Des dirigeants européens critiquent l’expression « malheureuse » d’Emmanuel Macron sur les Etats-Unis

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Assumant pleinement des propos controversés sur Taïwan rendus publics dimanche, Emmanuel Macron a déclaré mercredi, depuis Amsterdam, qu’« être allié ne signifie pas être vassal ».

Boris Pistorius à Vilnius, en Lituanie, le 7 mars. TOBIAS SCHWARZ / AFP

Le voyage du président Emmanuel Macron à Pékin devait démontrer l’unité européenne face à la Chine et convaincre le président Xi Jinping d’aider à freiner l’agression russe de l’Ukraine, mais il aura surtout agacé les alliés de la France. Le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a déploré jeudi 13 avril l’attitude « à courte vue » des Européens sur la Chine, dans une claire allusion à la visite d’Emmanuel Macron.

« Ils se tournent, avec une vision à courte vue, vers la Chine afin de pouvoir vendre des produits européens au prix d’un énorme coût géopolitique, augmentant notre dépendance vis-à-vis de la Chine plutôt que de la réduire », a-t-il affirmé lors d’un discours à Washington. « Vous ne pouvez pas protéger l’Ukraine aujourd’hui et demain en disant que Taïwan n’est pas votre affaire », a-t-il ajouté devant le centre de recherche Atlantic Council, paraphrasant le président français sans toutefois le nommer. « Je crois, Dieu nous en préserve, que si l’Ukraine tombe, si l’Ukraine est conquise, le jour d’après la Chine pourrait attaquer – peut attaquer – Taïwan », a-t-il dit. Le dirigeant polonais a également raillé le concept d’autonomie stratégique des Européens, là encore dans une allusion aux déclarations de M. Macron. « L’autonomie européenne, ça fait chic n’est-ce pas ? Mais cela veut dire changer le centre de gravité européen vers la Chine et rompre les liens avec les Etats-Unis », a-t-il affirmé. « Je n’arrive pas trop à comprendre le concept d’autonomie stratégique si cela veut dire, de facto, se tirer une balle dans le pied », a-t-il dit, parlant d’une « erreur dramatique ».

L’expression jugée « malheureuse » en Allemagne

Le président français a suscité une vague d’incompréhension aux Etats-Unis et en Europe en appelant l’Union européenne à ne pas être « suiviste » de Washington ou de Pékin sur la question de Taïwan. « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes » sur la question de Taïwan « et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise », a-t-il dit dans une interview au site américain Politico et au quotidien économique français Les Echos parue dimanche.

Mercredi, M. Macron a répété qu’« être allié (des Etats-Unis) ne signifie pas être vassal ». « C’est pas parce qu’on est allié (…) qu’on n’a plus le droit de penser tout seul », avait-il ajouté lors d’une conférence de presse à Amsterdam. Une nouvelle phrase que le ministre de la défense allemand, Boris Pistorius, en visite au Mali, a jugée « malheureuse ». « Nous n’avons jamais été en danger d’être ou de devenir un vassal des Etats-Unis », a commenté M. Pistorius.

« Nous devons à l’avenir être capables de parler en tant qu’Union européenne sur le plan de la politique étrangère, et aussi sur le plan de la politique de sécurité » a ajouté M. Pistorius, membre du parti social-démocrate (SPD). Pour autant « trouver des positions propres en accord avec (…) les Etats-Unis, c’est notre devoir », a-t-il dit. « Cela ne nous aide pas de nous diviser ou de nous laisser diviser sur des positions différentes. A la fin, cela aide seulement la politique étrangère chinoise », a conclu Boris Pistorius. Ce proche du chancelier Olaf Scholz est le premier membre du gouvernement allemand à s’exprimer publiquement sur les propos du chef de l’Etat français qui ont semé le trouble parmi les alliés de la France.

Dans son sillage, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, a assuré jeudi que les Etats européens étaient unis dans leur politique vis-à-vis de Pékin. « Nous n’avons pas seulement une position commune, mais quand on partage un marché commun, on ne peut pas avoir des positions différentes vis-à-vis du plus grand partenaire commercial de l’UE », a déclaré Mme Baerbock lors d’un point presse à Tianjin, où la ministre est arrivée jeudi pour son premier déplacement en Chine.

L’Union européenne en désaccord

Le ministre des affaires étrangères lituanien, Gabrielius Landsbergis, s’est montré particulièrement cinglant. « Je propose que nous reconnaissions les avantages et la nécessité de l’unité transatlantique [au lieu de] mendier auprès des dictateurs qu’ils aident à assurer la paix en Europe », a-t-il réagi sur Twitter. Les pays d’Europe de l’Est sont traditionnellement attachés à une relation étroite avec Washington qu’ils considèrent comme leur principale garantie de sécurité face à la menace russe. Le premier ministre Mark Rutte s’est abstenu de critiquer son invité mais il a souligné que les États-Unis étaient « indispensables » et que « sans leur soutien, il aurait été inconcevable que l’Ukraine puisse résister » à la Russie.

À Bruxelles, on regrette que les commentaires de M. Macron aient éclipsé les efforts de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour coordonner la position de l’UE à l’égard de la Chine. Avant d’accompagner M. Macron lors de sa visite à Pékin, Mme von der Leyen avait prononcé un discours bien accueilli sur la nécessité pour l’UE de « réduire les risques » créés par sa dépendance envers la Chine, sans pour autant se « découpler » de son énorme marché.

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a semblé, lui, venir au secours du président français. « Il y a un grand attachement pour l’alliance avec les Etats-Unis et Emmanuel Macron n’a rien dit d’autre », a-t-il souligné. « Mais est-ce que cette alliance supposerait qu’on suive aveuglément systématiquement la position des Etats-Unis sur tous les sujets ? Non », a-t-il martelé.

Le Monde avec AFP

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