Pendant que l’opinion publique s’inquiète du contenu final des amendements à la nouvelle loi foncière relative aux propriétés privées non titrées [1], qui devraient être adoptés au cours de la session parlementaire en cours, un document de la Société Financière Internationale (SFI) et de la Banque Mondiale intitulé « Diagnostic du Secteur Privé – Créer des marchés à Madagascar » publié en décembre 2021 [2], provoque d’importantes préoccupations. Comportant des recommandations sur la « réforme » de plusieurs lois, afin que les investisseurs étrangers puissent devenir propriétaires de terres malgaches, les parties de son contenu en lien avec les terres méritent d’être portées à la connaissance de tous et d’être dénoncées. Ceci nous rappelle que la Banque Africaine de Développement avait émis comme condition d’attribution d’un financement du Programme d’Appui à la Compétitivité Economique (PACE) en 2019 l’adoption par les dirigeants malagasy de textes règlementaires relatifs aux agropoles [3]. Les impacts dramatiques d’une éventuelle application de ces propositions inacceptables sur l’appauvrissement de la population déjà démunie nécessitent une large information et des débats.
I – Quelles sont les lois mentionnées qui permettraient aux investisseurs étrangers de devenir propriétaires de terres ?
1 – Le rapport de la SFI et de la Banque mondiale part d’une analyse de la situation de Madagascar post-Covid 19. Il met en évidence les défauts et lacunes du pays, déjà souvent évoqués, qui empêcheraient le développement du secteur privé et la venue d’investisseurs, comme la gouvernance et l’insuffisance d’infrastructures dans divers domaines. Ensuite il avance des propositions pour améliorer l’« environnement des affaires » en demandant notamment
- la réduction « des avantages injustes dont bénéficient certaines entreprises en place »,
- l’adoption d’une loi sur les investissements qui « harmonise les différentes lois et réglementations […], une condition primordiale permettant de renforcer la confiance des investisseurs »,
- et l’accélération de « réformes » qui motiveraient de nouvelles entreprises à s’installer, en citant « le transfert de propriété ». [2]
2 – Le chapitre consacré aux terres souligne que le marché foncier à Madagascar « ne fonctionne pas à cause d’un régime foncier précaire qui limite l’accès à la terre pour la production agricole et le développement des entreprises du secteur privé ». Selon le rapport, « les étrangers ne peuvent pas acquérir définitivement des terres, et le cadre de la location n’offre pas une sécurité suffisante pour les investissements à long terme ». Aussi suggère-t-il
- « la mise à jour du cadre juridique et de la Loi-cadre sur le zonage, pour clarifier les procédures relatives aux zones d’investissement, y compris les zones d’investissement agricole,
- l’adoption de la loi sur les propriétés foncières privées titrées, qui vise à faciliter les procédures de transfert des terres et à créer la possibilité d’acquérir des terres » [2]
Le risque de voir le gouvernement malgache adopter ces recommandations de la Banque Mondiale est très élevé car dans une lettre d’intention destinée au Fonds Monétaire International (FMI) datée du 24 février 2022, le Ministre de l’Economie et des Finances écrit « Nous poursuivrons nos efforts pour promouvoir un climat d’affaires favorable, qui est essentiel pour stimuler l’investissement privé, comme prévu dans notre PEM [4]. […] Dans le cadre d’une nouvelle loi sur les investissements, nous avons l’intention […], de renforcer l’égalité de traitement des investisseurs nationaux et étrangers, et clarifier […] les questions d’accès à la terre et des droits de propriété » [5]
Toutes les lois mentionnées ont pourtant fait l’objet de fortes critiques de la part des organisations de la société civile et d’autres entités, et une présentation à l’improviste de nouvelles versions de ces textes pour un vote par les parlementaires à cette session du mois de mai 2022, serait complètement inacceptable.
II – Pourquoi ces recommandations vont-elles à l’encontre du développement des Malagasy ?
1 – Légaliser l’achat de terres malgaches par les investisseurs étrangers est dangereux pour l’existence de la majorité des Malagasy à moyen et long terme et pour leurs droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.