( Envoyée spéciale Le Figaro à Moscou
Ukraine: Emmanuel Macron en première ligne face à Vladimir Poutine

Lundi soir à Moscou, le chef de l’État a proposé des «voies de convergence» au président russe.
Ils se sont vus pendant plus de cinq heures, éloignés de plusieurs mètres, chacun à un bout d’une immense table blanche et ovale. Mais cette distance imposée par le président russe n’avait pas forcément de signification politique. Vladimir Poutine, qui redoute le Covid et avait exigé de la délégation française quatre tests PCR négatifs pour pouvoir venir en Russie, avait réservé le même sort, la semaine dernière, à son ami Viktor Orban, le premier ministre hongrois.
Emmanuel Macron est un président qui aime prendre des risques. Et qui ne renonce jamais devant l’obstacle, même quand il est jugé infranchissable pour le plus agile des chevaux de course. Il est donc allé à Moscou pour rencontrer l’ours du Kremlin, qui depuis l’automne dernier met l’Europe en tension en massant plus de 100.000 hommes aux frontières de l’Ukraine, ancienne république soviétique dont il ne digère pas l’indépendance. C’était la première négociation directe entre le président russe et un dirigeant occidental de premier plan depuis la montée des tensions en décembre. Sur les terres de Vladimir Poutine, dans ce Kremlin si chargé d’histoire, de secrets et de coups tordus, cette septième rencontre avec le président russe, qui s’ajoute à seize coups de téléphone, sera peut-être la plus importante. Pour l’avenir de l’Ukraine. Pour la sécurité de l’Europe. Et pour le bilan international du président, à quelques semaines de la présidentielle.
Avec ses idées de puissance et d’autonomie stratégique, la France est toujours soupçonnée par ses alliés de vouloir affaiblir l’OTAN
Les deux présidents ont échangé sur ce que Vladimir Poutine appelle la «politique des portes ouvertes» de l’OTAN à l’est du continent, qu’il n’a de cesse de dénoncer. Il a répété à Emmanuel Macron qu’il voulait la fin de l’extension à l’est de l’Alliance. Le président russe a aussi dénoncé ce qu’il appelle «la mauvaise volonté» des autorités ukrainiennes dans l’application des accords de Minsk. «Nous espérons que nos entretiens seront pris en compte» demain dans la conversation entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky, a dit le président russe. Au cours de leur conférence de presse commune, Poutine a déclaré qu’il reparlerait au président français après l’entretien de ce dernier avec son homologue ukrainien.
Dans l’avion qui l’emmenait à Moscou, le président avait confié à quelques journalistes que l’idée d’une «finlandisation» de l’Ukraine faisait partie, entre autres sujets, des dossiers posés sur la table. «Vladimir Poutine veut un changement profond de la politique de l’OTAN. Il faut trouver une solution pour que cet espace de sécurité qu’est l’OTAN cohabite avec la Russie. Un élément d’adéquation, c’est la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN»,a-t-il dit.
«Idées faisables»
Tout en réaffirmant que rien ne se fera jamais sans l’accord de l’Ukraine. Le tête à tête avec Vladimir Poutine devait permettre de «tester des hypothèses, de lever des options». «Il faut, dit Emmanuel Macron, inventer une solution nouvelle» autour de l’Ukraine. S’agit-il de tordre le bras à Volodymyr Zelensky, qui a pourtant été associé à la visite de Moscou et qui depuis plusieurs semaines a vu se multiplier les manifestations de soutien de la part des Occidentaux? Certaines des «idées» présentées par Emmanuel Macron sont «faisables» a dit le président russe. Le président français va consulter ses partenaires pour «les confirmer dans les prochains jours et semaines». M. Poutine est «disponible pour s’engager dans cette logique», dit le président français.
À Moscou, c’est souvent la force militaire qui gagne contre la diplomatie. Et il arrive que les réalistes comme Emmanuel Macron soient entravés par la réalité
Le passage destructeur de l’ouragan Trump et l’échec en Afghanistan avaient apporté de l’eau au moulin européen d’Emmanuel Macron sur la nécessité de muscler la défense européenne. Mais les menaces d’invasion russes sont venues freiner les velléités françaises d’autonomie vis-à-vis des États-Unis. Car face à Moscou, la plupart des capitales européennes serrent les rangs derrière Washington pour assurer leur défense. Au lieu d’insuffler un nouvel élan à la défense européenne, les menaces russes ont au contraire donné une nouvelle vie et une nouvelle légitimité à l’Alliance Atlantique.
Mais pour l’instant, le maître du jeu reste Vladimir Poutine. À Moscou, c’est souvent la force militaire qui gagne contre la diplomatie. Et il arrive que les réalistes comme Emmanuel Macron soient entravés par la réalité.