souveraineté alimentaire

La Chine impose le déboisement au nom de la souveraineté alimentaire

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Pékin adopte une politique autoritaire pour développer la production de blé, de maïs et de riz, au détriment du couvert forestier, des espaces verts et des productions fruitières. Alors que le pays assurait plus de 93 % de ses besoins alimentaires au début du siècle, il n’en produit plus que 65 %.

Le président chinois Xi Jinping dans un champ de blé, lors d’un déplacement dans la province du Hebei (Chine), le 11 mai 2023. XINHUA/YAN YAN/EPA/MAXPPP

A Chengdu, les cyclistes et les joggeurs qui empruntent la superbe piste cyclable d’une centaine de kilomètres qui entoure la capitale du Sichuan, dans le sud-ouest de la Chine, assistent depuis quelques mois à un étrange spectacle. Un peu partout, des dizaines de paysans à la retraite, payés une bouchée de pain, épierrent les terrains environnants. De même, certains arbres sont abattus et des bulldozers détruisent les jardins sauvages qui font le charme de cette coulée verte. Non que des promoteurs aient fait main basse sur ces terrains. Ici, bambous, arbustes et fleurs sauvages doivent s’effacer au profit de vastes étendues de maïs et de riz. Sur un panneau sont précisés les « cinq interdits ». Le premier : interdit de planter des arbres et de pratiquer des activités fruitières.

Au nord-ouest de la ville, même phénomène : une partie du joli parc urbain « des deux rivières » qui jouxte un terrain de golf et des villas cossues est sens dessus dessous. « Retour à l’état agricole », lit-on sur un panneau. « L’Etat a besoin de terres pour l’alimentation », explique une retraitée, avant de s’éclipser rapidement.

En 1999, participant à la conférence de Bonn sur le changement climatique, la Chine s’est engagée à favoriser le reboisement, notamment en transformant des terres agricoles en forêts, dans le cadre d’un programme baptisé en anglais « Grain for Green ». Avec succès : de 1990 à 2020, la couverture forestière est passée de 157 millions à 220 millions d’hectares.

Aujourd’hui, on assiste au phénomène inverse. Partout dans le pays, on déforeste pour planter des céréales. A quelques dizaines de kilomètres au nord de Chengdu, dans le village de Panlong, une tractopelle arrachait, mi-juin, les derniers arbustes. Les bambous sont déjà à terre. Tout autour, le maïs fait son apparition. Appelée en catastrophe par des habitants qui s’inquiètent de voir un étranger prendre des photos, la responsable du village nous explique : « Les bambous ne rapportent rien. Le maïs, lui, rapporte. » Le conducteur de la tractopelle est pressé. Il a encore plus d’un demi-hectare à déboiser un peu plus haut.

« Infâme »

« Récemment, des fonctionnaires sont venus voir mes parents. Ils avaient repéré par satellite que certains de leurs terrains n’étaient pas cultivés. Ils les ont obligés à planter du maïs », témoigne sous le couvert de l’anonymat une jeune femme qui habite Cifeng, le village voisin.

Sur Message Board for Leaders, un site officiel qui permet aux Chinois d’interpeller les autorités, un paysan de Hongwa, un village au nord de Chengdu, se plaignait en avril : « J’ai quelques mu [unité de superficie équivalente à 0,06 hectare] d’oliviers odorants et de ginkgos. Ils ont été coupés. On m’a promis 3 000 yuans [environ 383 euros] par mu. Mais je n’ai rien reçu. » Sur le même site, un paysan du comté de Tianpeng explique : « J’avais quelques terres pour les arbres fruitiers. Mais le village m’a dit de les couper. Même si on me donne 3 000 yuans par mu, je trouve ça dommage. Cette politique – passer du vert aux grains – est-elle vraiment obligatoire ? »

(source: lemonde.fr)