Axe Maurice-Madagascar: Malaise diplomatique et régional…

Depuis l’arrestation à Maurice du milliardaire malgache Mamy Ravatomanga – une arrestation effectuée en clinique, fait extrêmement rare – un profond malaise s’est installé. Au cœur de cette affaire à multiples ramifications se dessine une trame politique et diplomatique complexe où se mêlent influences, loyautés anciennes, trafic d’influence, promesses d’argent et imprudences diplomatiques.
L’arrestation de Me Junaid Fakim, ex-commissaire de la Financial Crimes Commission (FCC), n’a fait qu’ajouter à la confusion. L’avocat, qui a démissionné le 25 octobre, est soupçonné d’avoir eu des contacts directs avec Ravatomanga, proche de l’ancien président Andry Rajoelina, par l’intermédiaire de relais locaux. Cette proximité apparente entre un ex-haut responsable mauricien et une figure emblématique du pouvoir malgache suscite des interrogations dans les deux capitales.
Silence pesant du côté malgache
Le silence des institutions est révélateur. Ni Camille Vital, ambassadeur de Madagascar à Maurice, ni Edgard Razafindravahy, secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI), n’a commenté publiquement la situation. Tous deux issus de la sphère d’influence du régime Rajoelina, leurs postes respectifs – diplomatique et régional – en font des acteurs sensibles dans cette équation. Leurs relais mauriciens, qui s’étaient manifestés au début de l’affaire, se font discrets depuis la démission de l’avoué Gilbert Noël, celui du commissaire de la FCC et l’arrestation de Nasser Bheeky.
Camille Vital, ancien Premier ministre durant la transition (2009-2011), connaît bien les rouages politiques malgaches. Son retour à l’avant-scène, en tant qu’ambassadeur, visait à renforcer les liens économiques entre Maurice et Madagascar. Aujourd’hui, cette mission se heurte à un mur de méfiance. De son côté, Edgard Razafindravahy, nommé secrétaire général de la COI en 2024 après un passage remarqué au gouvernement malgache comme ministre du Commerce, se retrouve dans une position délicate. Son mandat pourrait s’achever plus tôt que prévu si le scandale Ravatomanga prend une tournure politique régionale.
Une enquête qui fragilise
La COI, censée incarner la coopération régionale, se retrouve involontairement au cœur du tumulte. À Maurice, certains observateurs s’interrogent déjà : si le mandat du secrétaire général devait se terminer prématurément, le poste reviendrait-il à un Mauricien ? L’alternance informelle entre les États membres – Comores, Seychelles, Madagascar, Maurice et La Réunion – pourrait aller en ce sens, fait-on ressortir à l’hôtel du Gouvernement, qui a revu sa position concernant le retour de Fanirisoa Ernaivo, nommée ministre de la Justice par le nouveau régime de transition. «Il y avait un lobby intense pour la salir avant l’arrestation de Mamy», confie un membre influent du gouvernement.
Les questions qui dérangent
L’atterrissage, il y a une vingtaine de jours, d’un jet privé transportant Mamy Ravatomanga à Maurice avait déjà fait grincer des dents. À l’époque, ni la FCC ni l’ambassade malgache n’avait souhaité commenter l’objet du déplacement. Depuis, l’enquête mauricienne a révélé des éléments troublants sur des transactions transfrontalières et des relations d’affaires opaques.
Les regards se tournent désormais vers ceux qui, à Maurice comme à Madagascar, préfèrent le silence à la transparence. Certains y voient une protection tacite, d’autres une prudence diplomatique. Quoi qu’il en soit, l’affaire Ravatomanga illustre à la perfection le croisement entre affaires économiques, loyautés politiques et influences régionales.
Et maintenant ?
La question qui hante désormais les chancelleries régionales est simple : jusqu’où cette affaire ira-t-elle ? Dans les couloirs feutrés de la COI comme à l’ambassade malgache, chacun semble retenir son souffle. Les témoignages se font à voix basse, off the record. Peu à peu, chacun prend ses distances avec Mamy Ravatomanga. Nous avons envoyé un courriel au siège de la COI et tenté à plusieurs reprises de joindre l’ambassade de Madagascar à Maurice. Leur réponse : «Le secrétaire général de la COI ne peut pas commenter une affaire qui concerne deux juridictions de ses États membres car il est tenu par un devoir de réserve sur les affaires intérieures des États membres.»
(source: lexpress.mu)