Ukraine; juriste Philippe Sands
« Inculper Poutine du crime d’agression permettrait de gagner du temps »
Le juriste franco-britannique Philippe Sands estime qu’un tribunal spécial serait plus approprié que la Cour pénale internationale (CPI) pour juger le chef du Kremlin.

Spécialiste du droit international, le juriste et avocat franco-britannique Philippe Sands est professeur de droit à l’University College de Londres et auteur du récent La Filière
(Albin Michel, 2020), une enquête au long cours sur la traque d’un criminel de guerre nazi. Selon lui, un tribunal spécial serait plus approprié que la Cour pénale internationale (CPI) pour juger le chef du Kremlin. Il travaille activement à sa création.
Comment peut-on décrire, du point de vue du droit international, ce qui se passe sur le terrain, aujourd’hui en Ukraine : crimes de guerre, contre l’humanité, génocide ?…
Des crimes de guerre sont commis par l’armée russe, certainement aussi des crimes contre l’humanité, notamment à Marioupol, mais je ne pense pas qu’on puisse parler de génocide, en tout cas pas à ce stade. Un autre crime est également commis, sur lequel je tiens particulièrement à insister : le crime contre la paix ou crime d’agression d’un Etat contre un autre, sans aucune justification et au mépris du droit international. La guerre en Ukraine est manifestement illégale, non autorisée par le Conseil de sécurité sur la base de l’article 51 [légitime défense] de la Charte des Nations unies. Il n’y a, à l’évidence, pas non plus de justification humanitaire.
Parce que d’un point de vue du droit international, elle permet d’impliquer directement Vladimir Poutine et son entourage sans l’ombre d’un doute. Toutes les preuves sont devant nous, elles seraient très faciles à réunir pour déboucher rapidement sur une inculpation : une agression a bel et bien commencé le 24 février, et elle se poursuit. Alors que pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la chaîne de commandement est infiniment plus complexe : on ne sait pas tout, on n’a pas les preuves. Pourquoi les Russes attaquent-ils des civils ? Qui donne vraiment les ordres ? Avec quelle autonomie ? Ces décisions sont-elles prises sur le champ de bataille ? Plus haut ? Par qui ? Etablir avec précision la répartition des responsabilités …