? Ah! c’est avec raison que le prophète disait : ne mettez point votre espérance dans l’iniquité. Cette espérance est une espérance nulle, trompeuse et mensongère.
« L’espérance criminelle peut s’entendre de trois manières : l’espérance fondée sur soi, l’espérance fondée sur autrui, l’espérance fondée sur la vanité.
La première est criminelle. Qu’est-ce que l’homme, ma fille, pour espérer en lui-même? L’homme n’est-il pas incapable de se suffire à lui-même, de se défendre et de mériter la récompense de l’éternité? L’homme n’est pas capable de se suffire à lui-même, car il est de l’essence des êtres tirés du néant de tendre au néant, si l’action de Dieu ne les soutenait. L’homme est faible et le démon ne tarderait pas, par ses ruses et son habileté, sa puissance et sa malice, de l’entraîner au mal, si la miséricorde de Dieu ne le soutenait à chaque moment. L’homme ne peut rien mériter par lui-même, et la pensée qui semble être la première possession de l’homme en puissance de raison, la pensée, si elle revêt un caractère de bonté surnaturelle, n’est pas à lui, car elle lui vient de Dieu.
« Par conséquent, fonder sur soi son espérance, c’est faire injure à Dieu, c’est opérer le mal, c’est se perdre.
« L’espérance fondée sur les autres est une espérance criminelle. En qui placeriez-vous votre espérance, ma fille, si vous ne pouvez la placer sur vous-même? Serait-ce dans votre famille, dans vos amis, dans des hommes puissants? Mais tous les hommes, unis ensemble, sont la personnification même de la faiblesse; ils sont plus fragiles qu’un roseau et, compter sur eux, c’est être sûr d’être trompé et confondu à l’heure du danger. Votre espérance doit s’arrêter à Dieu et demeurez toujours en lui; il ne vous trompera pas, et vous pourrez dire un jour : Seigneur, j’ai espéré en vous; je ne serai point confondue.
« L’espérance dans la vanité est une espérance criminelle. Espérer dans la vanité, c’est espérer sur sa vie, qui est fugitive et transitoire comme la fumée emportée par le vent; c’est espérer sur la renommée, la gloire ou l’estime des hommes; et la renommée, la gloire et l’estime disparaissent avec la vie en face de l’éternité; c’est enfin espérer sur les richesses et les biens de ce monde; mais les richesses, les biens de ce monde, le monde lui-même, auront un terme; et peut-on placer une espérance solide sur ce qui aura un terme et une fin? L’espérance dans la vanité est une vaine espérance, une espérance qui éloigne de Dieu, par conséquent coupable et criminelle.
« La seule véritable, c’est l’espérance surnaturelle; je veux vous en faire connaître la nature, l’acte, l’objet, l’effet, la nécessité et le sujet.
« La nature de l’espérance n’est autre chose qu’une habitude, une inclination surnaturelle; par conséquent, l’espérance est un don de Dieu; toute chose surnaturelle vient de Dieu et dépasse les forces de la nature humaine. Par cette inclination, l’homme a constamment les yeux sur les biens futurs : il les regarde, il les attend avec courage, avec fermeté, avec certitude de les obtenir, parce qu’il sait que Dieu lui accordera les moyens nécessaires pour les acquérir, et en être un jour le possesseur. Celui qui a la vertu d’espérance s’oublie lui-même pour s’abandonner complètement à Dieu, pour se reposer en lui.
« L’acte d’espérance n’est rien autre chose qu’une attente, une expectative certaine, et quand vous faites un acte d’espérance, quand vous dites à Dieu : Mon Dieu, j’espère votre grâce en cette vie et la vue de votre gloire dans le ciel, vous dites en vérité : Mon Dieu, j’attends votre grâce en cette vie et la vue de votre gloire dans l’autre. Je vous ai dit que cette expectative est certaine, parce qu’elle repose sur des fondements certains, le secours de la toute-puissance de Dieu et de son immense miséricorde, sa libéralité infinie et son désir éternel que vous parveniez à la possession de ce que vous attendez.
« L’objet de l’espérance, c’est la béatitude éternelle dont vous jouirez; tel est le premier objet de votre espérance, la possession de Dieu. L’objet secondaire, ce sont les grâces de Dieu, les secours de Dieu, la protection de votre Sauveur, l’effusion sur vous de mes mérites, la tutelle de Marie, qui éloignera de vous les dangers.
« Et savez-vous, ma fille, quels heureux effets l’espérance produira en votre âme? Les voici. Elle vous excitera à faire pénitence de vos péchés, parce que vous en espérerez le pardon; elle vous donnera force et courage dans les dangers, parce qu’avec elle vous ne compterez point sur vous, mais sur le bras de Dieu, qui renverse tous les ennemis; elle vous délivrera des dangers, car Dieu n’abandonne jamais ceux qui se fient en lui. Voyez comme il délivra Daniel et Suzanne qui espéraient en lui. Elle vous fera triompher des tentations, parce que vous aurez la force de l’espérance et le désir de la voir se réaliser, ce qui vous fera lutter avec fermeté contre les tentations, et cette lutte ferme est toujours suivie de la victoire. Elle éclairera votre intelligence. Espérer en Dieu, c’est se rapprocher de lui; or, Dieu est lumière, et sa lumière répand le jour dans les ténèbres et montre la vérité. Elle gardera et sauvera la bonté de vos intentions. Vous n’espérerez que le bien; vous ne voudrez par conséquent jamais que le bien, et c’est ainsi encore, ma fille, que l’espérance sera pour vous une source de multiplicité de bonnes œuvres que vous n’auriez point opérées sans elle.
« Or, ma fille, l’espérance ne doit pas être seulement en vous quelques jours, quelques années, tant que vous jouissez des bénédictions de Dieu, tant que vous êtes en état de grâce, elle doit y être toujours.
« Vous devez espérer aussi bien dans la tentation que dans l’affliction, dans la sécheresse comme dans l’état de péché.
« Vous devez espérer dans la tentation. C’est alors, surtout, que votre espérance doit être forte; c’est elle qui doit être le bouclier avec lequel vous renverserez vos tentations. Or, vous n’espérez point, si vous vous procurez à vous-même des tentations; si vous ne les fuyez point, c’est là de la présomption. Vous n’espérez point, si vous ne considérez que votre fragilité et non la peine due à votre défaite dans la tentation, c’est de l’aveuglement. Vous n’espérez point, si dans la tentation vous ne priez pas, c’est vous mettre dans la certitude de succomber et de pécher. Espérez donc, ma fille, à l’heure de la tentation.
« Espérez dans l’affliction. Espérez, parce que Dieu n’abandonne jamais les malheureux; espérez, parce que Dieu mettra un terme à vos afflictions; espérez, parce que Dieu vous donnera une sécurité entière au milieu même de vos tribulations.
« Espérez dans la sécheresse de l’âme, dans la pauvreté, comme un serviteur espère dans la fortune de son maître, et espérez, comme ce serviteur, que Dieu vous donnera la nourriture dont vous avez besoin, le secours qui vous est indispensable pour vous soutenir, un abri pour vous couvrir, et vous ne serez point trompée dans votre espérance.
« Espérez quand vous êtes dans l’état de péché. Pourquoi, ma fille? Parce que Dieu est un médecin qui connaît la manière de guérir l’infirmité de votre âme, qui peut la guérir et le désire.
« Ce que je viens de vous dire, ma fille, vous fait comprendre la nécessité de l’espérance. Sans elle, vous ne pouvez obtenir le ciel, parce que Dieu ne veut le donner qu’à ceux qui l’espèrent. Ceux qui l’espèrent, en effet, seuls font ce qui est nécessaire pour l’obtenir, et nul ne l’obtiendra s’il ne l’a mérité.
« En qui peut et doit se trouver l’espérance? L’espérance n’est point dans le ciel où les anges et les élus jouissent de la vue de Dieu. S’ils le possèdent, ils n’en attendent plus la possession; par conséquent ils n’ont point l’espérance. L’espérance n’est point dans l’enfer. Les démons et les damnés savent qu’ils sont à jamais séparés de Dieu. Ils n’attendent donc point la jouissance de sa vue et de sa gloire; par conséquent ils n’ont point l’espérance. L’espérance était parmi les âmes qui attendaient ma venue, et le bonheur du ciel que je devais leur donner par la satisfaction de ma croix offerte à mon Père. L’espérance est dans le purgatoire, parmi les âmes qui n’ont point encore satisfait à la justice de Dieu, et qui attendent le moment où elles jouiront du bonheur. L’espérance est parmi les hommes tant qu’ils sont sur la terre. C’est, en effet, dans la vie que le ciel leur est montré comme une récompense, et qu’ils cherchent à l’obtenir par les actes de vertus qu’ils accomplissent.
« Ayez une ferme espérance en Dieu, ma fille, une ferme espérance en moi. Cette vertu est comme un trait qui me perce le coeur, non pour me faire souffrir, mais pour que j’en laisse sortir les flots de ma miséricorde sur l’âme qui espère en son Sauveur. Allez, ma fille, marchez dans cette belle voie de la sainte espérance, vous ne serez point trompée. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 9
Après m’avoir parlé ainsi, le Sauveur Jésus s’arrêta quelque temps et me regarda avec une expression de bonté qui me pénétra jusqu’au fond de mon âme. J’étais toujours à ses genoux. Je trouvais un charme inexprimable en ses paroles. Je craignis un instant qu’il ne continuât point à m’entretenir. Je désirais bien entendre encore sa parole. Il me semblait qu’il lisait en mon âme le désir que j’avais, et je lui dis : Seigneur, je désire encore que vous me parliez; mais que votre volonté soit faite et non la mienne.
« Ma fille, me dit-il, je veux vous entretenir encore et vous parler de la charité.
« La charité est triple, et vous pouvez la considérer dans son essence, qui est Dieu, dans sa personne, qui est le Saint-Esprit, et dans le don que Dieu en fait à l’homme, savoir : la vertu de charité.
« La charité est l’essence de Dieu; c’est ce qui constitue la Divinité; la charité c’est Dieu. La charité en Dieu n’est point un simple accident, c’est-à-dire quelque chose qui pourrait ne pas être en lui; la charité, c’est l’être même de Dieu.
« La charité est la personne du Saint-Esprit. La personne du Saint-Esprit, en effet, qui procède du Père et du Fils, est l’éternel amour du père pour le Fils et du Fils pour le Père. Le Saint-Esprit est le lien du Père et du Fils, et ce lien vient du père et du Fils; il est dans le Père et dans le Fils; il en est pourtant distinct, et ne fait qu’un néanmoins avec le Père et le Fils. Le Père est charité, le Fils est charité, le Saint-Esprit est charité. Je dis néanmoins que la charité est la personne du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, et qui unit, par la charité, qui est lui-même, la personne du Fils à la personne du Père.
« La charité comme vertu est le don que Dieu fait à l’homme du mouvement surnaturel de son cœur vers la Divinité, comme objet de son amour.
« C’est de la charité comme vertu que je veux vous entretenir.
« La charité, ma fille, remarquez-le bien, diffère de l’amour, de la bienveillance, de l’amitié et de l’affection. On confond souvent ces choses entre elles. Je veux que vous en ayez une idée claire et nette, afin que vous compreniez mieux la nature de la charité.
« L’amour est un nom générique qui désigne la propension naturelle vers une chose bonne ou mauvaise; c’est une passion de l’âme. Ce nom s’applique à la tendance, à la propension vers une chose dont on recherche le bien qui est en elle. Ainsi on aime une fleur, une habitation, un lieu. Cet amour vous pouvez l’appeler l’amour de désir.
« Mais quand on aime ainsi un objet ou une personne, et qu’on désire du bien à cet objet ou à cette personne, cet amour s’appelle bienveillance, parce qu’on veut du bien à ce qu’on aime.
« L’amitié renferme plus que la bienveillance. Il y a bienveillance quand on désire du bien à quelqu’un sans qu’il y ait réciprocité de sa part. L’amitié requiert cette réciprocité. L’amitié consiste à aimer et à être aimé, à aimer et à savoir qu’on est aimé. Il y a entre deux amis communication réciproque du cœur.
« La charité est l’amour de Dieu fondé sur la communication future de la béatitude. La charité ne s’adresse d’abord qu’à Dieu, elle n’a que Dieu pour objet; secondairement elle s’adresse aux hommes en qui on voit l’image de Dieu, et parce que Dieu l’a voulu comme condition de la communication de son bonheur.
« La charité est une vertu ou un don surnaturel intrinsèquement inhérent à l’âme, par lequel l’homme aime Dieu par-dessus tout, à cause de ses perfections, et le prochain en Dieu et pour Dieu.
« La charité est au dessus de toutes les autres vertus, à cause de sa nécessité, de ses œuvres, de sa durée et de sa dignité.
« Pour la nécessité, elle est évidente. Quand vous auriez tous les autres dons spirituels, si vous n’avez point la charité, ces dons ne vous servent de rien pour le salut; et avec la charité sans rien de plus, vous feriez sûrement votre salut.
« La foi elle-même, cette foi qui transporte les montagnes, ne vous servirait de rien sans la charité. Le martyre, s’il pouvait être enduré sans la charité, ne vous servirait de rien. La conversion du monde entier opérée par votre parole, sans la charité, ne vous servirait de rien.
« Il n’y a point de vertu sans la charité, de vertu véritable, vivante, opérante. La vertu, en effet, est un mouvement vers le bien. Or, le bien suprême c’est Dieu; pour tendre vers lui, il faut le connaître et l’aimer. On ne va point vers celui qu’on n’aime pas; on ne le cherche pas, on ne désire point jouir de sa présence, on ne s’empresse point de lui être agréable. La charité vous fait aimer Dieu, vous le fait désirer, vous porte à lui être agréable, afin qu’il se rapproche de vous, et vous de lui. La charité vous attache à lui, c’est là le caractère spécial du mouvement vers le bien. Comme il y a plusieurs vertus, il faut que chacune ait un mouvement particulier. La vertu de foi meut l’âme vers Dieu et la porte à affirmer son existence; la vertu d’espérance meut l’âme vers Dieu et la porte à attendre la jouissance de sa vue; la vertu de charité meut l’âme vers Dieu et la porte à s’attacher à lui. Le mouvement de la vertu de charité est la vie des deux mouvements donnés à l’âme par les vertus de foi et d’espérance. On peut avoir la foi et l’espérance sans la charité; mais cette foi et cette espérance sont sans couleur, sans force, sans action féconde et fructueuse. Vous avez la foi, vous n’avez point la charité; cette foi tournera à votre ruine et à votre condamnation; cette foi n’est donc pas une vertu véritable, une vertu vivante, puisque toute vertu doit tourner à la gloire et à la béatification de celui qui la possède. Vous avez l’espérance; mais quel est donc le fondement de cette vertu? Que pouvez-vous espérer, si vous n’aimez point Dieu? Vous attendez la vision de sa gloire? Mais Dieu ne l’accorde qu’à ceux qui l’aiment. Vous ne l’aimez pas, vous ne participerez point à la récompense qu’il donne à ses amis.
« La charité, ma fille, est la voie qui mène au ciel. Vous ne pourriez rentrer dans votre maison, si vous n’aviez point une voie que vous puissiez suivre; de même, sans la charité, vous ne pouvez point aller au ciel.
« Par conséquent, de toutes les vertus, la charité est la plus nécessaire, celle que vous devez le plus désirer, le plus conserver, le plus aussi chercher à augmenter.
« La charité est au dessus de toutes les autres vertus, à cause de l’excellence de ses œuvres.
« Toutes les œuvres produites par la charité sont bonnes; voilà pourquoi je suis venu en allumer le feu sur la terre, n’ayant qu’un seul désir, celui de voir le monde entier embrasé par ses flammes. Celui qui a la charité, qui aime Dieu, cherche à lui plaire, observe sa loi et ses commandements, n’agit que pour suivre en tout sa divine volonté.
« Celui qui a la charité opère par conséquent des œuvres de vertu, puisque la charité en est le fondement et comme le souffle qui les inspire. Enfin, celui qui a la charité, faisant le bien, évite le mal, afin que le bien qu’il opère se conserve et demeure, afin qu’aimant Dieu, il ne fasse rien qui puisse l’attrister ou lui déplaire.
« Estimez donc la charité qui vous obtiendra tant de mérites pour la vie qui ne passera jamais.
« La charité est de toutes les vertus celle qui dure le plus. La durée de la charité peut se considérer sous trois aspects principaux, et, sous ces trois aspects, on peut dire que la charité ne tombera jamais et qu’elle demeurera toujours. La charité dure toujours en ce sens qu’elle ne tombe jamais dans le péché mortel tant que la charité est dans une âme, cette âme a la vie, conserve la vie et fuit la mort, c’est-à-dire le péché.
« La charité dure toujours dans ceux qui sont confirmés en grâce comme dans les apôtres, parce que la grâce donne la charité, et qu’avec la confirmation dans la grâce on reçoit aussi la confirmation dans la charité.
« La charité dure toujours, même après cette vie. La foi et l’espérance finissent avec la vie; mais après la mort la charité est reçue dans le ciel avec les âmes, et la félicité de ces âmes consistera dans la conservation, et, bien mieux, dans la perfection de la charité.
« La charité est de toutes les vertus la plus précieuse, parce que c’est celle qui rapporte le plus à l’âme. La foi fait regarder Dieu; l’espérance le fait attendre; la charité le fait posséder. Or, vous le comprenez, la possession d’une chose quelconque est de beaucoup préférable à son regard ou à son attente. La charité est aussi de toutes les vertus la plus estimable, parce que la charité est la vertu qui rehausse le plus une âme. C’est elle qui élève l’âme jusqu’à Dieu, c’est elle qui l’unit à Dieu, c’est elle qui la couronne en lui.
« Voilà, ma fille, en quelques paroles, la nature de la charité. Quel est le sujet de la vertu de charité? En quelle proportion est-elle dans les âmes? Peut-elle croître, diminuer ou se perfectionner, ou bien reste-t-elle toujours dans le même état? Quelle est la perfection de la charité? Peut-on avoir sur la terre la perfection absolue de la charité? Vous ne vous êtes jamais demandé cela à vous-même. Il est pourtant bon et utile de réfléchir ainsi et de considérer la vie intérieure de l’âme. Sans cette considération, peu à peu on se relâche, on tombe dans l’engourdissement, on perd le bien surnaturel que l’on possède.
« Écoutez-moi avec attention. La charité, je vous l’ai déjà dit, ne finit point avec la vie. Elle continue dans le ciel. La charité n’existe pas dans l’enfer, séjour du désordre et de la haine éternelle contre Dieu. La charité sur la terre se trouve dans les âmes qui ont en elles la grâce.
« La charité réside principalement dans une des facultés de l’âme; cette faculté, c’est la volonté. C’est la volonté en effet, qui saisit Dieu et s’attache à lui dès qu’il lui est présenté par l’intelligence.
« Il y a des degrés dans la charité et dans le don de la vertu de charité que Dieu accorde aux hommes. Ce degré est plus ou moins grand, selon la volonté divine et selon les dispositions que Dieu découvre dans l’âme. Quand la vertu de charité lui est donnée, l’âme peut augmenter en elle l’intensité de sa charité. La charité augmente à mesure qu’on se rapproche de Dieu. La charité n’augmente pas d’une manière sensible par chaque acte de charité, mais chaque acte dispose à l’augmentation de la charité, parce que chacun de ces actes rend l’homme plus apte à agir de nouveau selon la charité. Celui qui est dans l’état de charité peut désirer de l’augmenter de plus en plus, et trouve toujours en lui une capacité qui n’est jamais remplie.
« Il y a trois degrés dans la charité qui vous montreront qu’elle est susceptible d’augmentation et de progrès.
« La charité telle qu’elle est donnée par la grâce de Dieu; la charité déposée dans l’âme, mais soutenue et fortifiée; et enfin la charité parfaite ou la charité que rien ne peut enlever d’une âme.
« Il y a trois sortes de perfections dans la charité : la perfection de la charité en Dieu, la perfection de la charité dans le ciel et la perfection de la charité sur la terre. »En Dieu; car il est parfait et Dieu est charité, par conséquent il y a en lui perfection dans la charité. Cette perfection divine de la charité qui est Dieu, n’appartient qu’à Dieu.
« Dans le ciel, la perfection de la charité consiste en ce que toutes les puissances de l’âme sont uniquement attachées à Dieu et ne peuvent tendre que vers lui.
« La perfection de la charité sur la terre est triple et renferme trois degrés. La charité est parfaite dans un homme qui se donne tout entier à l’étude de Dieu, à la recherche de Dieu et de ce qui est à Dieu, oubliant tout le reste et s’occupant à peine de ce qui est nécessaire pour l’entretien de sa vie.
La charité est parfaite dans celui qui tient habituellement son cœur uni à Dieu, de telle manière qu’il ne veuille et ne désire rien qui soit contraire à l’amour de Dieu. La charité est parfaite dans celui qui tend vers Dieu, non seulement par l’accomplissement des commandements, mais encore par la pratique des conseils évangéliques.
« Telle est la perfection possible de la charité sur la terre; la perfection absolue de la charité ou le plus haut degré de charité qui puisse se concevoir n’est point possible sur la terre, parce qu’on peut toujours concevoir une charité plus parfaite dans celui qui a la charité parfaite.
« Je n’ai pas besoin d’insister longuement, ma fille, pour vous montrer que la charité peut diminuer et se perdre. Adam avait la charité, il la perdit par son péché. Les chrétiens, après leur baptême, ont la charité, un seul péché mortel suffit pour la leur faire perdre. En effet, ma fille, pécher mortellement, c’est se retirer et s’éloigner de Dieu, c’est se révolter contre lui, et l’éloignement et la révolte sont opposés à la charité, ils la ruinent et la font disparaître.
Le péché mortel est la mort de la charité dans une âme; le péché véniel en est la diminution. Le péché véniel n’est qu’une petite offense, une légère révolte, mais néanmoins c’est une révolte et une offense; ces péchés, par conséquent, diminuent la charité; ils ne séparent pas tout à fait, ils n’éloignent pas complètement de Dieu, néanmoins ils commencent la séparation et l’éloignement.
« Fuyez donc, ma fille, non seulement le péché mortel, mais encore le péché véniel, qui est si préjudiciable aux âmes. Conservez précieusement la charité. Si vous avez la charité, vous le reconnaîtrez aux signes que je vais vous indiquer. Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, à moins que cela ne lui soit révélé. On peut néanmoins avoir une connaissance suffisante de l’état de sa conscience et de son âme quand on fait attention aux signes principaux qui témoignent de la possession de la charité.
« Si vous pensez à Dieu volontiers et avec plaisir, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité. Là où est votre cœur, là est votre trésor, c’est-à-dire Dieu, et celui qui a Dieu pour trésor n’a rien à craindre.
« Si vous entendez parler de Dieu avec plaisir, si vous retenez les paroles bonnes et édifiantes que vous aurez entendues, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous vous entretenez souvent avec Dieu, si vous lui parlez par la prière, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous donnez volontiers pour Dieu ce qui vous appartient, ce dont vous pouvez disposer, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous souffrez patiemment les douleurs de cette vie en vue de plaire à Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous observez fidèlement les commandements de Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous aimez tout ce que Dieu aime, ce qui lui est agréable, les œuvres de vertu; si vous détestez tout ce qu’il déteste, le crime et le vice, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Tels sont, ma fille, les signes divers auxquels vous reconnaîtrez que la charité est en vous. Si vous avez la charité, Dieu vous aime parce que vous lui êtes agréable, et vous êtes vraiment ainsi digne de son amour.
« Il ne suffit pas, ma fille, que vous sachiez ce que c’est que la charité et quel est le sujet de la charité, il faut que vous en connaissiez encore l’objet, afin que vous exerciez dignement la vertu de charité.
« La charité, dans son exercice, trouve quatre objets sur lesquels elle doit se porter : Dieu, votre âme, votre prochain et votre corps. Dieu, qui est au dessus de votre âme; votre âme, qui est ce qui vous touche le plus après Dieu; le prochain, qui est votre frère et votre semblable; enfin, votre corps, ce compagnon de votre exil et de votre pèlerinage ici-bas.
« Dieu, ma fille, est le premier objet de votre charité.
« Vous devez aimer Dieu par reconnaissance. C’est de lui que vos avez reçu tout ce qui est en vous, l’âme et le corps, la rédemption et la grâce. C’est lui qui vous facilite tous les moyens d’aller au ciel, et qui veut vous le donner et vous y montrer à découvert la splendeur de sa gloire.
« Vous devez aimer Dieu parce qu’il est infiniment aimable. Vous devez l’aimer à cause de sa sainteté, à cause de ses perfections : car on doit aimer et on aime tout ce qui est bon, tout ce qui est bien, tout ce qui est parfait. Or, est-il bien ou perfection supérieure à celle de Dieu?
« Vous devez l’aimer, non seulement parce qu’il est Dieu, mais parce qu’il est votre Dieu, c’est-à-dire votre Maître, votre Seigneur, c’est-à-dire parce qu’il s’est pour ainsi dire donné à vous et qu’il veut être votre possession, votre Dieu. Oui, Dieu vous appartient, car il est votre Père; Dieu vous appartient, car vous êtes son enfant. Eh bien! puisqu’il en est ainsi, aimez Dieu, aimez-le de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, c’est-à-dire aimez-le autant que vous pouvez l’aimer, en lui consacrant votre intelligence, votre volonté, votre corps, tout ce qui est en vous. Aimez-le non seulement intérieurement, mais manifestez encore votre amour par des œuvres extérieures. Aimez Dieu toujours; aimez Dieu dans toutes les positions, dans tous les événements, dans tous les actes, dans tous les désirs de votre vie. Que votre vie ne soit qu’une seule chose, l’amour continuel de Dieu, plus grand que celui de vous-même, de vos parents, de vos amis et de toutes les choses du monde.
« C’est là un commandement formel qui est imposé à toute créature raisonnable et dont l’observation produit les plus grands biens, comme sa violation entraîne des malheurs considérables.
« La charité ou l’amour de Dieu produit les plus grands biens. En effet, elle efface la multitude des péchés qu’on peut avoir commis, et j’adresserai à tous les pécheurs qui auront imité Marie-Madeleine les paroles que je lui adressai à elle-même : Tous vos péchés vous sont remis parce que vous avez beaucoup aimé.
« La charité est la lumière de l’âme. Quand on aime quelqu’un, on cherche tous les moyens pour lui plaire et lui être agréable. Quand on aime Dieu, on cherche aussi à lui plaire et on en trouve facilement le moyen, parce qu’il se rapproche de celui qui l’aime. En se rapprochant de lui il l’éclaire, parce qu’il est la lumière éternelle, dont la clarté n’est comparable à aucune autre lumière.
« La charité est la sauvegarde de l’âme, non seulement en tant qu’elle préserve du mal, mais en tant qu’elle donne Dieu lui-même pour gardien. Dieu aime ceux qui l’aiment, il les garde, il les préserve de tout malheur, comme l’homme garde et préserve de tout mal la prunelle de son œil. Elle obtient le secours de Dieu dans les nécessités de la vie, elle soutient à l’heure de la mort. La charité, en effet, donne du courage dans toutes les situations pénibles, parce qu’elle fait tout endurer pour l’amour de Dieu; elle soutient à l’heure de la mort, car celui qui a la charité ne craint pas la mort, au contraire, il la désire, parce qu’après la mort il possédera Dieu, non par l’espérance, mais en réalité.
« La charité tourne tout ce qui est dans l’homme à son avantage et à son profit : le bien et la souffrance, la consolation et la tristesse, parce qu’elle rapporte tout à Dieu, et que cette relation sanctifie tout, et que tout acte sanctifié est un bien pour celui qui l’opère.
« La charité, enfin, donne ici-bas un avant-goût de la réalité du ciel. Elle élève au plus haut degré de la contemplation de Dieu les âmes qui la possèdent, et les tient ainsi ravies en Dieu, loin des biens méprisables de la terre, de ses plaisirs, de ses honneurs et de ses consolations.
« Tout, au contraire, s’élève contre celui qui n’aime pas Dieu. Le péché s’empare de son cœur et le fait ramper terre à terre; les contrariétés de la vie et ses diverses épreuves se tournent contre lui; le monde entier, selon l’expression du sage, combat pour Dieu et contre les insensés qui ne savent point s’attacher à Dieu et l’aimer.
« La vertu de charité est unique en elle-même, mais elle a plusieurs objets différents. Elle s’exerce sur Dieu, elle doit s’exercer aussi sur soi-même et sur le prochain, selon le précepte que j’en ai donné quand j’étais sur la terre : Aimez Dieu par-dessus tout et le prochain comme vous-même.
« Le chrétien doit aimer le prochain comme il s’aime lui-même. Dans le chrétien comme dans chaque individu, il y a deux choses : l’âme et le corps. Vous devez donc aimer en vous et votre âme et votre corps, et dans les autres, leur âme et leur corps.
Voici l’ordre que vous devez suivre dans cet amour de vous-même et du prochain.
« D’abord, vous devez commencer par vous aimer vous-même, puisque l’amour que vous devez avoir pour le prochain doit être à l’exemple de celui que vous devez avoir pour vous. Vous devez aimer votre âme plus que celle de votre prochain, c’est-à-dire que vous devez aimer votre âme avant et de préférence à celle de votre prochain, mais vous devez aimer plus l’âme de votre prochain que votre corps, tout comme vous devez commencer par aimer votre corps avant celui de votre prochain.
« Pourquoi, ma fille, devez-vous plus aimer votre âme que celle de votre prochain ou devez-vous aimer votre âme avant celle de votre prochain? Cela se conçoit aisément. Vous aimez Dieu comme principe du bien, vous devez vous aimer vous-même en Dieu par charité pour obtenir société avec Dieu, qui sera votre bien. Cette future association de vous-même avec Dieu est la raison de l’amour que vous avez pour Dieu, amour qui sera la mesure de votre union à Dieu. Or, l’unité de participation à Dieu est préférable pour vous à l’union de plusieurs avec vous dans cette même participation, par conséquent vous devez chercher d’abord votre union à Dieu avant celle d’autrui. Vous avez la preuve de ce que je vous dis, ma fille, en ce qu’il vous est défendu de faire le plus petit péché pour délivrer qui que ce soit de son péché, parce que ce péché vous détournerait plus ou moins, selon sa malice, de la participation du souverain bien.
« Mais vous devez plus aimer l’âme que votre frère ou de votre prochain que votre propre corps. Ainsi, ma fille, vous seriez tenue d’exposer votre vie, c’est-à-dire la vie du corps, pour procurer le salut de l’âme d’une personne quelconque, si vous pouviez, en exposant votre vie, même en la sacrifiant, sauver l’âme de cette personne. Ce serait là, ma fille, la marque d’une charité parfaite, bien comprise et bien entendue. Vous n’êtes point tenue à cela par nécessité de charité, c’est-à-dire pour avoir la charité; mais la charité parfaite porte à ce sacrifice, tant à cause du bonheur que vous procurez à l’âme que vous sauvez, que de la gloire qui en revient à Dieu.
« Ce que je vous ai dit de la préférence que vous devez donner à votre âme dans votre amour doit vous faire comprendre la préférence que vous devez aussi donner à votre corps sur le corps de votre prochain.
« Vous devez aimer le prochain. Savez-vous quel est votre prochain? Votre prochain est tout être raisonnable de qui vous pouvez recevoir quelque bien en vue de la vie éternelle, ou à qui vous pouvez rendre quelque bien de cette sorte.
« Ainsi les anges comptent parmi votre prochain, parce qu’ils vous obtiennent des biens spirituels, parce qu’ils veuillent sur vous, parce que vous partagerez un jour leur bonheur et que vous serez véritablement leur proche. Les élus du ciel sont votre prochain; ils sont de la grande famille humaine à laquelle vous appartenez, et ils vous obtiennent de Dieu les secours qui vous sont nécessaires pour arriver au bonheur qu’ils possèdent eux-mêmes. Tous les justes de la terre sont votre prochain, non seulement parce qu’ils sont disposés à vous faire du bien, mais parce que vous pouvez leur en faire à votre tour, et vous devez aimer par charité les anges, les élus du ciel et les justes de la terre. Les âmes qui sont dans le purgatoire sont votre prochain, vous pouvez et devez prier pour elles, afin de les soulager dans leurs peines et d’obtenir leur délivrance.
« Les pécheurs sont aussi votre prochain, et vous devez les aimer par charité. Vous devez considérer deux choses en eux : leur personne et leur péché. Leur personne est susceptible de participer au bonheur du ciel, et vous devez aimer leur personne; mais le péché qui est en eux mérite votre haine et votre aversion. Ne confondez pas le péché avec le pécheur. Haïssez le péché comme Dieu le hait; mais aimez le pécheur comme Dieu l’aime dans sa miséricorde, puisqu’il ne veut point sa mort, mais sa conversion et sa vie.
« Si le précepte de la charité s’étend sur tous les hommes de la terre, sur les âmes du purgatoire et celles qui participent au bonheur du ciel, il ne s’étend point aux démons ni aux damnés. Les démons et les damnés ont tellement déformé leur nature que vous ne devez point les aimer, mais les haïr comme Dieu, qui les haïra éternellement. »
Le Sauveur Jésus me dit un autre jour : « Ma fille, si vous voulez bien accomplir le précepte de la charité, prenez-moi toujours pour modèle. Considérez de quel amour j’ai aimé les hommes, et vous verrez qu’il avait trois caractères bien distincts.
« Je les ai aimés gratuitement, c’est-à-dire sans avoir rien reçu d’eux et sans qu’ils m’aient aimé les premiers. Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, ma fille, vous n’aimeriez point votre prochain. J’ai aimé les hommes, non à cause du bien qu’ils m’avaient fait, mais uniquement pour leur faire du bien. C’est ainsi que vous devez aimer votre prochain, sans rien attendre de lui, et dans la disposition de lui faire toujours du bien si vous le pouvez. J’ai aimé les hommes, même mes plus grands ennemis, mes bourreaux, et, sur la croix, je demandai à mon Père leur pardon. Si vous avez des ennemis, si vous rencontrez des personnes qui vous persécutent, qui vous chagrinent, loin de les haïr, aimez-les encore plus que vos amis, ce sera le moyen de vous les concilier et de vous rendre plus agréable à Dieu.
« J’ai aimé les hommes avec discrétion. Je n’ai jamais aimé en eux le vice ou le péché. J’ai guéri le paralytique en lui disant : Tes péchés te sont remis. J’ai pardonné à la femme adultère en lui disant : Allez, ne péchez plus. J’ai pardonné à saint Pierre, et mon regard pénétra jusqu’au fond de son âme. J’ai pardonné à l’apôtre incrédule, et il se releva plein de foi en disant : Mon Seigneur et mon Dieu! et le pardon que je leur ai accordé était bien la preuve de mon amour pour eux. J’ai pardonné tous les péchés des hommes sur la croix; mais ce pardon n’était point l’approbation de ces fautes, c’en était la condamnation par l’éclat de ma miséricorde, puisqu’il a fallu la souffrance d’un Dieu pour effacer le péché. Ainsi, ma fille, il faut aimer le prochain, mais néanmoins condamner et haïr tout ce qu’il y a de répréhensible en lui, c’est-à-dire le vice et le péché.
« J’ai aimé les hommes d’un amour extrême et fructueux. Je les ai aimés d’un amour extrême, car j’ai quitté la splendeur des cieux, je me suis fait homme, je me suis humilié jusqu’à la mort de la croix. Je les ai aimés d’un amour fructueux, puisque mon amour leur a rendu la vie, leur a ouvert le ciel. Aimez ainsi le prochain, en vous dépouillant de votre volonté propre, en vous mortifiant, en vous sacrifiant pour lui, en travaillant autant que vous le pourrez à son salut; et ainsi vous aimerez véritablement votre prochain, car vous l’aimerez comme j’ai aimé moi-même les hommes.
« Aimez le prochain, ma fille; aimez-le en Dieu et pour Dieu, et en aimant le prochain vous aimerez Dieu, et ces deux amours en feront qu’un amour, l’amour de Dieu, bien que les objets et les actes de cet amour soient distincts, parce que votre amour se terminera toujours directement ou indirectement à Dieu.
« Vivez dans l’amour de Dieu, dans cet amour tel que je vous l’ai fait connaître, dans l’exercice de cette vertu que je dépose dans tous ceux qui reçoivent ma grâce.
« Si vous avez l’amour de Dieu, si vous vivez dans la charité, quand vous n’auriez d’autre toit que le ciel, d’autre nourriture que celle qui vous serait offerte par la charité publique, d’autres vêtements que des haillons, vous êtes plus riche que ceux qui possèdent des trésors immenses s’ils n’aiment pas Dieu.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, la charité rendra tout aimable en vous; elle attirera sur vous l’admiration des anges et des hommes, et répandra sur toutes vos actions la douceur et la suavité de son impression.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l’amour de Dieu, vous serez pleine de force et d’énergie, vous deviendrez capable des plus grandes choses et rien ne pourra vous résister.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l’amour de Dieu, votre âme généreuse se détachera de tout et sera prête aux plus grands sacrifices. Rien ne l’étonnera, rien ne l’ébranlera, rien ne l’épouvantera; vous traverseriez des armées rangées en bataille, votre âme, calme et tranquille, ne se sentirait point trembler ni craindre.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, vous déposerez vos peines en son sein, vous épancherez votre cœur dans le coeur de Dieu, seul objet digne de votre confiance, seul être capable de vous consoler, et vous éprouverez combien est doux et suave le service de Dieu au milieu des plus grandes tribulations.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, vous ne vous appartiendrez plus; Dieu sera votre maître, il règnera sur vous, il vous parlera, et vous lui obéirez sans pouvoir lui résister, parce que l’amour que vous aurez pour lui vous attirera vers lui par l’accomplissement de sa volonté.
« O amour! amour! amour! flamme de la charité, comment se fait-il que, désirant si fort de te communiquer, tu embrases si peu de cœurs? Le savez-vous, ma fille? Ah! c’est qu’il trouve l’entrée des âmes fermée et que ses traits s’émoussent sur des cœurs aussi durs que le roc. Priez Dieu qu’il dispose ces cœurs à recevoir et à conserver la grâce; il les ouvrira, il les ramollira, et avec la grâce, l’amour divin viendra habiter en eux. Le cœur d’un pécheur ressemble à une belle maison remplie de meubles vermoulus et gâtés, que la lumière du jour ne pénètre point, et qui éloigne par son infection insupportable ceux qui voudraient en approcher.
Si l’amour divin pénètre dans ce cœur, il l’éclaire, il l’illumine, il remplace par des meubles précieux ceux qui y étaient avant, il répand enfin dans tout son intérieur un parfum dont l’odeur suave monte de la terre au ciel pour inviter le Dieu de charité à venir en prendre possession.
« Ma fille, resserrons de plus en plus les doux liens qui nous unissent, que rien ne soit capable de nous séparer, ni la vie, ni la mort, ni les hommes, ni les démons. Aimez-moi chaque jour davantage; moi, je ne vous aimerai pas demain plus que je ne vous aime aujourd’hui, mais je vous donnerai des marques plus sensibles de mon amour. Ouvrez votre âme à toutes les ardeurs du divin amour, et que ses flammes circulent avec votre sang dans vos veines. Offrez-vous comme victime, et que votre sacrifice soit consumé par le feu de l’amour divin. Aimez-moi comme je vous ai aimée quand j’étais sur la terre. Que de peines, que de fatigues, de souffrances vous m’avez coûtées! J’ai donné ma vie et mon sang pour vous sauver, et, non content d’être mort une fois pour vous, je suis toujours ici près de vous dans le sacrement de mon amour. Je demeure ici constamment avec mon corps, mon âme et ma divinité par amour pour vous; demeurez ici par la pensée par amour pour moi. Quand j’instituai ce sacrement, je connaissais déjà les outrages, les irrévérences, les sacrilèges et toutes les injures que je devais y recevoir, mais je sus me contenter du petit nombre d’âmes fidèles qui devaient m’y honorer et m’y témoigner leur amour. Soyez de ce nombre, ma fille. Dédommagez-moi par votre amour de l’indifférence et de l’insensibilité de tant de mauvais chrétiens. J’ai le droit et un droit tout spécial pour attendre cela de vous.
« O amour sacré, étendez-vous sur la terre, embrasez tous les cœurs! Qu’il embrase surtout votre coeur, ma fille. Qu’il soit pour vous le plus précieux de tous les biens. Qu’il soit la souveraine beauté de votre âme. Qu’il soit le soulagement, la consolation et le repos de votre cœur dans vos peines et vos afflictions.
« O puissance de l’amour divin sur les hommes! Ô puissance de l’amour divin sur Dieu! Il donne les hommes à Dieu, il fait mourir Dieu pour les hommes!
« Je suis mort par amour pour vous, ma fille, donnez-vous donc à votre Sauveur, à votre Dieu par amour pour lui. Répondez à mon amour par votre amour, vivez par amour pour moi, sacrifiez-vous par amour pour moi, mourez par amour pour moi, parce que j’ai vécu, j’ai souffert, je suis mort par amour pour vous. »
Ainsi me parla le Sauveur Jésus, et mon âme fut toute pénétrée par l’ardeur de sa voix et la douceur de sa parole.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 10
Le Sauveur Jésus m’a dit encore en m’entretenant sur la charité : « Ma fille, je vous ai fait connaître d’une manière générale les fruits de la vertu de charité, je veux vous les faire connaître en détail et en particulier. Les fruits principaux de la vertu de charité sont : la paix, la soumission à la volonté de Dieu, le détachement de soi-même, la pauvreté, la liberté entière et complète et le bon exemple.
« La paix, ma fille, est un fruit de la vertu de charité, mais elle n’est pas une vertu spéciale et distincte des autres vertus. La paix consiste dans la concorde de ses propres désirs ou celle de ses désirs avec les désirs d’autrui. Or, de quelque manière que vous l’envisagiez, la paix est un effet de la vertu de charité. La charité, en effet, opère en vous l’amour de Dieu de tout votre cœur, c’est-à-dire que vous rapportez toutes choses à Dieu, et se rapport à Dieu est l’union ou la concorde de tous vos désirs. La charité est encore la concorde de tous vos désirs avec les désirs d’autrui, en tout ce qui n’est pas contraire à la volonté de Dieu. La charité, en effet, opère en vous un amour du prochain égal à celui que vous avez pour vous-même, d’où il suit que la charité vous fait suivre la volonté d’autrui comme votre propre volonté.
« La paix n’est point une vertu spéciale, car tous les actes qui produisent la paix ne partent que du principe de la charité; les effets de la charité sont divers, mais ne réclament point chacun pour cela une cause diverse.
« Tout le monde veut la paix, cherche la paix, mais bien peu la possèdent, parce qu’il y en a peu qui aient la charité.
« La paix a trois aspects sous lesquels on peut la considérer : la paix temporelle, la paix spirituelle et la paix éternelle.
« La paix temporelle, c’est la paix dans la famille, dans les cités, dans les empires; elle vient de la charité parce que la charité est l’union des cœurs, et l’union des cœurs la paix des familles, et l’union des familles la paix des cités, et l’union des cités la paix des royaumes et des empires; car la charité c’est l’accord, l’entente entre deux hommes, entre plusieurs hommes, entre plusieurs peuples divers. Là où il n’y a point de charité il n’y a point de paix.
« La paix temporelle, c’est la paix ou le calme du corps, c’est la concorde entre l’esprit et la chair, c’est l’entente dans les diverses opinions.
« Le corps est en paix, il a le calme, quand il ne souffre pas, quand il n’a point de maladies; la charité lui conserve ce calme et cette paix, même dans la souffrance et la maladie, parce que la charité les fait aimer, et l’amour est le conservateur comme le producteur de la paix.
« La charité conserve la paix entre la chair et l’esprit, parce qu’elle dompte la chair et permet à l’esprit de demeurer uni à Dieu, et cette paix contribue au bien-être temporel.
« La charité conserve la paix entre des opinions diverses, car la paix ne consiste pas dans la concorde des opinions, mais dans la concorde de ce qui est bien et mène à la vie éternelle. La diversité d’opinion n’est point une attaque à la paix, c’est l’usage rationnel et raisonné de la liberté dans le mouvement actif de l’intelligence, et rien dans cet usage légitime ne peut combattre la paix. La charité même la maintient, parce qu’elle voit et interprète en bien ce mouvement actif de l’intelligence d’autrui.
« Si vous avez la charité, ma fille, vous aurez cette paix temporelle. Car si vous avez la charité, si vous m’aimez, vous vous tournerez vers moi dans les souffrances et les maladies de votre corps, dans l’affliction ou l’abattement de votre cœur, dans les contradictions ou les contrariétés de votre esprit; vous viendrez à moi sans effort me faire part de votre état avec la sincérité et la confiance d’un enfant. Vous viendrez me donner communication de vos peines les plus secrètes, les plus cachées, les plus intimes. Je vous recevrai avec affection, et dans la tendresse de ces épanchements vous vous trouverez déchargée du poids qui pourrait vous oppresser, et vous conserverez la paix et l’égalité de votre âme. Combien de personnes affligées, souffrantes et durement éprouvées, supporteraient leurs épreuves, leurs souffrances, leurs afflictions, si elles avaient la charité, sans perdre jamais la paix ni le calme de leur âme; mais sans la charité elles se troublent et rien ne peut les consoler. Elles me prendraient pour leur confident et trouveraient combien je mérite de l’être, parce que je les aimerais moi-même avec constance et fidélité, ne les abandonnant point alors que tous les autres les abandonnent ou se séparent d’elles, parce que je compatirais à leur douleur et que je les consolerais. Chacun a ses peines ici-bas. Si vous entretenez toujours un ami de vos afflictions, votre conversation lui deviendra importune et désagréable. Mais moi, ma fille, non seulement je vous écouterai, mais mon attention et ma constance vous feront tellement éprouver de consolation que vous oublierez même votre douleur, et que vos plaintes et vos épanchements ne seraient qu’une conversation pleine de félicité avec votre Sauveur et votre Dieu.
« Celui qui a la charité a la paix, parce qu’il sait de quelle manière il doit agir pour que la concorde soit en lui pour tout ce qui le concerne. Il a la paix, parce qu’il se hait lui-même, parce qu’il hait le monde, parce qu’il a confiance en Dieu.
« Il se hait lui-même, c’est-à-dire qu’il ne cherche point ses aises, ses commodités, ses satisfactions personnelles, et alors, malade, souffrant, pauvre ou malheureux, il est toujours calme et toujours en paix. Sa chair ne l’emporte point sur son esprit, il est calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité hait le monde et le méprise. Il sait que le monde passera et avec lui tout ce qui est dans le monde. Il ne s’offusque point de ses paroles, de ses jugements, de ses actes; il ne recherche ni son estime ni son affection, il ne considère que mon jugement, la connaissance que j’ai de lui, l’amitié que j’ai pour lui, et cela lui suffit, il est calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité met toute sa confiance en Dieu. La charité véritable ne peux exister avec la défiance, et sans la défiance on ne craint, on ne redoute rien, on est calme et toujours en paix. Celui qu a la charité met toute sa confiance en Dieu. Il attend par conséquent et supporte toutes les épreuves qu’il lui envoie; il n’a d’autre volonté que sa volonté, et cette conformité de volonté, c’est la paix.
« Ayez donc la charité et vous aurez la paix temporelle, vous aurez aussi la paix spirituelle.
« Vous aurez la paix spirituelle, c’est-à-dire la paix avec Dieu. La paix avec Dieu, c’est la concorde entre vous et Dieu, et c’est la charité qui vous la donne. Si vous avec la charité, vous accomplissez toujours la volonté de Dieu, vous observez fidèlement sa loi et ses commandements. Cet accomplissement vous tient nécessairement dans le calme et la paix du cœur, car il vous unit à Dieu, vous fait vivre de sa vie. Il y a donc conformité de volonté, conformité de vie, vous avez la paix véritable, la paix spirituelle.
« Quelque grand pécheur qu’ait été celui qui a la charité, par cela seul qu’il a la charité, il a paix; car le souvenir des fautes passées éloigne du péché, et là où il n’y a point de péché, là règne la paix. Le souvenir des fautes passées est le souvenir d’un état qui n’est plus et il donne une meilleure appréciation de l’état présent. Le souvenir des fautes passées que la charité a effacées rappelle le pardon qu’on en a reçu, les démarches faites pour obtenir ce pardon, l’aveu qu’on en a fait au ministre sacré, la douleur et le repentir du coeur, le don de soi-même à Dieu pour toujours, et le souvenir du pardon, c’est la paix spirituelle. Le souvenir du pardon, c’est la paix, parce qu’il rappelle l’œuvre de Dieu sur le pécheur et les paroles qu’il lui a adressées : Courage, mon fils, ne craignez point. Venez à moi; si vous êtes faible, je suis fort; si vous ne pouvez rien, je puis tout; si vous êtes pauvre, je suis riche, je vous donnerai tout ce qui vous sera nécessaire. Venez puiser à mes pieds les eaux salutaires de la grâce, ces eaux pleines de force qui jaillissent jusqu’à la vie éternelle. Venez, je serai votre bonheur, le bonheur ne se trouve qu’avec moi. Vous l’avez cherché loin de moi et il vous a échappé; vous avez voulu puiser dans les citernes bourbeuses du monde, de Satan et des passions, et vous n’y avez trouvé que des eaux empoisonnées qui ne désaltèrent point et consument plus que le feu. Venez à moi, ayez confiance en moi, écoutez ma voix, acceptez mon amour et vous aurez le bonheur autant qu’il peut être sur la terre. Le souvenir de ces paroles raffermit l’âme, la tient tournée vers Dieu et lui donne la paix.
« La charité donne la paix éternelle, c’est-à-dire le ciel. La paix éternelle, comme l’indique son nom, ne passera jamais; elle est la récompense de l’âme qui a la charité quand Dieu l’appelle à lui. La paix du ciel, c’est la paix. La charité donne la paix au ciel et sur la terre. Soyez donc toujours en état de charité; vivez aujourd’hui dans la charité et vous aurez aujourd’hui aussi la paix sur la terre, pour l’avoir demain au ciel.
« Il y a une grande ressemblance entre la paix et la soumission à la volonté de Dieu. Celui qui a la paix est soumis à la volonté de Dieu, et celui qui est soumis à la volonté de Dieu a la paix. On ne peut pas être soumis à la volonté de Dieu sans avoir la charité, comme on ne peut sans elle non plus avoir la paix. La soumission à la volonté de Dieu est donc produite aussi par la charité. La soumission à la volonté de Dieu n’est pourtant pas la même chose que la paix. La paix est un état de l’âme donné par la charité, état de calme et de tranquillité. La soumission à la volonté de Dieu est plus qu’un état, c’est une inclination active, opérante, une inclination qui fait que l’homme accomplit tout ce que Dieu veut, supporte tout ce que Dieu veut qu’il supporte, et n’attend que ce que Dieu voudra lui donner. Telle est la soumission à la volonté de Dieu.
« Or, la soumission à la volonté de Dieu est l’hommage le plus glorieux que l’homme puisse offrir à Dieu et l’acte le plus avantageux à l’homme.
« C’est l’hommage le plus glorieux que l’homme puisse offrir à Dieu. Qu’est-ce, en effet, que se soumettre à Dieu? C’est accomplir sa volonté, c’est faire ce qu’il désire, lui accorder ce qu’il demande, c’est reconnaître qu’il est maître souverain, que rien n’est au dessus de lui; c’est adorer ses desseins, c’est lui plaire en tout, c’est lui marquer son dévouement, lui donner des preuves convaincantes de l’amour qu’on a pour lui; c’est, en un mot, donner à Dieu tout ce que l’on a, car c’est se dépouiller complètement et agir en tout selon le bon plaisir de Dieu.
« Et l’homme peut-il rien faire de plus agréable à Dieu? Non, ma fille. La soumission à la volonté de Dieu est préférable pour Dieu à tous les jeûnes, à toutes les austérités, à tous les sacrifices, à l’apostolat le plus fécond et le plus fructueux, s’il ne demande rien de ces choses. Que diriez-vous d’un serviteur qui travaillerait toujours à accroître le bien-être et les possessions de son maître, qui vanterait partout sa bonté, qui lui prodiguerait toutes sortes de richesses, mais qui refuserait de lui obéir ou d’accomplir sa volonté? Que diriez-vous de ce serviteur si son maître ne pouvait lui adresser aucun reproche, aucune remontrance sans qu’il se révoltât, sans qu’il lui témoignât son mécontentement? Ne préfèreriez-vous pas un serviteur moins entreprenant, mais plus obéissant, plus soumis, plus modéré, plus respectueux? Eh bien, ma fille, il en est ainsi de Dieu.
« Dieu vous demande la soumission pleine et entière à sa sainte volonté. Si vous l’aimez, vous la lui accorderez. Vous recevrez les maladies, la souffrance, les épreuves qu’il vous imposera en lui disant : Mon Dieu, que votre volonté soit faite et non la mienne. Vous ne vous plaindrez jamais, vous recevrez tout comme des avertissements de Dieu, comme des témoignages de l’amitié de Dieu, qui veut vous purifier davantage par ses épreuves pour que vous soyez plus unie à lui.
« Ce n’est pas à dire pour cela qu’on ne puisse jamais se plaindre. Non, ma fille; mais il faut se plaindre à Dieu comme le prophète. Cette plainte n’est pas une plainte véritable, c’est un cri de prière, une demande, un appel du secours de Dieu, prière et demande dictées par la soumission.
« Combien est agréable à Dieu une âme ainsi soumises à sa sainte volonté.
« La soumission à la volonté de Dieu est aussi l’acte le plus avantageux pour l’homme. Pourquoi, ma fille? Parce que suivre cette volonté, c’est marcher dans le droit chemin, c’est marcher dans le bien, c’est suivre la direction de Dieu, et Dieu ne conduit que dans le bien et la vérité. Que cherchez-vous sur la terre? La vérité. Que désirez-vous? La possession de la vérité. Vous la trouverez dans la soumission à la volonté de Dieu, parce que vous trouverez Dieu, et que Dieu est la vérité. Dieu a fait les hommes pour les ramener à lui. Il les y ramène par plusieurs voies différentes tracées par sa volonté. Pour aller à lui, il faut suivre ses voies, et pour suivre ses voies, il faut être soumis à sa volonté. Celui qui se soumet à sa volonté, va vers Dieu, arrive au ciel. La soumission à la volonté de Dieu est donc l’acte le plus avantageux pour l’homme.
« Donc, ma fille, que Dieu vous envoie des peines, des souffrances, des tribulations, des maladies, des infirmités, des contradictions, des affronts, qu’il vous éprouve de quelque manière que ce soit, soyez soumise à sa volonté. Que cette pensée : Dieu le veut! vous aide et vous soutienne. Ayez confiance dans cette volonté, et marchez, vous arriverez au ciel.
« La soumission à la volonté de Dieu n’est pas un bien seulement pour le ciel, elle est encore un bien pour le temps. Cette soumission fait disparaître les contradictions, les maux, les souffrances et les épreuves, parce qu’elle les fait aimer en tant que venant de Dieu et de sa volonté. La soumission à la volonté de Dieu fait disparaître toute haine ou toute aversion autre que celle du péché. Une âme soumise à la volonté de Dieu s’écrie : O mon âme! Pourquoi aurais-tu de l’aversion pour cette chose? Est-il rien que tu doives détester sur la terre, si ce n’est le péché et les défauts qui sont en toi? Mon Dieu, que votre volonté se fasse en toutes choses, et donnez-moi une haine continuelle pour le péché et mes propres imperfections.
« Si la charité produit la soumission, elle produit aussi le détachement. Dieu, ma fille, suffit à celui qui l’aime et celui qui l’aime est seul véritablement détaché de tout.
« Dieu suffit à celui qui l’aime. Aimer Dieu, ma fille, c’est le posséder; posséder Dieu, c’est posséder le souverain bien, le bien qui ne passe pas, le bien qui demeurera éternellement. Or, celui qui a ce bien ne peut s’attacher aux biens périssables, ni à la vie, ni aux créatures, ni aux richesses; il en est complètement séparé, et ne s’en sert que selon les desseins de Dieu. Il ne tient à rien; aussi plus facilement s’élève-t-il vers Dieu et n’est-il point retenu comme par des liens qui l’attachent à la terre. Il accepte tout comme venant de Dieu, il se sert de tout pour aller à lui, mais ne tient pas plus à une chose qu’à une autre; il n’a qu’un seul attachement, l’attachement pour Dieu.
« Il n’est point attaché à la vie, il en ferait volontiers le sacrifice, et à l’heure fixée par le Seigneur, il remettra avec calme son esprit entre les mains de Dieu.
« Il n’est point attaché aux créatures, ni à cause de leur beauté qui est passagère et transitoire, ni à cause de leurs qualités qui pâlissent devant celles de Dieu, ni à cause des liens du sang, parce qu’il a un Père dans le ciel.
« Il n’est point attaché aux richesses, la rouille et les voleurs les enlèvent; il n’est point attaché à la gloire, aux honneurs de la vie, sa gloire consiste à servir Dieu.
« Dieu est tout pour lui, et rien ne le séparera de Dieu; ni la vie, ni la mort, ni les créatures raisonnables, ni les créatures sans raison, ni le monde, ni Satan, parce que l’amour de Dieu est plus puissant que toutes les puissances, et que rien ne peut lui résister.
« Je vous recommande, ma fille, ce détachement universel de toutes les choses créées et le détachement de vous-même. C’est là la véritable marque de la charité. On reconnaît l’arbre à ses fruits, et la charité produit le détachement.
« Parmi les diverses sortes de détachement, il en est un que je vous recommande entre tous, la pauvreté.
« Il y a deux sortes de pauvreté : la pauvreté volontaire et la pauvreté de nécessité.
« Ceux qui non seulement sont détachés des biens de ce monde, mais qui s’en dépouillent volontairement, acquièrent des richesses éternelles et un bonheur qui ne finira jamais.
« Ceux qui vivent dans la pauvreté parce qu’ils sont dénués de tout doivent bien se garder de désirer les richesses. Qu’ils s’estiment heureux plutôt d’être dans le même état où je me trouvais sur la terre avec ma Mère. Qu’ils se gardent de ternir l’état glorieux que Dieu leur a donné, par l’attache aux biens de ce monde et aux richesses. Qu’ils se disent à eux-mêmes : Nous sommes petits aux yeux des hommes, mais nous sommes grands aux yeux de Dieu. Qu’ils se disent à eux-mêmes : Nous sommes méprisés par les hommes, mais Dieu juge différemment des hommes. Qu’ils se disent à eux-mêmes : Nous sommes pauvres des biens d’ici-bas, mais nous sommes riches des biens de l’éternité. Les embarras des richesses, les difficultés et les inquiétudes qu’elles donnent ralentissent la marche vers le ciel et en détournent quelquefois, mais nous, rien ne nous arrête, nous sommes sûrs d’aller au ciel; car le ciel c’est Dieu, et Dieu est la possession et la richesse du pauvre.
« Ma fille, les pauvres doivent être soutenus dans leur état de pauvreté par la vue de ma pauvreté et de celle de ma Mère, par l’espérance de voir leur pauvreté disparaître et se changer en une richesse immense et sans bornes. C’est la charité encore qui nourrit et entretient ces sentiments de foi et d’espérance.
« Enfin, ma fille, la charité vous donnera la vraie liberté, la liberté des enfants de Dieu. Je n’entends point parler de cette liberté qui est le désordre, de cette liberté qui fait le mal. Non, cela n’est point la liberté. La liberté consiste à se soumettre volontairement à la loi. Or, celui qui aime véritablement Dieu, l’aimant toujours, fera toujours aussi ce qu’il lui commande, ce qu’il demande de lui; il se soumettra sans peine, parce qu’il l’aime et qu’il ne veut lui déplaire en rien. La volonté de Dieu sera la règle de sa conduite, et il suivra cette règle parce qu’il aime Dieu. Il fera tout ce qu’il voudra, et sera libre par conséquent, parce qu’il ne voudra que ce que Dieu veut. Tenez à cette liberté qui est la seule liberté vraie, conservez-la toujours en vous en y conservant l’amour de Dieu. Croissez dans l’amour de Dieu, et votre liberté grandira, parce que vous deviendrez de plus en plus portée à ne faire que ce que Dieu veut. »
Les vertus morales et les dons du Saint-Esprit
Les vertus morales et les dons du Saint-Esprit
Soeur Marie Lataste (1822 – 1847)
mystique catholique
Joindre l’utile au … Nécessaire ! (R.M.)

Yahweh dit à Moïse: « Va vers Pharaon, car j’ai appesanti son coeur et le coeur de ses serviteurs, afin d’opérer mes signes au milieu d’eux, et afin que tu racontes aux oreilles de ton fils et du fils de ton fils quelles grandes choses j’ai faites en Egypte et quels signes j’ai opérés au milieu d’eux; et vous saurez que je suis Yahweh. » (Exode 10, 1-2)
Livre 9
Les vertus morales et Les dons du Saint-Esprit
édition numérique originale par JesusMarie.com, 2007 avril 17
LIVRE NEUVIÈME, Des vertus morales et des dons du Saint-Esprit.
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 1
« Ma fille, me dit un jour le Sauveur Jésus, je veux vous parler des vertus de prudence, de justice, de force et de tempérance, c’est-à-dire des vertus morales. Ces vertus, comme l’indique leur nom, servent à diriger les mœurs du chrétien. Elles sont données avec la grâce sanctifiante.
« La prudence est parmi les vertus morales ce qu’est la foi parmi les vertus théologales. Elle affecte l’intelligence dont l’action précède celle de la volonté et dirige toutes les forces, toutes les puissances qui sont dans l’homme. Il y plusieurs espèces de prudence, plusieurs parties qui entrent dans la constitution de la prudence, plusieurs vertus qui sont comme les compagnes de la prudence.
« La prudence par laquelle un confesseur, un magistrat, un empereur se dirigent, est différente de la prudence par laquelle ils dirigent les hommes qui leur sont soumis ou qui leur demandent conseil; il y a donc deux sortes de prudence.
« Voici les diverses parties qui constituent la prudence; pour que vous compreniez mieux, je vais vous apprendre d’abord en quoi consiste la prudence. La prudence est cette inclination de l’âme qui fait que l’homme dirige ses actions avec une connaissance sûre pour opérer le bien. Puisque telle est la nature de la prudence, je dis que la mémoire, l’intelligence, la docilité, l’habileté, la raison, la prévoyance, la circonspection, les précautions, sont autant de parties intégrantes de la prudence. La mémoire qui rappelle le passé; l’intelligence qui donne la connaissance du présent; la docilité qui fait qu’on s’instruit par l’enseignement d’autrui et qu’on suit ses conseils; l’habilité qui fait qu’on interprète bien ce qui est passé; la raison qui par la connaissance d’une chose vous en fait connaître une autre; la prévoyance, par laquelle on devine les moyens pour arriver au but qu’on se propose; la circonspection, par laquelle on remarque les circonstances d’un événement, et la précaution, par laquelle on prévient les obstacles ou les dangers. Sans toutes ces choses, il n’y a point de prudence possible; il y a un côté faible, et la prudence n’est point une prudence véritable.
« Les trois puissances de la vertu de prudence sont : le bon conseil, un jugement droit et une vue claire et distincte.
« Comme je veux vous parler uniquement de la vertu surnaturelle de prudence, je vous entretiendrai seulement de cette vertu et des autres vertus secondaires qui doivent lui être nécessairement annexées : la discrétion, la docilité, la sollicitude et la circonspection. Si vous réunissez en vous tout ce que je vous dirai sur la prudence, vous aurez réellement cette vertu.
« La prudence, je vous l’ai déjà dit, ma fille, est cette inclination de l’âme qui fait que l’homme dirige toutes ses actions avec une connaissance sûre d’opérer le bien. La prudence est la vertu de l’intelligence en action pour opérer le bien. Par la prudence, l’intelligence cherche dans le conseil le moyen d’arriver au bien, elle trouve ces moyens dans le jugement vrai de ce qu’elle voit, et elle emploie ces moyens en suivant la voie capable de la mener au but.
« Comme vous pouvez le penser, ma fille, la prudence, cette prudence surnaturelle, seule capable d’opérer le bien surnaturel, seule capable de faire atteindre aussi la fin surnaturelle, elle vient de Dieu, c’est Dieu qui la donne et la place dans l’âme.
« Désirez ardemment cette vertu, demandez-la à Dieu, demandez-lui qu’il la développe en vous. Sans elle, toutes les autres vertus perdraient en vous leur éclat et leur beauté, elles se changeraient même aisément en vices. Car, sans la prudence, il y a toujours dans les actes excès, diminution ou défaillance, et par conséquent vice. Sans la prudence, l’homme risque de tomber dans les plus grands dangers, parce qu’il marche comme un aveugle avec pleine sécurité, et à l’heure où il y pensera le moins, il trouvera sous ses pieds sa perte et sa ruine. Sans la prudence, on ne peut faire le bien, on ne peut éviter le mal, parce que la prudence montre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, et empêche de prendre le bien pour le mal et le mal pour le bien. Rappelez-vous, ma fille, la parabole des dix vierges de l’Évangile : les cinq vierges folles étaient des vierges sans prudence; les vierges sages, au contraire, possédaient la prudence. Aussi, seules, trouvèrent-elles leurs lampes allumées à l’heure de la venue de l’époux.
« Demandez à Dieu la prudence, il vous l’accordera; vous la reconnaîtrez dans vos actions.
« Vous serez prudente si, dans toutes vos actions, vous cherchez le bon plaisir et la gloire de Dieu, si vous vous proposez par vos actes de vertu d’obtenir le ciel.
« Vous serez prudente si, pour obtenir la gloire de Dieu et votre salut, vous consultez les lois de Dieu, si vous priez pour connaître en tout la volonté divine, et si vous recourez à votre réflexion ou à celle d’autrui, parce que vous vous défiez de vous-même.
« Vous serez prudente si, dans les conseils que vous avez reçus, vous savez distinguer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, ce qui est utile des choses inutiles, ce qui est en rapport avec votre vocation et vos forces d’avec ce qui les surpasse ou s’oppose à votre genre de vie.
« Vous serez prudente si vous savez distinguer ce qu’il y a de meilleur et de plus propre à vous conduire à votre fin.
« Vous serez prudente si vous dominez votre volonté et l’obligez à accomplir ce qui est bien et à l’accomplir le mieux possible.
« Ainsi, ma fille, vous le voyez, la prudence s’exerce sur les actions extérieures des œuvres morales; il est une autre sorte de prudence qui s’exerce sur les œuvres intimes ou intérieures de l’âme, c’est le discernement.
« Le discernement, c’est la prudence spirituelle par laquelle on distingue, dans tout ce qui a rapport à l’intérieur, le bien du mal, le vrai du faux, le mieux de ce qui est bien, pour opérer ce qui est bien et meilleur, saisir ce qui est vrai, laisser le mal et répudier ce qui est faux.
« De même que Dieu dans l’œuvre de la création sépara l’eau de la terre, la terre des cieux, la lumière des ténèbres, ainsi le juste, par le discernement que lui donne la grâce, discerne toutes choses dans le monde qui est en lui, et qu’il ment et fait vivre, mettant toutes choses à leur place et réservant pour Dieu ce qui est et doit être à Dieu.
« Le discernement, c’est l’œil de l’âme; celui qui n’a pas le discernement est un pauvre aveugle, victime de mille maux qu’il ne peut éviter parce qu’il n’y voit point.
« Le discernement fait connaître ce qui est bien, ce qui est mieux, ce qui est parfait, ce qui est mal, ce qu’il y a de plus mauvais.
« Le discernement fait connaître les devoirs envers le prochain, les parents, les amis et les étrangers, envers les saints et les élus de Dieu, envers les trois personnes de la sainte Trinité.
« Le discernement fait connaître le temps du repos et du travail, de la parole et du silence.
« Le discernement fait connaître la règle des pensées et leur ordre vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de soi-même et des créatures.
« Pour que la prudence soit entière et parfaite, il faut qu’elle soit suivie de la docilité à écouter les conseils de Dieu, les conseils des hommes sages, les conseils de l’intelligence propre de chacun, quand elle est en rapport avec la raison et la pensée de ceux qui sont plus sages et plus expérimentés.
« Tous les saints ont usé de docilité, et parce qu’ils ont été dociles, ils ont été prudents, et la prudence les a sanctifiés.
« Moïse fut docile à écouter les conseils de Jéthro, saint Paul ceux d’Ananie, et le premier avait vu Dieu face à face, le second avait été ravi jusqu’au troisième ciel. À combien plus forte raison devez-vous être docile, vous ma fille, si vous voulez arriver à la perfection.
« Il y a, en effet, une infinité de choses dictées par la prudence et le discernement, et le plus sage ne peut les observer toutes par lui-même; par conséquent rien de plus nécessaire que la docilité à écouter les discours d’autrui et à les mettre en pratique. Je ne veux point dire pour cela que vous devez écouter et recevoir les conseils de tout homme qui se présentera à vous. Non, ma fille; ne recevez et ne demandez de conseil qu’aux personnes mûres, réfléchies et sages, aux personnes qui elles-mêmes sont pleines de docilité et dont la parole sera claire, sans dissimulation, ni nuages, ni malveillance.
« La docilité vous portera à suivre en tout les avis de votre directeur comme à lui dévoiler tout ce qui se passe dans l’intérieur de votre cœur. Elle vous portera à abandonner votre propre jugement pour vous conformer au sien, et cette docilité suppléera à ce qui pourrait vous manquer de prudence et de discrétion.
« Soyez docile, ma fille, soyez aussi pleine de sollicitude dans vos actions pour opérer le bien.
« La sollicitude est la promptitude de l’âme à opérer ce que la prudence et le discernement lui ont montré être conforme aux règles du vrai et du bien. La sollicitude, c’est l’empressement chaleureux de l’âme à faire le bien. Rien de plus précieux que cette sollicitude; elle arrête la tiédeur, elle empêche de tomber dans le péché. Voyez quelle sollicitude parmi les mondains pour accroître leur fortune, pour ramasser gloire et honneur sur le chemin de leur vie. Ils ne négligent rien, ils sont toujours en mouvement. Et qu’est-ce que la gloire du monde, que sont les richesses de la terre devant la gloire du ciel et les trésors de l’éternité?
« La sollicitude, ma fille, vous portera à faire vos bonnes œuvres avec empressement, avec attention, à l’heure convenable, dans le lieu opportun.
« La sollicitude vous fera éloigner les obstacles et les difficultés, et vous fera accomplir chaque action comme si elle était la dernière de votre vie.
« Enfin, ma fille, pour que la prudence soit entière et parfaite, il faut avoir encore la circonspection c’est-à-dire cette attention ferme de l’âme sur tout ce qui entoure l’action qu’on veut entreprendre, afin qu’elle se fasse selon les règles du vrai et du bien, et qu’on éloigne tous les obstacles, afin qu’une fois entreprise on ne soit point obligé de l’abandonner.
« Sans la circonspection, il sera impossible d’opérer le bien; voilà pourquoi en envoyant mes disciples prêcher la bonne nouvelle de l’Évangile, je leur parlai ainsi : Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; soyez simples comme des colombes et prudents comme des serpents.
« Je ne voulais, par ces paroles, que leur recommander la circonspection : voilà pourquoi ils devaient être simples comme des colombes, c’est-à-dire accomplir tout ce que je leur avais recommandé et se fier à moi; prudents comme des serpents, c’est-à-dire pleins d’avisement au milieu des crimes, des vices et des scandales qu’ils devaient trouver dans le monde. Or, dès que le serpent aperçoit le danger, il cache immédiatement sa tête pour la préserver, ainsi devez-vous à l’approche du danger mettre votre âme à couvert pour qu’elle ne succombe pas. Et que de périls dans le monde. Satan est toujours prêt, comme un lion rugissant, à vous dévorer. Les passions sont toujours prêtes à se déchaîner. La vertu elle-même, dans les autres comme chez soi, devient un écueil. Combien donc faut-il avoir l’œil ouvert pour apercevoir tous les dangers et aussi les moyens de les éviter.
« La circonspection évite les extrêmes, elle marche dans le droit chemin où se trouve la vertu. Elle observe, elle pèse les moyens pour arriver à la fin proposée, elle consulte dans le doute; elle ne se hâte pas pour agir, elle attend et la réflexion et le moment opportun. Néanmoins, elle ne traîne pas en longueur pour ne point laisser échapper l’occasion de faire le bien.
« La circonspection mesure toutes les pensées, toutes les paroles, toutes les actions, tous les sentiments; elle ne se fie point à tous, et ne dévoile point ce qu’il faut tenir secret.
« La circonspection ne craint point sans un sujet de crainte, et dans les dangers qu’elle ne cherche pas, elle se fie à Dieu et demeure impassible. Elle ne se laisse ni tromper, ni séduire par l’extérieur, elle pénètre au fond des choses et puis elle se prononce et agit.
« La circonspection n’ajoute point foi aisément à toutes choses, elle ne concède rien sans réflexion, ne juge point sans motifs, ne fait point de promesse qu’elle ne puisse tenir facilement; elle parle peu et se fâche rarement.
« O ma fille, soyez circonspecte, soyez docile, soyez pleine de sollicitude, acquérez le discernement et la prudence; je vous le dis, même pour le bien de votre vie matérielle et terrestre; vous ferez toutes choses selon Dieu et son divin Fils, votre Sauveur, Dieu et homme tout ensemble, et la paix qui vous donnera la vie spirituelle, reposant dans le bien, vous donnera aussi la paix du cœur. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 2
« Une des vertus les plus admirables dans l’ordre moral c’est la justice. Elle est parmi les vertus morales ce qu’est la charité parmi les vertus théologales. La justice dure dans le temps où elle commence et durera à jamais dans l’éternité.
« La justice a plusieurs aspects. Elle consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû; par conséquent selon la diversité des devoirs, vous trouverez autant d’espèces ou d’aspects dans la justice. Je ne vous parlerai point de la justice humaine ou naturelle; je ne vous entretiendrai que de la vertu surnaturelle de justice.
« La vertu de justice est une inclination surnaturelle qui porte l’homme à rendre à Dieu, au prochain et à soi-même, ce qui est dû à chacun.
« Vous devez à Dieu, ma fille, les devoirs de religion qu’il vous a prescrits, l’observation des commandements qu’il vous a donnés. Vous lui devez la reconnaissance pour tous les bienfaits dont il vous a comblée; enfin, si vous l’avez offensé, vous lui devez réparation et repentir; tels sont vos devoirs envers Dieu.
« Je vous ai déjà fait connaître quel est votre prochain. Or, je distingue dans votre prochain, vos parents, vos supérieurs, les personnes qui sont au dessus de votre position, vos égaux et vos inférieurs.
« Vous devez à tous le respect, l’amour et la vérité. Le respect, car tout homme venant de Dieu mérite que vous le respectiez; Dieu vous a fait un ordre de les aimer tous, et l’ordre vous impose l’obligation de dire à tous la vérité par vos paroles, vos signes ou vos écrits.
« Vous devez agir envers tous avec simplicité, de telle manière que vous apparaissiez à chacun dans tous vos actes et toutes vos démarches telle que vous êtes en réalité.
« Vous devez en particulier à vos parents un amour spécial parce qu’ils sont près de vous les représentants de Dieu; vous leur devez l’obéissance en tout ce qui n’est point contraire à la loi de Dieu, vous leur devez le respect le plus profond, vous leur devez la reconnaissance pour tout ce que vous avez reçu d’eux.
« Vous devez en particulier à vos supérieurs comme à vos parents amour spécial, obéissance, respect et reconnaissance.
« Vous devez en particulier à ceux qui sont dans une position supérieure à la vôtre le respect et l’honneur qui leur sont dus par le rang qu’ils occupent.
« Vous devez en particulier à vos inférieurs les secours et les soutiens que vous pouvez leur donner.
« Vous ne devez à vous-même, après avoir rempli vos devoirs envers Dieu et le prochain, que le mépris et le désir de l’humiliation.
« On pèche contre la justice envers Dieu par négligence, envers son prochain par cupidité, envers soi-même par amour-propre.
« Fuyez la négligence et vous serez exacte à rendre à Dieu tous vos devoirs; fuyez la cupidité des biens terrestres, la cupidité de vos satisfactions personnelles, et vous remplirez vos devoirs envers le prochain; fuyez l’amour-propre, ma fille, et vous remplirez aussi tous vos devoirs envers vous-même. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 3
« La vertu de force pose dans l’âme la fermeté nécessaire pour soutenir ou repousser ce que la raison et la foi disent de repousser ou de soutenir.
« La force est une vertu qui repousse une crainte coupable qui empêcherait de faire le bien, et qui chasse au loin une témérité qui ferait entreprendre une œuvre contraire à la raison.
« La force est dans l’âme comme le tronc d’un arbre qui soutient l’arbre, les branches, les feuilles et les fruits, la force soutient toutes les autres vertus. Par conséquent, ma fille, si vous ne voulez point perdre les vertus que Dieu a mises dans votre âme, vous devez conserver et tâcher d’augmenter la vertu de force en vous. Par elle vous conserverez le bien qui est en vous, par elle vous perfectionnerez ce bien, vous y attirerez celui qui n’y est point encore.
« Car si vous avez la vertu de force, vous ne craindrez ni les périls, ni la mort; vous ne craindrez ni les épreuves, ni les afflictions, ni les douleurs, ni les misères de la vie; vous ne craindrez ni les attaques du démon, ni ses tentations; vous ne craindrez ni les assauts du monde, ni ceux de vos passions.
« Vous combattrez noblement tous vos ennemis, ne cherchant pas votre gloire, mais celle de Dieu.
« Vous entreprendrez avec sécurité tout ce que Dieu vous inspirera sans craindre de vous tromper, sans craindre de ne pas atteindre votre fin.
« Vous ne regretterez rien de ce que vos pourrez donner à Dieu, ni jeunesse, ni fortune, ni tranquillité, ni bonheur; vous lui donnerez tout et vous reposerez en lui, comme un enfant sur les genoux de sa mère.
« Vous serez patiente et soutiendrez sans faillir les épreuves de la vie, sans vous troubler intérieurement ni manifester extérieurement votre tristesse.
« Vous soutiendrez longtemps les peines de votre corps et de votre âme, les maladies de votre corps, les aridités et la sécheresse de votre âme. Vous soupirerez vers la patrie du ciel, il est vrai, mais vous attendrez patiemment l’heure de Dieu.
« Vous persévérerez dans le bien jusqu’au dernier instant de votre vie. Jusqu’à la mort, vous ferez le bien et éviterez le mal.
« Vous serez comme une colonne de fer assise sur un roc de l’océan. Vainement les flots et les vents se déchaînent contre elle, elle demeure inébranlable. Vous serez ainsi, ma fille, vous serez ferme comme la montagne de Sion. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 4
« La tempérance est la quatrième des vertus morales. On peut considérer la tempérance d’une manière tout à fait générale : alors on entend par tempérance une règle quelconque dans les actions et l’usage de la vie. Je veux vous entretenir de la vertu de tempérance, c’est-à-dire de la règle qui dirige l’homme dans l’usage des choses qui le captivent le plus et peuvent le plus facilement le séparer du bien, savoir, les plaisirs de la nourriture et des sens.
« Les vertus morales sont celles qui dirigent le coeur de l’homme selon la raison des choses, pour l’éloigner du mal et lui faire pratiquer le bien dans l’usage des créatures.
« Or, parmi les choses qui se portent contre la raison et voudraient l’opprimer, il n’en est pas dont l’empire soit plus puissant que celui des plaisirs des sens, d’autant plus sentis qu’ils viennent d’un acte plus naturel ou plus en rapport avec la nature; par conséquent, le plaisir sera plus grand dans les actes qui tendent à la conservation de la nature humaine. Ces actes peuvent être considérés par rapport à la conservation de l’individu, qui s’opère par le boire et le manger, ou par rapport à la conservation de l’espèce humaine, qui s’opère par la génération. Voilà les actes les plus naturels à l’homme, les actes où il éprouve le plus de plaisir, les actes, par conséquent, qui tendent le plus à l’éloigner de Dieu. C’est donc sur ces actes que la raison, qui a été donnée à l’homme pour lui servir de lumière et de guide, doit s’exercer d’une manière toute particulière. C’est l’exercice de cette raison et la règle par laquelle elle dirige ces actes qui est la vertu de tempérance.
« Par la vertu de tempérance que Dieu lui donne, l’homme exerce une domination ferme et juste sur les plaisirs qui sont dans le goût et le toucher, pour vivre d’une manière raisonnable et conformément aux desseins de Dieu sur lui.
« On distingue dans la vertu ce qui est nécessaire pour son existence, les objets sur lesquels elle se porte et les effets qu’elle produit.
« Or, deux choses sont essentielles à la vertu de tempérance, savoir; la honte, ou ce sentiment qui éloigne de la turpitude de tout acte contraire à la tempérance, et l’honnêteté, ou ce sentiment qui fait aimer la beauté inhérente à la tempérance; car, entre toutes les vertus, la tempérance réclame cet honneur qui ressort de la vertu, et l’intempérance, le déshonneur qui ressort du vice.
« La vertu de tempérance a pour objet principal le toucher, dont elle règle l’usage.
« C’est la tempérance qui règle la sensation de plaisir qu’on éprouve au toucher. C’est pourquoi toute vertu qui tend à refréner, à modérer ou à diriger une inclination quelconque vers le mal, est une partie de la vertu de tempérance. Or, les vertus produisent cet effet de trois manières : en agissant sur les mouvements intérieurs du cœur, sur les mouvements extérieurs et les actes du corps, ou bien en observant la valeur réelle des choses de la vie.
« Outre les sensations du toucher, la tempérance règle encore les mouvements de l’âme qui l’attirent vers quelque chose, attraction qui est le toucher intérieur de l’âme.
« Le premier mouvement est celui de la volonté, émue par l’impétuosité de la passion; il est maîtrisé par la continence, qui fait que l’homme, éprouvant les assauts de la concupiscence, loin d’être battu par elle, lui résiste et lui commande en maître.
« Le second est celui que produit une espérance fausse et une audace criminelle; il est réprimé par l’humilité, qui ne s’attend à rien, qui ne réclame rien et se croit incapable de tout par elle-même.
« Le troisième est celui de la colère, qui porte à la vengeance; il est réprimé par la douceur et la clémence.
« La tempérance règle aussi les mouvements du corps en lui-même, par la modestie et les mouvements de la langue, par la réserve et le silence; elle règle enfin les mouvements du corps vers les choses créées, par la discrétion, la pauvreté et l’économie.
« Ma fille, je vous ai déjà parlé de la pureté, de la chasteté, de la virginité et de la pauvreté. Je vous parlerai maintenant sur la honte, l’honnêteté, l’abstinence, la sobriété, la continence, l’humilité, la douceur, la clémence, la modestie, le silence, la discrétion et l’économie.
« Je vous ai dit, ma fille, que les sentiments de honte et d’honnêteté sont deux sentiments ou deux inclinations de l’âme nécessaires pour la vertu de tempérance.
« La honte est la crainte du déshonneur par l’accomplissement d’un acte mauvais. Il y a quatre espèces de honte : celle du mal qu’on a commis, celle du mal qu’on commet, celle qui fait éviter le mal et celle qui empêche de faire le bien.
« La honte qui empêche de faire le bien est coupable, mauvaise, c’est le respect humain; ne craignez jamais de faire le bien, n’en rougissez jamais, ne craignez que le mal.
« La honte du mal qu’on commet est mauvaise, si elle ne produit rien que la fuite des regards d’autrui, si elle ne fait point éviter le péché.
« La honte du mal qu’on a commis est bonne, si elle porte à éviter le mal; elle est sans effet véritable, si elle ne fait point éviter le péché.
« La honte qui empêche non-seulement de commettre le péché, mais encore qui le fait fuir et donne de l’horreur pour lui, est bonne et appartient à la vertu de prudence.
« Cette honte ne mérite point le nom de vertu dans sa signification véritable, parce que le mot vertu implique en lui-même un certain degré de perfection. Or dans la honte, il n’y a que tendance à fuir le mal.
« Ainsi la honte ne se trouve ni dans ceux qui sont endurcis dans le vice, ni dans les parfaits. Les uns ne font que le bien, les autres, loin de craindre l’opération du mal, vivent continuellement dans le mal.
« Elle n’est point dans les enfants, parce qu’elle suppose un jugement, et qu’ils n’ont point l’usage de la raison et ne peuvent juger de rien.
« La honte se trouve dans les imparfaits qui tendent vers la perfection; elle est d’autant plus forte, elle a d’autant plus d’empire sur les hommes, que le vice ou le péché est plus grand, qu’ils se trouvent en face de personnages probes et vertueux, ou de personnes qui les voient plus souvent et sont plus à même de s’apercevoir de leurs défauts.
« Pour que la honte ne soit pas nuisible et qu’elle soit avantageuse, il faut tantôt l’éviter et la mépriser, et tantôt la modérer ou l’exciter en soi.
« Il faut fuir et éviter la honte dans tout ce qui est bon. Si vous rougissez de moi, ma fille, pendant votre vie, je rougirai de vous à la fin des temps.
« Il faut mépriser la honte dans les conditions et les états où il n’y a aucun motif de rougir, ni crainte de déshonneur, comme la pauvreté et la misère.
« Il faut modérer la honte que l’on a des péchés dont on s’est rendu coupable, afin qu’elle n’empêche point d’en faire l’aveu au ministre chargé de les pardonner.
« Il faut exciter la honte en soi quand on est tenté violemment et qu’on court risque de tomber dans le péché. C’est alors le moment de considérer la noirceur de l’offense envers Dieu et l’opprobre dont on se couvre par cette faute, parce que cette vue fait éviter le péché.
« La honte est essentielle à la vertu de tempérance; le second sentiment nécessaire à cette vertu c’est l’honnêteté.
« L’honnêteté est le sentiment de l’âme qui fait aimer la beauté inhérente à la vertu ou à la tempérance. Elle consiste dans le jugement de l’excellence d’un acte que l’on accomplit, et comme tout acte bon est beau, et tout acte beau digne d’honneur, celui qui a l’honnêteté juge de la bonté et de la beauté de cet acte et de l’honneur qui lui revient.
« L’honnêteté est l’accomplissement d’un acte bon dicté par le jugement intime de l’âme. Ainsi elle a sa source, son principe dans l’intérieur, mais elle ressort extérieurement par l’accomplissement de l’acte, et c’est l’acte bon accompli qui fait juger de l’honnêteté de quelqu’un. Tant que l’acte n’est point accompli, on ne peut juger de l’honnêteté de celui qu’on examine, ni lui rendre l’honneur qu’il mérite.
« Or, comme la tempérance est précisément la vertu qui incline à faire le bien et à éviter le mal, vous comprenez, ma fille, que l’honnêteté doit nécessairement précéder la tempérance et être constamment avec elle.
« L’abstinence est une vertu par laquelle on modère le plaisir et l’usage de la nourriture.
« Ainsi, l’abstinence consiste non à se priver complètement de nourriture, ce qui serait détruire sa santé et sa vie, mais à prendre la quantité suffisante afin de ne pas trop exciter les mouvements déréglés de la nature, et à savoir même distraire une légère partie de cette quantité pour réprimer ces mouvements.
« Je vous ai donné l’exemple de l’abstinence dans l’usage que je fis sur la terre des mets les plus communs et dans le jeûne que je supportai dans le désert. Suivez mon exemple et pratiquez l’abstinence telle que je vous l’ai indiquée, elle produira les plus heureux effets sur votre âme et votre corps.
« Elle disposera votre âme à prier avec plus de ferveur. Celui qui ne pratique pas l’abstinence ressent dans son âme la pesanteur de son corps chargé de nourriture, qui lui enlève toute sa vigueur de l’esprit et lui enlève par conséquent toute aptitude pour la prière.
« Elle développera votre mémoire et la rendra plus apte à se rappeler tous les bienfaits dont Dieu vous a comblée et que vous lui devez. Celui qui ne pratique pas l’abstinence est toujours dans une sorte d’engourdissement qui empêche le développement ou l’usage de ses facultés, et l’oblige à l’inaction intellectuelle. Ce qui vous le fera bien comprendre, ma fille, c’est ce que vous éprouvez en vous-même. Le matin, quand vous êtes levée, vous vous trouvez plus disposée, plus apte à la prière, votre esprit se porte plus naturellement vers moi; il est plus frappé par les paroles que je vous adresse le matin que dans la journée, et voilà pourquoi j’ai voulu de préférence vous entretenir et vous parler le matin, soit dans votre chambre, à l’heure de votre prière, soit plus particulièrement dans le lieu saint, près de mon tabernacle.
« L’abstinence produit aussi le développement de l’intelligence. L’intelligence ne se trouve pas arrêtée dans son essor par le poids des choses sensibles, par la matière qui l’entoure et l’enveloppe comme un nuage. C’est le matin aussi que vous comprenez mieux les paroles que je vous adresse, que vous vous rendez mieux raison des choses.
« Puisque l’abstinence est si avantageuse, pratiquez-la ma fille; elle servira non-seulement à votre âme, mais aussi à votre corps.
« L’abstinence rend le corps le temple de Dieu. Le temple de Dieu est saint, dit l’apôtre, et ce temple, c’est l’homme.
« Or, l’abstinence est une dédicace du corps à Dieu. Par l’abstinence, en effet, ne semblez-vous point ne vouloir y introduire rien de ce qui est superflu? En outre, le corps est l’instrument de l’âme, et l’âme par le corps opère des œuvres de vertu et évite le péché; il évite le péché quand il a la force de résister, quand il n’est point mou et efféminé; il pratique le bien, il fait de bonnes œuvres parce qu’il a la vigueur nécessaire, et que les aliments qu’il a pris ne le lient et ne le retiennent point attaché à la matière. L’abstinence est donc comme une porte fermée au mal et ouverte à la vertu. C’est donc elle qui rend le corps saint, qui en fait véritablement le temple de Dieu.
« L’abstinence est l’assaisonnement de la nourriture de l’homme et le soutien de sa santé. Celui qui pratique l’abstinence ne mange que ce qui lui est nécessaire. Aussi, quelle que soit la nourriture qui lui est présentée, il l’accepte et la trouve bonne. Et cette nourriture le soutient, le fortifie sans altérer sa santé.
« Enfin, l’abstinence est le soutien des relations de la vie. Celui qui ne la pratique point ne peut vivre dans la société de ses pairs; il est méprisé, honni par tous. Celui qui ne pratique pas l’abstinence peut à peine se supporter lui-même, tant il a pris de nourriture.
« Pratiquez l’abstinence, ma fille; elle est utile aux intérêts de votre corps comme à ceux de votre âme; elle conservera la santé de votre âme et celle de votre corps. Pratiquez-la dès à présent. C’est la première condition pour que vous la pratiquiez toute votre vie. Ne recherchez point les mets délicats et bien préparés. Ne mangez jamais autant que votre appétit vous le permettrait. Ne mangez pas avec trop d’empressement. Enfin ne vous occupez point de la nourriture que vous aurez pour en désirer une plus recherchée, et, à ces conditions, vous pratiquerez l’abstinence.
« La sobriété est pour l’usage du vin ce que l’abstinence est pour l’usage de la nourriture. C’est une vertu par laquelle on modère le plaisir et l’usage de la boisson.
« C’est une vertu morale qui dépend de la vertu de tempérance. C’est une vertu morale, car les vertus morales ont pour but de conserver et de défendre le bien de la raison contre tout ce qui peut l’attaquer et le faire perdre. Par conséquent, là où se trouve un écueil pour la raison, là doit se trouver une vertu pour combattre cet écueil. Or, l’usage du vin, quand il est immodéré, fait perdre la raison. Il faut donc un rempart contre ce vice : vous le trouverez dans la sobriété, qui donne la règle dans l’usage qu’on doit faire du vin que Dieu a donné à l’homme pour le désaltérer et réparer ses forces, non pour lui faire perdre sa raison.
« La sobriété produit quatre effets principaux : elle conserve et entretient la lumière de l’intelligence, car l’usage modéré du vin fortifie le cœur, d’où procèdent tous les actes naturels et vitaux de l’homme; elle développe la puissance de l’esprit en l’excitant doucement et avec mesure; elle conserve le cerveau dans toute sa pureté; enfin, elle réjouit l’âme dans toutes ses facultés, et en particulier, celle qui saisit la vérité pour perfectionner toutes ses œuvres et leur donner de la fermeté. Voilà pourquoi vous avez vu que dans les Livres saints la sobriété est appelée la santé du corps et de l’âme. Il est facile de comprendre comment la sobriété dispose l’intelligence à saisir ce qu’il y a de plus subtil et de plus fin, parce que la sobriété place la personne dans la règle parfaite de son être, et que l’homme n’est jamais plus apte à agir intellectuellement ou matériellement que lorsqu’il se trouve en cet état.
« La sobriété réprime la concupiscence de la chair. Le vin en effet, ma fille, excite tout l’organisme de l’homme; il augmente le penchant qu’il a pour le mal et porte naturellement au vice d’impureté. Voilà pourquoi Dieu avait ordonné aux Nazaréens de ne point boire de vin ni de liqueur enivrante. Vous avez une preuve de cet effet dans Noé, que l’ivresse mit dans un état complet de nudité, et dans saint Jean-Baptiste, que la sobriété ou plutôt, la privation complète de vin conserva dans une si parfaite pureté.
« La sobriété est la conservatrice de la paix parmi les hommes. La paix disparaît parmi les hommes quand ils perdent la raison, ou que leur intelligence est voilée, ou que leur esprit est surexcité. Or, la sobriété conserve la raison, empêche la raison de se voiler et les esprits ou les forces de l’homme de se surexciter. La sobriété donc conserve la paix et la bonne harmonie parmi eux.
« La sobriété n’est pas l’abstention complète du vin, elle est la règle de son usage. Elle convient à tout le monde. En premier lieu, elle convient aux ministres de mes autels, puis aux princes et aux magistrats, afin qu’ils soient toujours à même d’agir conformément à la mission qui leur est confiée.
« Elle convient en particulier aux religieux, afin qu’ils puissent vaquer aux œuvres de piété que leur devoir leur impose, afin qu’ils mortifient leur chair et s’exercent facilement dans la pratique de toutes les vertus
« Elle convient surtout à la jeunesse et aux femmes : à la jeunesse, pour ne point augmenter l’entraînement qu’elle a vers le mal; elle convient aux femmes pour conserver toujours intacte la dignité de leur sexe.
« La continence, ma fille, est une vertu qui donne la force de résister à toute passion.
« On peut entendre la continence de trois manières. La continence, dans un sens large et général, est la répression des entraînements mauvais provenant du toucher et de tous les autres sens. La continence s’entend encore de la chasteté dans l’état de mariage. Enfin, la continence est la répression actuelle des mouvements déréglés de la concupiscence qu’on éprouve dans son âme.
« De quelque manière que vous l’entendiez, la continence est la fermeté de la raison et du devoir contre les passions pour qu’elles n’entraînent point au mal.
« Cela doit vous faire comprendre les immenses avantages de la continence pendant votre vie, qui est si courte et qui n’est pour vous qu’un temps d’épreuve. Que de maux, que de peines, que de regrets, que de malheurs dont préserve la continence! La continence, en effet, prolonge les jours de la vie du temps et assure la possession de l’éternité. La continence conserve le souvenir des fins dernières et fait prendre les moyens pour arriver à la félicité suprême. C’est là l’heureux résultat de la continence; elle donne une vie tranquille et pacifique, elle donne une vie estimable et estimée des hommes, des anges et de Dieu; elle assure la vie heureuse du ciel.
« L’humilité est encore une vertu qui appartient à la vertu de tempérance, car elle porte l’homme à ne point s’élever au dessus de ce qu’il est.
« C’est une vertu par laquelle l’homme, d’après la connaissance intime de la majesté de Dieu et de son propre néant, se méprise lui-même et aime à se voir méprisé par autrui. L’humilité ne consiste pas seulement dans la connaissance de Dieu, ni de soi-même, mais dans la répression du mouvement qui porte l’homme à s’élever au dessus de lui-même. La connaissance de Dieu et de soi produit cette répression qui constitue l’humilité.
« Or, celui qui réprime ce mouvement désordonné de lui-même est véritablement humble, parce qu’il se connaît lui-même, et que s’il trouve en soi quelque chose de bien, il reconnaît ne l’avoir pas de lui-même, mais par le don de la miséricorde de Dieu.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se méprise lui-même, et qu’il sait bien qu’il est indigne des biens que Dieu lui a accordés et de ceux qu’il veut lui accorder encore.
« Il est véritablement humble, parce que bien loin de désirer l’estime, l’honneur ou les louanges d’autrui, il ne cherche que le mépris et rapporte à Dieu toutes les faveurs qui lui viennent des hommes afin qu’elles retournent à Celui qui seul les a véritablement méritées.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se croit la plus vile des créatures, à la vue de ce que Dieu a fait pour lui et du peu de reconnaissance qu’il lui en a rendu, et qu’il ne considère en autrui que le bien qu’il possède.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se fait volontiers le serviteur de tous, qu’il cherche partout la dernière place et les emplois les plus vils.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se tient vis-à-vis de Dieu comme un esclave soumis en toutes choses à la volonté de son maître, et comme un pauvre pécheur indigne de paraître devant lui et d’être souffert en sa présence.
« Or, rien n’est supérieur à la vertu d’humilité; l’humilité, en effet, est la première des vertus. Elle est avant la foi, l’espérance et la charité. Elle est leur fondement. Cela vous étonne, ma fille? — Oui, Seigneur. — Pourquoi cela? — Parce que je me souviens que vous m’avez dit en me parlant de la foi, qu’elle est le fondement de toutes les vertus. Comment donc les vertus peuvent-elles avoir deux fondements? — Ma fille, me répondit le Seigneur Jésus, si votre humilité avait été plus grande, vous n’auriez éprouvé aucun étonnement de mes paroles. Vous auriez pensé que je suis la vérité et que par conséquent mes paroles sont des paroles de vérité.
Je demandai pardon au Sauveur Jésus de ma manière d’agir, je le conjurai de continuer à m’instruire et je l’écoutai avec docilité.
« L’humilité, me dit-il, est le fondement des vertus, mais d’une manière différente ou sous un autre aspect que la foi. Vous allez le comprendre aisément. La connaissance d’une chose précède le désir qu’on a de cette chose, et le désir précède les moyens pour acquérir sa possession. Les vertus théologales précèdent donc les vertus morales, parce qu’elles sont la connaissance, le désir et l’amour de Dieu, tandis que les vertus morales ne sont que les moyens pour atteindre Dieu. Or, la foi est une vertu théologale, et la première des vertus théologales dans l’ordre de l’existence; donc elle est avant l’humilité, qui est une vertu morale, puisqu’elle se rattache à la tempérance, et, sous ce rapport, la foi est le fondement de toutes les vertus, même de l’humilité.
« Sous un autre rapport, au contraire, l’humilité est le fondement de toutes les vertus, même de la vertu de foi.
« Personne, en effet, n’aura la foi s’il ne commence par chasser l’orgueil de son âme et s’il n’y place l’humilité qui le soumet à la parole et à la révélation de Dieu. L’humilité est donc le fondement de la foi.
« L’humilité est le fondement de l’espérance. C’est l’humilité qui dit : Je ne suis que faiblesse, je ne suis qu’impuissance, mais je puis tout dans Celui qui me fortifie. Car celui qui est humble se connaît lui-même, et sachant qu’il ne peut rien par lui-même, il met tout son espoir en Dieu, et dans son espérance, il s’écrie : Je puis tout dans Celui qui me fortifie. Ainsi, l’humilité ne repousse pas, ne refuse pas les grandes entreprises quand Dieu les demande et les attend; elle ne refuse rien, mais elle met tout son espoir en Dieu.
« L’humilité est le fondement de la charité. C’est l’estime de soi qui éloigne de Dieu, c’est le mépris de soi qui rapproche de lui. Celui qui s’estime ne pense qu’à soi, voilà pourquoi il oublie Dieu. Celui qui se méprise ne pense qu’à Dieu, et cette pensée n’est point vaine, car elle produit l’amour, et plus cette pensée est ferme, plus elle est constante et plus l’amour pour Dieu devient intense.
« L’humilité est donc le fondement des vertus théologales. Voyez plutôt, ma fille, sans elle, la foi chancelle; sans l’humilité, l’espérance diminue; sans l’humilité, la charité est détruite. Ce que je dis des vertus théologales, je le dis aussi des vertus morales. Sans l’humilité, la prudence est aveugle, la justice trompeuse, la force impuissante et la tempérance immodérée.
« L’humilité, ma fille, est encore la grande voix de l’âme qui va de la terre au ciel et qui pénètre jusqu’au trône de Dieu. C’est la voix la plus agréable qui résonne aux oreilles de Dieu; c’est la prière la plus puissante qui monte jusqu’à lui, et voilà pourquoi elle obtient à l’âme les faveurs de Dieu les plus signalées. Marie fut la plus humble des créatures et elle est devenue ma mère. Est-il faveur comparable à cette faveur?
« L’humilité préserve du péché, maintient et fortifie dans le bien, elle enseigne la véritable sagesse, et donne enfin le bonheur véritable par la participation à la vue de Dieu.
« Ma fille, aimez donc l’humilité, cherchez l’oubli et le mépris. Marchez, sur mon exemple, dans la voie des humiliations; ne cherchez point à vous produire, effacez-vous en tout, n’élevez jamais ni votre tête, ni votre voix, ni votre cœur; votre tête pour dominer quelqu’un, votre voix pour vous imposer à qui que ce soit, votre cœur pour vous estimer vous-même. Comprenez que tout ce que vous avez, vous l’avez reçu de Dieu, par conséquent ne vous en glorifiez point. Si je vous comble de mes faveurs les plus signalées, méritez-les encore plus par votre humilité, et en reconnaissant qu’il n’y a rien en vous qui vous rende digne de si grands témoignages de mon amitié pour vous. Recevez sans vous plaindre, sans murmurer, tous les mépris dont vous serez l’objet; estimez-vous heureuse d’être ainsi méprisée, honnie ou mal vue, et dans ces sentiments de l’humilité la plus profonde, tenez-vous toujours comme une servante devant Dieu.
« Si vous avez ces sentiments, ma fille, vous serez toujours calme. Qu’est-ce donc qui pourrait vous troubler, si vous croyez être un rien, un néant? Qu’est-ce qui pourrait vous affliger, si vous croyez mériter tous les mépris? L’humilité, c’est le calme, la tranquillité, la joie sur la terre, c’est le mérite du bonheur dans l’éternité.
« La douceur et la clémence sont deux vertus qui ont une grande analogie; elles diffèrent pourtant l’une de l’autre. Je vous l’ai déjà dit, ma fille, les passions intérieures sont le principe ou l’empêchement des actes extérieurs. De même les vertus qui règlent les passions concourent au même effet que les vertus qui règlent les actions, quoique d’une manière différente. Si vous appliquez ces paroles à la douceur et à la clémence, vous comprendrez leur différence. La douceur et la clémence concourent à refréner la colère, c’est là leur but commun, et en cela ces deux vertus paraissent se ressembler; elles diffèrent pourtant par leur manière d’opérer.
« La colère porte à se venger d’une offense et à infliger une sévère punition. La douceur est une force qui empêche la colère et par conséquent qui prévient toute punition. La clémence, au contraire, porte à diminuer la peine ou la punition méritée et que la colère a augmentée. Ces deux vertus tendent donc à régler la colère; la douceur en la faisant disparaître, la clémence en diminuant la vengeance excitée par la colère; la douceur en combattant la colère, la clémence en combattant l’acte produit par la colère.
« Ma fille, c’est avec raison qu’on a comparé la douceur au lait et au miel. Il n’est rien en effet de plus suave dans la vie que les relations avec les personnes qui sont douces. C’est un parfum délicieux dont l’odeur se répandant sur toute la terre ravit tous les cœurs. Elle ressemble à celui qui coula le long de la robe d’Aaron; c’est ainsi, en effet, qu’elle se répand sur toutes les actions de celui qui la possède. Elle est si aimable qu’elle s’insinue et pénètre dans les âmes dont vous approchez, autant par votre air et vos manières que par vos paroles. C’est la compagne fidèle de l’humilité. Toute personne humble est douce en même temps; mais une personne qui est douce peut bien n’être pas humble; alors néanmoins elle n’a pas la véritable vertu de douceur. Elle a une douceur naturelle ou, comme vous le dites habituellement, elle a la douceur de caractère, ou encore une douceur calculée, préméditée, douceur qui n’est pas toujours dans la conduite ni les paroles.
« Quelle différence entre celui qui a la douceur et celui qui n’a point cette vertu. Quand on l’a, on est affable, prévenant, aimable, patient, sans chercher jamais à déplaire en rien; on est toujours égal dans ses actions comme dans ses paroles; on a toujours une figure calme et sereine; on se possède même dans les torts ou les injures qu’on reçoit; on oublie le mal et on le pardonne; on fait du bien à ses plus grands ennemis. On m’imite dans ma manière d’agir, et au dernier jour on entendra cette parole : parce que vous avez été doux et humble de cœur, venez, bon serviteur, posséder la terre qui vous a été promise, c’est-à-dire le ciel.
« Quand on n’a pas la douceur, au contraire, on est brusque, froid, sévère, irascible; on éloigne les coeurs de soi.
« Exercez-vous, ma fille, dans la vertu de douceur. Elle convient à tous en général, mais en particulier aux supérieurs quels qu’ils soient, afin qu’ils puissent gagner la confiance et l’affection des inférieurs; elle convient en particulier aux prêtres, à cause de leurs relations intimes avec les consciences des fidèles. Elle vous convient en particulier, afin d’édifier, de donner le bon exemple et de vous perfectionner de plus en plus. Demandez à Dieu cette belle vertu de douceur.
« La clémence est une vertu qui porte à pardonner une peine méritée ou une partie de cette peine. La clémence est, par conséquent, une vertu morale, car elle soumet le mouvement du cœur à la raison. Que fait la clémence en pardonnant une peine ou une partie de cette peine, si ce n’est voir quand et pourquoi il faut pardonner et moins punir, et considérer aussi s’il y a motif ou non d’infliger une peine. La sévérité est l’application rigoureuse de la loi. La clémence diminue la peine qui serait due, selon l’expression de la loi, parce que celui qui l’applique interprète l’intention du législateur plutôt que sa loi; aussi la clémence modère le mouvement du cœur pour que la peine ne soit pas appliquée dans toute sa rigueur.
« La clémence doit être la grande vertu des princes, des prélats, des magistrats et des supérieurs. Ils doivent se rappeler la clémence de Dieu et de son Fils sur les hommes, et ne point punir selon l’étendue de leurs pouvoirs. La clémence guérit plus de maux que la sévérité. Les passions sont surexcitées par la sévérité et apaisées par la clémence, qui souvent obtient ce que jamais n’aurait obtenu la sévérité. Rien de plus propre à exciter en vous la clémence que la considération de la fragilité humaine, de votre propre fragilité. Que de fautes aussi commises par mégarde ou par ignorance! Aussi ne faut-il point les punir selon la rigueur de la loi.
« Soyez clémente, ma fille, c’est-à-dire pardonnez toute la peine que mériteraient ceux qui pourraient vous offenser. Ne cherchez point à les faire punir. Pardonnez-leur de grand cœur; traitez-les comme frères et amis. Rendez-leur service si vous le pouvez; témoignez-leur que vous avez tout oublié et que votre esprit n’a gardé aucun souvenir de leurs injures.
« Ma fille, la tempérance règle les mouvements intérieurs de l’âme par la continence, l’humilité, la douceur et la prudence; elle règle aussi les mouvements personnels et extérieurs du corps par la modestie et le silence.
« La modestie est une vertu qui règle les mouvements du corps, qui gouverne les sens, indique la manière dont on doit se récréer et préside à l’arrangement extérieur des vêtements, selon la conduite dans laquelle on est placé.
« Vous comprenez que le mouvement du corps, que les sens, les jeux, les délaissements et les habits dont on se couvre sont susceptibles de recevoir une règle dictée par la raison; par conséquent la modestie est une vertu morale.
« Elle vous apprendra à régler les mouvements du corps; à ne point marcher avec précipitation ni avec trop de lenteur; à ne point agiter les bras d’une manière inconvenante; à ne point étendre votre corps avec mollesse; à vous tenir toujours, même seule, comme devant les personnes de distinction ou qui méritent votre respect.
« La modestie vous apprendra à ne point tourner la tête légèrement de tous cotés et à chaque instant; mais à la tourner doucement quand il y a nécessité, à la tenir un peu inclinée sur le devant, sans la pencher immodérément ni à droite ni à gauche.
« La modestie vous apprendra surtout à ne point tourner vos yeux de tous cotés, à ne point les fixer sur toutes choses; elle vous apprendra à regarder non avec fureur, mais avec bonté; non avec orgueil, mais avec humilité; non avec inconvenance, mais avec chasteté et pudeur; elle vous apprendra, quand vous parlerez à quelqu’un, à le regarder non fixement et d’un air sérieux, mais avec douceur et un peu en dessous de ses yeux, comme si vous regardiez plutôt l’intérieur de son âme que l’extérieur de sa figure.
« Elle vous apprendra à revêtir votre figure d’un air plein de douceur et de bonté, sans contracter ni vos sourcils ni vos lèvres; à ne point garder un silence obstiné, mais à adresser quelques paroles dictées par la circonstance et toujours empreintes de dignité autant que de franchise et de sincérité.
« Elle vous apprendra à user de délassements convenables à votre âge, à votre condition, à votre sexe, pour récréer et refaire votre esprit et ne point le tenir toujours tendu. Elle vous apprendra à ne jamais vous tenir seule avec un homme seul, et à fuir dans vos récréations tout ce qui peut blesser l’honnêteté ou la politesse. Elle vous apprendra à ne point trop satisfaire votre esprit, à ne pas trop le délasser par vos amusements, et à ne vous récréer que dans les lieux et aux moments convenables.
« Elle vous apprendra à vous habiller d’une manière digne et en rapport avec votre position, sans chercher des habits de luxe ou des formes trop élégantes qui favorisent le dérèglement des passions. Elle vous apprendra à être au contraire toujours vêtue avec simplicité, ordre et propreté.
« Elle vous apprendra la même simplicité dans la disposition de votre maison, dans les meubles et dans la nourriture qui sera servie sur votre table.
« C’est là, ma fille, la première vertu qui règle les mouvements extérieurs du corps; voici la seconde, le silence.
« Le silence, ma fille, peut s’entendre de deux manières, en tant qu’acte ou abstention de langage et en tant qu’inclination à retenir et à modérer la parole. Pour les distinguer, j’appellerai l’acte par lequel on s’abstient de parler, silence, et l’inclination ou la force par laquelle on modère sa propension à parler, l’amour du silence.
« L’amour du silence est une vertu qui a un double but. Le premier est d’interdire à la langue toute parole illicite, comme la médisance, la calomnie, le mensonge, le parjure, toute parole déshonnête, impure, oiseuse ou inutile. Le second, d’interdire à la langue des paroles même utiles ou licites quand il n’y a point de nécessité.
« Vous reconnaîtrez en vous l’amour du silence, si vous ne prononcez jamais de paroles déplacées, si vous ne parlez que dans le lieu où vous pouvez parler, c’est-à-dire hors du lieu saint; si pour vous recueillir, réparer les forces de votre esprit, vous vous abstenez pendant un certain temps de la journée de parler et de converser; si vous vous abstenez non-seulement du langage extérieur, mais encore du langage intérieur de votre esprit, en contenant votre imagination; si vous ne parlez jamais pour votre propre satisfaction, par amour-propre, mais toujours par charité et pour la plus grande gloire de Dieu.
« Ma fille, je vous recommande l’amour du silence. Suivez l’exemple que je vous ai donné quand j’étais sur la terre. Je suis la parole éternelle de Dieu le Père, et j’ai demeuré les trente premières années de ma vie sans me manifester qu’une seule fois dans le temple de Jérusalem. Je suis la parole éternelle de Dieu et je demeure en silence dans le sacrement de l’autel, ne parlant aux hommes que par la voix de ma grâce et de mon amour.
« Gardez le silence et vous aurez la paix avec Dieu, avec le prochain, avec vous-même. Gardez le silence et vous avancerez rapidement dans la perfection, car vous fuirez de nombreuses occasions de péché; vos n’exciterez ni vos passions ni celles d’autrui, et vous serez plus à même d’apercevoir les pièges que vous tendra l’ennemi de votre salut.
« La discrétion est une vertu morale qui règle le don de la science ou de la connaissance. C’est le contraire de la curiosité.
« Il y a des sciences qui sont utiles, d’autres dangereuses et d’autres coupables; d’autres qui ne peuvent servir de rien, et qui par conséquent sont inutiles.
« La discrétion apprend à connaître celles qui sont utiles et à repousser les autres comme mauvaises ou entraînant au mal. Elle apprend aussi à réprimer le désir trop grand des sciences même utiles, parce que la science enfle le cœur et engendre l’orgueil.
« La discrétion apprend à connaître les choses utiles et porte à les étudier, à cause de l’avantage qui ressort de l’étude tant pour soi que pour autrui. Or, la première science, la première connaissance nécessaire, c’est la science de Dieu, la connaissance de la religion, la science et la connaissance du salut. Après celle-là viennent les sciences secondaires qui facilitent le moyen de perfectionner la science du salut, comme la lecture et l’écriture, par lesquelles on apprend par soi-même et on retient ce que l’on a appris en le gravant sur le papier pour le graver ensuite dans le cœur.
« La discrétion apprend à repousser les sciences inutiles pour le bien, parce que ces sciences peuvent très facilement entraîner au mal; elle apprend à repousser les sciences dangereuses, la science du mal, parce que l’homme qui connaît le mal peut l’opérer très facilement.
« La discrétion apprend à réprimer le désir qu’on a de connaître ce qui regarde autrui, elle porte aussi à ne point communiquer ce qu’on a appris quand il y a des motifs suffisants pour ne point faire ces communications.
« Demandez à Dieu la discrétion, ma fille, et vous croîtrez comme votre Sauveur en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu; vous apprendrez à connaître Dieu de plus en plus, de plus en plus à vous attacher à lui et à n’aimer que lui.
« L’économie est la dernière vertu qui a rapport à la vertu de tempérance. L’économie est la vertu qui règle l’usage convenable et nécessaire des choses dont on se sert. Cette vertu a un triple objet, l’âme, le corps et les objets matériels qui l’environnent.
« L’économie règle les forces de l’âme en mesurant leur emploi, en donnant celles qui sont indispensables et n’employant point celles dont l’usage serait superflu.
« L’économie règle les forces du corps en mesurant la manière dont l’homme doit travailler, le travail qu’il doit faire, l’heure et le temps dans lequel il doit le faire.
« Enfin, l’économie règle l’emploi des choses extérieures que l’homme a à sa disposition, afin d’en user selon ses besoins, et de ne point les dissiper d’une manière inutile.
« D’où vous voyez que l’économie est essentiellement une conservation des forces de l’âme et du corps et des biens de la fortune. Cette conservation des forces de l’âme tend à les augmenter pour qu’elle grandisse et croisse en vertu par l’accomplissement du bien et la conformation à la vérité, en appliquant toutes ses forces quand il est nécessaire à cet accomplissement et à cette conformation.
« Cette conservation des forces du corps tend à les augmenter pour conserver à l’âme qu’il renferme sa vigueur et sa fermeté, et permettre au corps soumis à l’âme d’accomplir les actions nécessaires à la vie naturelle et surnaturelle.
« Cette conservation des biens de la fortune tend à les augmenter, afin de s’en servir ensuite selon les desseins de Dieu, afin de secourir les pauvres et les malheureux, et de pourvoir soi-même à des malheurs imprévus qui pourraient advenir. Ainsi, ma fille, l’économie se rapporte à la tempérance et règle en vous toutes vos actions selon l’ordre et la raison. Demandez à Dieu toutes ces vertus, et quand Dieu vous les donne, tachez de les augmenter et de les accroître par une correspondance fidèle à l’inclination qu’elles mettront en votre âme. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 5
Je vais rapporter aussi ce que le Sauveur Jésus m’a dit, en deux circonstances différentes, sur la pureté et les cœurs purs. Je méditais un jour sur la passion. Je le considérais dépouillé de ses vêtements par ses bourreaux : « Si vous saviez combien j’ai souffert, ma fille, en ce moment! Vous ne le comprendrez jamais, cela dépasse la portée de votre intelligence. Quelle confusion j’éprouvais en me voyant en la présence de mon Père, chargé de toutes les infamies, de toutes les turpitudes, de tous les péchés dont les hommes s’étaient rendus et devaient se rendre coupables, moi Dieu de sainteté! Ah! Dieu seul a pu apprécier l’étendue de la honte et de la douleur que j’éprouvais. Comprenez, du moins un peu, combien j’aime la pureté et à quel prix je voudrais l’établir sur la terre. Les cieux ne sont pas assez purs pour contenir ma sainteté et je viens habiter dans vos temples; je descends sur vos autels et même dans votre cœur. Priez Dieu de vous purifier de plus en plus, afin que de plus en plus vous soyez digne de me recevoir. Jamais pour la communion vous n’auriez assez de pureté, assez de sainteté, si mon amour n’y suppléait. O sainte et aimable pureté! tu mérites l’honneur et le respect des hommes, l’estime des anges et l’amour de Dieu. Comme un parfum suave tu t’élèves jusqu’au ciel pour revenir ensuite sur la terre avec la bénédiction de Dieu.
« Il y a, ma fille, trois sortes de pureté : la première consiste à n’avoir aucun péché mortel sur la conscience; la seconde dans l’exemption du péché véniel et de l’attache à ce péché; la troisième dans l’exemption ou le désir ferme d’exemption de toute imperfection, dans la privation de toute attache aux choses créées et dans l’amour parfait.
« Être pur, c’est être séparé de toute attache déréglée; être pur, c’est ne vivre qu’en Dieu, avec Dieu et pour Dieu; être pur, c’est renoncer à tous les plaisirs les plus légitimes pour n’avoir qu’un seul plaisir, la volonté de Dieu; et vivre comme cela, c’est ressembler aux anges, c’est être un ange dans un corps mortel. O ma fille! Tendez toujours vers la pureté la plus parfaite, en vous détachant non seulement du mal, mais de ce qui est permis, pour ne vous attacher qu’à moi; tout le reste ternirait votre pureté, votre innocence; je serai pour vous ce qu’est le soleil pour un cristal très pur qu’il pénètre et dont il rehausse l’éclat.
Quelque temps après Jésus me dit encore : « Heureux les cœurs purs, ma fille, parce qu’ils verront Dieu. Ma fille, il y a deux sortes de vision de Dieu : la vision en ses œuvres, et puis en lui-même. Les cœurs purs ont la première de ces visions sur la terre, ils les auront toutes les deux dans l’éternité.
« Dieu se manifeste par ses œuvres et dans ses œuvres. Celui qui les voit peut et doit dire : Ces œuvres dont d’un Dieu. Il y a deux sortes d’œuvres opérées par Dieu, les unes de création, les autres de réparation et de rédemption. Ces deux œuvres sont pleines de réalités; mais tous ceux qui ont des yeux pour voir ne les voient pas; tous ceux qui ont des yeux pour les considérer ne savent point y distinguer leur auteur. Il faut pour cela, ma fille, voir un cœur pur, c’est-à-dire un cœur détaché du péché, exempt du péché, un cœur où la grâce habite, un cœur où la Divinité trouve un séjour digne d’elle, un cœur où elle vienne demeurer et prendre son repos, un cœur embelli des plus belles vertus, un coeur non de marbre et de pierre, mais un cœur sensible, un cœur éclairé. Celui qui a le cœur ainsi fait a des yeux pour voir, parce que Dieu est sa lumière, et à la clarté de cette lumière, il aperçoit le nom de Dieu écrit dans toutes ses œuvres. Il regarde le ciel et dit : Le ciel est l’oeuvre de Dieu; la terre et il dit : C’est l’œuvre de Dieu; le jour et il dit : C’est l’œuvre de Dieu; la nuit et il dit : C’est l’oeuvre de Dieu; l’Océan et les mers et il dit : C’est l’œuvre de Dieu. Celui qu a le cœur ainsi fait a des yeux pour voir, parce Dieu est sa lumière, et, à la clarté de cette lumière, il aperçoit le nom de Dieu dans toutes les œuvres de réparation et de rédemption. Il regarde ma naissance et il dit : C’est là l’œuvre de Dieu; ma vie et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu; ma passion, mon humiliation, mes peines, mes souffrances, ma mort, et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu; ma résurrection et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu. Il regarde ma croix, mon tabernacle, le sacrement de mon amour, tous les sacrements, mon Église, ma religion, et il dit : C’est là l’oeuvre de Dieu.
« Ainsi, ma fille, se réalise la vérité de cette parole : Heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu. Mais les cœurs purs ne verront pas Dieu seulement à travers le voile de la création et comme dans une énigme dont ils ont trouvé le nœud, ils le verront face à face, tel qu’il est dans sa gloire au ciel, en lui-même. Ils le verront dans cette création première qui est le ciel ou la manifestation de lui-même, et dans cette manifestation, ils se rendront compte de la manifestation qu’il a faite dans le temps par la création du monde, manifestation qu’ils ne pouvaient saisir parfaitement alors qu’ils la voyaient avec les yeux du corps, mais qu’ils comprendront sous tous ses aspects alors qu’ils l’auront quittée pour jamais. Ils le verront dans sa vie, dans sa nature, dans ses relations intimes avec les anges, dans ses relations avec les élus, dans ses relations ave eux-mêmes, et cela fera leur bonheur et leur félicité. Oui, heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu!
« Ma fille, purifiez votre cœur de plus en plus; détachez-le de vous-même et de vos inclinations; détachez-le du monde et de tout ce qui est du monde; détachez-le de Satan et de ses inspirations pour l’unir de la manière la parfaite à votre Dieu et Sauveur. Ne vous découragez point, luttez contre vos imperfections; gémissez sur la misère de votre nature; humiliez-vous profondément, ouvrez vos yeux à ma lumière, votre oreille à ma parole, votre âme à ma grâce et votre cœur deviendra pur. Alors j’habiterai dans votre cœur, je me manifesterai à vous, non pas seulement dans la création extérieure, mais dans votre propre cœur. Je le disposerai comme une habitation de plaisance où je veux demeurer; je vous en confierai la clef et vous m’y trouverez quand vous vous sentirez l’attrait de venir à moi. Alors vous aurez dans l’exil et dans cette vallée de larmes un avant-goût de la réalisation de ma parole : Heureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu; vos serez heureuse parce que vous me verrez. »
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 6
Le Sauveur Jésus m’a ainsi parlé des sept dons du Saint-Esprit. Je ne sais pas trop si je me rappellerai ses paroles comme il me les a dites. Je ferai comme je pourrai.
« Ma fille, me dit-il, je veux vous faire connaître les dons du Saint-Esprit que la grâce sanctifiante communique à l’âme. Ils sont au nombre de sept : Le don de sagesse et d’intelligence, le don de conseil et de force, le don de science et de piété, et le don de la crainte du Seigneur.
« Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes ou des inclinations inhérentes à l’âme, distinctes des vertus surnaturelles infuses, nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut, et inséparables les unes des autres. Je vous les ai fait connaître selon le rang de leur dignité. Les dons du Saint-Esprit sont inférieurs en dignité aux vertus théologales, mais ils sont supérieurs aux vertus morales.
« Les dons du Saint-Esprit sont des habitudes infuses, c’est-à-dire inhérentes à l’âme. Car, par la grâce, l’Esprit-Saint habite dans l’âme et il y demeure avec ses dons. Cette permanence du don n’est point par conséquent quelque chose de transitoire, mais une réalité fixe qui demeure dans l’âme, une inclination, une habitude qui la porte à agir selon la tendance du don du Saint-Esprit.
« Vous ne savez pas comment il se fait que les dons du Saint-Esprit soient distincts des vertus? Vous allez le comprendre facilement. Les dons du Saint-Esprit seraient mieux appelés les inspirations du Saint-Esprit, parce que ce mot indiquerait la nature même de ces dons, c’est-à-dire qu’ils sont dans l’âme comme le souffle de l’Esprit-Saint. Or, l’inspiration marque un mouvement venu de l’extérieur.
« Dans l’homme il y a deux principes de mouvement : un principe intérieur, qui est la raison; un principe extérieur, qui est Dieu. Or, pour le mouvement, il faut qu’il y ait proportion entre l’objet du mouvement et son principe, et le mouvement sera parfait si le moteur sait bien diriger la disposition mobile de l’objet qu’il veut mettre en mouvement. De même, plus le principe du mouvement sera considérable, et plus aussi l’objet doit avoir une disposition mobile plus considérable. Un maître distingué, savant, érudit, élevé dans la doctrine, demande nécessairement en son élève une intelligence qui soit à la hauteur de son enseignement. Les vertus humaines perfectionnent l’homme, selon qu’il est mû par la raison à agir intérieurement ou extérieurement. Mais il faut qu’il y ait en l’homme des perfections ou des vertus plus élevées par lesquelles il soit disposé à recevoir en lui l’action de Dieu. Les dons du Saint-Esprit sont ces perfections et ces vertus qui soufflent sur l’âme, afin qu’elle reçoive le mouvement que Dieu veut lui donner. Les dons du Saint-Esprit élèvent l’homme à Dieu et le disposent à recevoir le mouvement qu’il veut lui donner.
« Voilà pourquoi les dons du Saint-Esprit sont inférieurs aux vertus théologales. Les vertus théologales, en effet, attachent l’âme à Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit ne font que la diriger et la mouvoir vers lui.
« Voilà pourquoi aussi ils sont supérieurs aux vertus morales, parce que les vertus morales ne font qu’enlever les obstacles qui éloignent de Dieu, tandis que les dons du Saint-Esprit dirigent véritablement et meuvent vers Dieu.
« Les dons du Saint-Esprit sont nécessaires pour opérer le bien et obtenir le salut.
« Les œuvres de l’homme sont perfectionnées de deux manières : par la lumière naturelle qui est la raison, et par la lumière surnaturelle donnée par les vertus théologales. Mais cette perfection est imparfaite, puisque même avec ces vertus vous ne connaissez et n’aimez Dieu qu’imparfaitement. Par conséquent il faut à ces vertus une force différente d’elles-mêmes pour les pousser à agir. La raison, n’étant éclairée qu’imparfaitement par les vertus théologales, a besoin, pour tendre avec plus de sûreté vers la fin surnaturelle, de l’inspiration et du mouvement qui lui sont données par l’Esprit-Saint. Ceux qui sont conduits par lui sont vraiment fils de Dieu et partageront son héritage que nul ne peut atteindre, à moins d’y être poussé par le souffle du Saint-Esprit. De même, l’éloignement des obstacles qui l’empêchent d’aller à Dieu ne suffit pas à la volonté de l’homme, il faut encore que cette volonté soit poussée vers Dieu, c’est là l’œuvre des dons du Saint-Esprit.
« Par conséquent les vertus théologales et morales ne suffisent pas à l’homme, il lui faut encore les dons du Saint-Esprit pour lui faire atteindre sa fin dernière.
« Vous le comprenez, en effet, ma fille, si les vertus théologales et morales donnent à l’homme de nombreuses connaissances et éloignent de lui mille embarras, elles ne lui font point tout connaître et ne lui rendent pas tout possible. Mais Dieu, qui est tout-puissant et qui connaît tout, perfectionne en l’homme l’œuvre de sa grâce par les dons du Saint-Esprit.
« Les vertus théologales et morales sont au nombre de sept, de même on compte sept dons du Saint-Esprit qui perfectionnent l’oeuvre de ces vertus.
« Les vertus théologales et morales reposent toutes dans la raison ou dans la volonté, parce que la raison et la volonté sont dans l’homme seuls principes d’action.
« La raison est spéculative, c’est-à-dire observatrice; ou pratique, c’est-à-dire agissante. Or, dans la raison spéculative comme dans la raison pratique, vous pouvez considérer l’appréhension du bien ou de la vérité par la vue de la vérité ou du bien, et par le jugement que vous en portez.
« Dans la vue de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don d’intelligence, et la raison pratique par le don de conseil.
« Dans le jugement de la vérité, la raison spéculative est perfectionnée par le don de sagesse, et la raison pratique par le don de science.
« Si, après la raison ou l’intelligence, vous considérez la volonté et l’opération des vertus sur elle, vous verrez que les vertus exercent la puissance de la volonté par rapport à Dieu, à soi et aux passions.
« Or, cette puissance que développent les vertus est perfectionnée par rapport à Dieu par le don de piété, par rapport à soi par le don de force, et contre les passions par le don de la crainte du Seigneur.
« Ces dons du Saint-Esprit sont tous donnés par la grâce sanctifiante, et ils reposent sur la charité qui unit l’âme à Dieu. Celui qui a la charité a en lui tous les dons du Saint-Esprit; mais celui qui perd la charité, perd aussi les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire qu’il n’éprouve point l’effet du souffle de l’Esprit-Saint qui le pousse vers Dieu. »
Je ne me rappelle pas mieux que je ne viens de le dire cette question.
LIVRE NEUVIÈME, chapitre 7
Voici ce que le Sauveur Jésus m’a dit sur chacun de ces dons :
« Je veux, me dit-il, vous parler de chacun des dons du Saint-Esprit, vous apprendre à les estimer en les connaissant mieux.
« Ma fille, il y a trois sortes de sagesse : la sagesse incréée qui est Dieu, la sagesse incarnée qui est le Fils de Dieu fait homme, et la sagesse humaine ou la sagesse de l’homme.
« La sagesse incréée, c’est Dieu, ce sont les trois personnes divines, inséparables les unes des autres, et qui par leur sagesse ont tout créé, gouvernent et dirigent tout. L’esprit de l’homme ne peut comprendre cette sagesse infinie, et l’apôtre, ravi jusqu’au troisième ciel, en ayant aperçu l’éclat quelques instants, n’en put rien dire que ces mots : O élévation des trésors de la sagesse et de la science de Dieu!
« La sagesse incarnée, c’est la seconde personne de la sainte Trinité, le Fils de Dieu fait homme, qui est venu manifester d’une manière extérieure la sagesse incréée par la réparation du désordre causé par le péché.
« La sagesse humaine se divise en deux : La sagesse selon le monde, la chair et le péché, et la sagesse selon Dieu et venue de Dieu. La première est la sagesse des méchants; la seconde, celle des bons.
« La sagesse est une habitude de l’âme qui lui permet de goûter les choses et de les juger, d’où vous voyez que la sagesse des méchants est une habitude de leur âme qui produit un goût et un jugement dépravés, tandis que la sagesse des bons est une habitude qui produit un goût et un jugement parfaits de toutes choses.
« C’est cette sagesse des bons qui est le premier don du Saint-Esprit. Elle se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante; elle se trouve même dans les enfants et les adultes baptisés, qui n’ont point l’usage de la raison, à l’état d’habitude, mais non à l’état de sagesse en acte, parce que ces actes de sagesse sont empêchés dans les enfants et les adultes privés de l’usage de la raison, à cause de ce défaut naturel qui est en eux.
« La sagesse, don du Saint-Esprit, consiste pour tous à goûter et à juger sainement ce qui est à Dieu et en Dieu, comme ce qui est à la vie, de la vie et dans la vie, pour opérer le salut en faisant tout ce que Dieu a prescrit pour cela. Telle est la sagesse commune à ceux qui sont en état de grâce sanctifiante.
« Il y a pourtant une sagesse, don du Saint-Esprit, qui est plus élevée et que certaines âmes reçoivent pour s’élever plus haut dans la contemplation des mystères divins, dans la connaissance de ces mystères et le pouvoir de les manifester à autrui, comme pour mieux connaître la direction des actes de leur vie, selon la volonté de Dieu, connaissance dont l’utilité ne s’arrête pas à eux seulement, mais retombe aussi sur autrui. Mais cette sagesse est une des grâces purement gratuites, et qui, considérées en elles-mêmes, ne concourent pas à rendre plus agréables à Dieu ceux qui les ont.
« Les avantages de ce don de sagesse sont immenses. Celui qui a le don de sagesse est chaste, pacifique, modeste, confiant à la parole d’autrui, favorise le bien, pratique la miséricorde et juge sans dissimulation.
« Car la sagesse ne fait pas seulement contempler Dieu, elle régularise encore les actes de l’homme. Or, le premier effet de cette régularisation est d’éloigner du péché, par conséquent l’homme sage est aussi un homme chaste.
« Il est pacifique, car celui qui est sage n’éprouve point de mouvements désordonnés, déréglés, et tout en lui obéit à Dieu et à la raison; or, la paix, c’est l’ordre, c’est le calme.
« Il est modeste, car si l’homme sage est éloigné du péché, à plus forte raison de ce qui peut conduire au péché.
« Il est confiant, il aime à recevoir des conseils, à les écouter et à les suivre. Il favorise le bien, ne l’empêchant jamais et cherchant au contraire à le développer le plus possible. Il fait le bien lui-même et l’opère avec empressement. Il est miséricordieux, car voyant que l’homme est fait à l’image de Dieu, il a pitié de sa faiblesse, lui porte secours et l’aide selon ses facultés. Il juge sans dissimulation, c’est-à-dire qu’il ne craint point de montrer le mal quand il l’aperçoit, pour le faire disparaître et avertir celui qui le fait de ne le point faire. Et sa sagesse le portera à donner cet avertissement en termes convenables et en circonstances opportunes pour ne point augmenter le mal, mais le guérir complètement.
« Tel est le premier don du Saint-Esprit. Il affecte directement la puissance intelligente de l’homme ainsi que les trois dons suivants, savoir : le don d’intelligence, le don de science et le don de conseil dont je vais vous parler. Mais, afin de vous mieux faire comprendre la nature de ces dons, je veux vous montrer comment ils diffèrent et le rôle qui leur est destiné.
« Ces quatre dons appartiennent à la connaissance surnaturelle de l’homme qui est fondée sur la foi. Or, la foi se porte immédiatement et directement sur la vérité première qui est Dieu; puis sur quelques faits principaux dans l’ordre de la création : l’incarnation et l’humanité du Sauveur, la rédemption de l’homme, sa justification par la grâce, la création et le gouvernement du monde; enfin, elle se porte sur la direction des actes de l’homme, direction fondée sur les règles données par Dieu.
« D’où vous voyez, ma fille, qu’il faut nécessairement de votre part deux choses pour l’objet de la foi : d’abord que vous pénétriez cet objet de votre croyance pour avoir la foi, et vous le faites par le don d’intelligence, qui vous donne une certitude non de démonstration, mais de persuasion tellement efficace que vous voyez clairement que vous devez affirmer votre foi. Il faut que vous portiez sur l’objet de votre foi un jugement droit, de telle manière que vous compreniez la nécessité de vous attacher à ces objets et de vous éloigner de ceux qui leur sont opposés. Or, ce jugement droit est formé pour ce qui concerne Dieu par le don de sagesse, pour ce qui concerne la créature par le don de science. Cela ne suffit pas, il faut encore que le don de conseil vienne en vous pour l’application particulière de chacun de vos actes.
« Vous allez mieux comprendre maintenant, ma fille, mes explications sur ces dons du Saint-Esprit.
« La lumière naturelle qui permet à l’homme de diriger ses actes et de les régler ne lui suffit point, parce qu’il est destiné à une fin surnaturelle. Or, pour obtenir cette fin, ce bien surnaturel, il lui faut une lumière surnaturelle qui lui permette de voir cette fin et ce bien. Elle lui est communiquée par le don d’intelligence.
« Le mot intelligence a plusieurs significations : il signifie la nature de l’âme; il signifie la faculté de l’âme qui est opposée à la volonté; il signifie une disposition à percevoir les principes premiers en tant qu’il faut les affirmer ou les nier, par exemple, qu’il faut aimer Dieu, qu’il ne faut point aimer le mal; enfin, il signifie le don du Saint-Esprit.
« Considéré en lui-même, le mot intelligence signifie connaissance intime d’une chose. Le don d’intelligence surnaturelle est le don de la connaissance intime de ce qui est en Dieu, et des actions à accomplir en vue de Dieu et pour Dieu.
« Le don d’intelligence n’est pas un don d’intelligence purement spéculative, il est aussi un don d’intelligence pratique; car ce don ayant rapport à la foi, il doit être comme la foi, spéculatif et pratique. Or, le don d’intelligence ne se rapporte pas uniquement à ce qui est immédiatement du domaine de la foi, mais encore à tout ce qui est uni avec la foi, par conséquent, les bonnes œuvres lui sont étroitement unies, puisqu’elles la vivifient, car pour l’accomplissement de ces œuvres, il faut nécessairement le don d’intelligence qui les règle et les ordonne.
« Le don d’intelligence se trouve dans tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, car la grâce sanctifiante dirige la volonté vers le bien, et la volonté ne peut être dirigée vers le bien, si elle ne le connaît pas. Quelquefois pourtant il est enlevé à ceux qui se trouvent en état de grâce; cependant ils le conservent autant qu’il leur est nécessaire pour opérer le bien, se maintenir dans le bien et dans la voie du salut. Mais il leur est enlevé pour qu’ils ne pénètrent pas trop avant dans les secrets de Dieu et les vérités sublimes de la foi. Cette élévation de leur esprit pourrait les enorgueillir, et Dieu leur retire l’intelligence par laquelle ils s’élèveraient à ce degré qui causerait leur ruine et leur perte.
« C’est ainsi, ma fille, que tout est disposé pour le bien de vos âmes dans la grâce de Dieu et les dons de son Esprit.
« Le don de science est le don qui vous fait connaître tout ce qui est dans l’ordre de la création et des devoirs que vous avez à remplir en vue de cet ordre, pour obtenir votre fin surnaturelle. Par conséquent ce don vous apprend le chemin que vous devez tenir et les dangers que vous devez éviter; l’usage que vous devez faire des créatures; la manière dont vous devez en user ou la séparation que vous devez établir entre elles et vous. Le don de science est par conséquent un don qui tend nécessairement à l’action.
« Le don de conseil est un don surnaturel qui dirige, règle et conduit les actes de l’âme qui a connaissance de ses devoirs. Cette direction, cette conduite ne vient pas par le raisonnement, mais par le conseil ou l’inspiration du Saint-Esprit. Ce don de conseil fait donc éviter le mal dans les actes et toujours opérer le bien; il vous mène dans toutes les actions qui tendent à la vie éternelle, dans tout ce qui est, comme dans tout ce qui n’est pas de nécessité de salut.
« Il vous est facile de comprendre, ma fille, quelle perfection l’âme acquiert par ce don, car elle a par lui la rectitude même de Dieu ou de l’Esprit-Saint qui dirige toutes choses sur la terre et dans le ciel.
« Ces quatre dons du Saint-Esprit, ma fille, ont rapport à l’intelligence; les autres, à la volonté de l’homme.
« Le don de force est mis dans l’âme par le Saint-Esprit pour qu’elle résiste vigoureusement à toutes les adversités de la vie, de quelque nature qu’elles soient, pour les lui faire traverser avec fermeté et l’empêcher de succomber sous leur poids.
« Ce don de force se fait sentir par trois effets dans l’âme : le premier qui la porte à attaquer et à prévenir les difficultés de la vie; le second qui la porte à tout supporter sans attaquer jamais, et le troisième à tout supporter aussi, et non pas seulement un jour, mais plusieurs années et même jusqu’à la mort.
« Or, vous devez remarquer encore, ma fille, que le don de force ne doit point faire dire à l’âme qui l’a reçu, que ce que le corps éprouve n’est pas un mal, n’est pas une douleur, une souffrance; il suffit pour que le don de force opère, que l’âme ne se laisse pas aller à la tristesse, au point de quitter la voie du bien et de la vérité.
« Enfin, vous devez remarquer que la grâce de Dieu se fait sentir tellement quelquefois à l’âme, qu’elle oublie toutes les peines de son corps pour n’éprouver qu’une entière et complète satisfaction, ce qui lui permet de s’écrier qu’elle surabonde de joie au milieu de toutes ses tribulations.
« La piété, ma fille, est un don du Saint-Esprit, qui vous porte avec empressement et amour à rendre à Dieu le culte intérieur et extérieur qui lui est dû, et à vous soumettre en tout à sa volonté.
« La piété est un don de la vie présente et aussi un don de la vie future.
« Le don de piété vous portera à honorer Dieu, à lui rendre vos devoirs, parce qu’il est votre créateur, votre souverain maître, votre Dieu, votre rédempteur, et qu’à ces titres il mérite tous vos devoirs tant intérieurs qu’extérieurs. Il vous portera à vous soumettre à toute les lois et pratiques de la religion que vous devez observer. Il vous portera à l’aimer et à vous donner tout entière à lui. Il vous portera à rendre hommage aux saints parce qu’ils sont les temples glorifiés de Dieu, à honorer surtout votre famille et à lui demeurer toujours humblement soumise. Il vous portera à secourir les pauvres dans les nécessités du corps comme dans celles de l’âme, parce qu’il vous montrera en eux mon image. Il vous portera à passer toujours au milieu des méchants sans les scandaliser par votre conduite, et à vivre même parmi eux dans la pratique constante du bien et de la vertu.
« Je vous ai dit, ma fille, que la piété demeurera avec vous dans le ciel; vous y conserverez en effet ce don, mais non tel que vous l’avez sur la terre; vous le conserverez pour demeurer toujours attachée et unie à Dieu.
« Ma fille, il y a plusieurs sortes de crainte. La crainte du pécheur, crainte excessive qui le fait tomber dans le désespoir à la vue de la justice de Dieu et de ses jugements : cette crainte est mauvaise.
« Celle des personnes qui redoutent les vengeances de Dieu et qui pour cela accomplissent sa loi, n’osant commettre le péché à cause du châtiment qui le suivrait. La loi est pour elles un pesant fardeau. L’amour seul peut rendre le fardeau de la loi doux et léger.
« Il y a une autre espèce de crainte, la crainte des serviteurs. Ils accomplissent fidèlement toute la loi, ils regardent, craignent et aiment Dieu comme leur maître. Ils craignent de lui déplaire à cause des châtiments qu’ils encourraient et de la perte de leur récompense. Ils l’aiment pour lui-même, sans doute, mais ils l’aiment surtout pour leurs intérêts.
« La meilleure des craintes est celle des enfants de Dieu. Ceux-ci regardent, aiment et craignent Dieu comme leur père; ils ne considèrent ni le châtiment, ni la récompense, et n’ont d’autre mobile de leurs actions que la volonté de leur Père qui règne au ciel. Cette volonté est la seule loi qu’ils reconnaissent et ils se soumettent à cette volonté pour être agréables à Dieu, par amour pour lui, à cause de ses infinies perfections et des bienfaits dont il les a comblés. Ne sachant comment lui témoigner leur reconnaissance, ils lui offrent toutes leurs actions et tout ce qu’ils possèdent. Désirant l’aimer le plus parfaitement possible, et voyant que tout est imperfection sur la terre et danger de lui déplaire, ils soupirent après le ciel, non pour être plus heureux ou délivrés des peines de la vie, mais pour ne plus offenser Dieu et l’aimer parfaitement. Ils sont vertueux non à cause de la récompense qui les attend, mais pour plaire à Dieu; et, après l’avoir servi fidèlement toute leur vie, ils se verraient sans peine condamnés au feu de l’enfer, pourvu qu’ils pussent là encore donner à Dieu leur amour. S’ils tombent dans le péché, dans un moment de faiblesse, loin de se décourager et de refroidir leur amour pour Dieu, ils se relèvent avec courage, avec une ferme résolution de ne plus pécher; ils vont se jeter entre les bras paternels du Seigneur, ils lui demandent pardon et s’engagent à l’aimer désormais davantage, à faire plus fidèlement en tout sa volonté. S’ils demandent une grâce, ils la demandent comme la demanderait un enfant à son père. Ah! Ma fille, combien ceux qui agissent ainsi sont peu nombreux.
« Cette crainte filiale, c’est le Saint-Esprit qui la donne à l’âme. Ceux qui ont cette crainte sont conduits par l’Esprit-Saint. Aussi toutes leurs actions sont les actions des véritables enfants de Dieu.
« Ce que je viens de vous dire, ma fille, des divers dons du Saint-Esprit, vous en fait assez comprendre l’importance, la nécessité et les immenses avantages. Le Saint-Esprit vous les a donnés dans leur plénitude au jour de votre confirmation. Ne mettez jamais d’obstacle, ma fille, à l’efficacité de ces dons. Laissez-vous conduire par l’Esprit-Saint; il est Esprit de vérité, il vous maintiendra dans la vérité, il vous attachera à la vérité, et par lui vous serez unie à Dieu et vos trouverez en Dieu la félicité. »
Amour et reconnaissance soit à jamais à Jésus au saint sacrement de l’autel. Amen.