Le patronat appelle à donner un nouveau souffle à l’accord d’association Maroc-UE
INTERVIEW. La directrice générale adjointe du patronat européen, Luisa Santos, nous explique dans cet entretien pourquoi le temps est venu de moderniser l’accord d’association entre le Maroc et l’Union européenne. Et pourquoi l’Afrique doit être partie intégrante de ce nouvel accord.

La CGEM et BusinessEurope ont organisé ce lundi 14 février une rencontre sur le thème « la modernisation de l’Accord d’Association Maroc-UE : pour une intégration plus forte des marchés européens et africains ». Une rencontre tenue en marge de la 7ème édition de l’UE-Africa Business Summit (EABF).
Modératrice de l’évènement, Luisa Santos, DGA du patronat européen et chargée des relations internationales, nous parle dans cet entretien de la nécessité de cette modernisation du partenariat qui lie le Maroc et l’Union européenne et l’intégration de l’Afrique dans cet accord d’association. Une modernisation qui est plus que nécessaire nous dit-elle et qui répond parfaitement aux exigences et aux défis du moment. Le temps est à l’action, lance-t-elle à l’adresse des politiques des deux parties, un peu comme ce qui a été dit par Chakib Alj, président de la CGEM, lors de son intervention d’ouverture de cet événement.
Le patron des patrons marocains a affirmé clairement « la nécessité de donner un nouveau souffle à l’accord commercial et d’investissement Maroc-UE, adopté en 1996, afin qu’il puisse refléter la nouvelle réalité (….) La modernisation de l’Accord d’Association Maroc-UE offre un énorme potentiel et peut être un modèle pour une relation UE-Afrique plus forte. Le temps est à l’action ! ».
Même son de cloche du président de BusinessEurope, Pierre Gattaz : « Le monde a changé depuis l’entrée en vigueur de l’Accord d’Association UE-Maroc et il faut l’adapter aux réalités commerciales du 21ème siècle et aux besoins des entreprises dans des domaines importants comme l’économie digitale. Pour favoriser l’intégration de nos chaînes de valeur, nous devons combler les barrières non-tarifaires et faciliter les investissements étrangers et le commerce de services notamment. Cela sera encore plus important dans un contexte où beaucoup d’entreprises européennes cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement », a lancé Pierre Gattaz qui est également président du Medef, le patronat français.
Des changements, des évolutions et des objectifs qui mettent les hommes d’affaires marocains et européens d’accord. Reste à savoir si les politiques vont suivre…
Luisa Santos se dit en tous cas optimiste et pense que les politiques européens ont pris conscience, notamment avec les chamboulements produits par la pandémie du Covid-19, que l’avenir est à la diversification des sources d’approvisionnement et au raccourcissement des chaînes de valeur. Des objectifs qui passent, selon elle; par un partenariat renouvelé avec le Maroc, en tant que pays qui a déjà fait ses preuves en la matière, mais aussi en tant que porte d’entrée par excellence vers le continent africain.
L’accord était très positif, mais il a atteint ses objectifs. Il faut désormais passer à un niveau supérieur…
Médias24. Pourquoi cette modernisation de l’accord Maroc-UE s’impose-t-elle ? Pourquoi en parle-t-on aujourd’hui?
Luisa Santos. On en parle parce que l’accord date de l’an 2000. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Il y a un intérêt économique des deux parties d’adapter cet accord aux réalités d’aujourd’hui. C’est une preuve de la maturité des relations entre le Maroc et l’UE. L’accord était très positif, mais il a atteint ses objectifs. Il faut désormais passer à un niveau supérieur…
– L’accord actuel porte essentiellement sur l’agriculture, la pêche. Qu’est-ce que vous entendez par passer au niveau supérieur ? Qu’est ce qui doit être revu, selon vous ?
-La réalité de l’époque était complètement différente de celle d’aujourd’hui. On n’avait pas cette approche de chaînes mondiales d’approvisionnement. On n’avait pas cette approche des services, l’importance des règles qui peuvent constituer des barrières non tarifaires, l’importance du digital, du climat… Ce sont de nouveaux objectifs qui sont venus après et qui ont un impact important sur le business en général et sur les relations entre le Maroc et l’UE.
Cela veut dire que l’accord actuel ne tient plus en compte des réalités actuelles et de l’état de nos relations. Il faut donc l’adapter pour qu’il tienne compte de la réalité et créer davantage de conditions au développement des opportunités qui existent dans le commerce et l’investissement, mais aussi dans l’intégration vis-à-vis du continent africain.
– Concrètement, s’il y a des points à changer dans cet accord, ce seraient lesquels ?
-Il y a les services par exemple. Les services sont très importants dans nos économies et dans le rapport entre le Maroc et l’UE. Aujourd’hui, on n’exporte pas seulement des biens et des marchandises, mais aussi des services qui sont liés à ces biens. Par exemple, quand vous pensez à un investissement, il y a la partie physique, mais il y a aussi le personnel qui doit aller avec, le software… Tout cela n’est pas vraiment pris en compte dans l’accord actuel.
Puis, on a aussi la question des règles. Beaucoup de nouvelles règles, de nouveaux standards, sont imposés, dans divers domaines, quand on veut exporter dans n’importe quel pays. Il faut prendre cela en compte, notamment dans le domaine environnemental.
– Quand vous parlez de la question des règles qui constituent des barrières non tarifaires, de quoi s’agit-il concrètement ?
-C’est quand il y a dans certains secteurs des contraintes pour les entreprises pour pouvoir exporter des produits. Dans les secteurs chimiques ou agroalimentaires, on a différentes réglementations et les entreprises sont obligées de s’adapter à ces contraintes. Concrètement, cela se matérialise par la nécessité de faire des tests, de présenter des certificats, des documents de conformité… Parfois, ceci pèse plus dans le prix que les droits de douane.
– Il y a aujourd’hui un grand débat sur les phosphates et le cadmium qui pose problème selon les règles européennes. Est-ce que vous pensez à ce genre de problématique en particulier ?
-C’est une problématique assez générale qui ne concerne pas que cet exemple-là. Ça peut être dans le secteur chimique comme dans l’agroalimentaire. La réalité, c’est que la réglementation évolue, parce qu’il y a des pressions au niveau des consommateurs et crée des différences de législations entre les différents pays. Si une entreprise produit au Maroc, elle connaît forcément les règles marocaines, mais si elle exporte en Europe, elle doit aussi connaître les règles européennes.
Ce qu’il faut noter, c’est que désormais dans les accords de libre-échange, on négocie dans ces accords un chapitre pour les PME. Dans le cas de l’accord entre le Maroc et l’UE, on peut imaginer certaines mesures qui facilitent l’accès au marché et à l’information des deux côtés. Avoir par exemple des instruments qui permettent aux PME de connaître les règles des deux pays pour pouvoir souscrire à des marchés publics, pour exporter, ou connaître les conditions pour traiter un service.
Les opérateurs économiques doivent mieux connaître toutes les conditions pour exporter vers le marché européen et vers le Maroc.
– L’idéal, selon vous, ne serait-il pas une convergence des règles ?
-C’est toujours l’idéal. Mais pour des questions de choix politiques, des fois, la convergence complète n’est pas possible. Mais l’idée, c’est d’avoir un dialogue réglementaire qui favorise un peu l’harmonisation des réglementations et la levée des barrières pour entrer dans certains marchés.
Ceci fait partie intégrante de la discussion que l’on doit avoir sur la modernisation de l’accord d’association entre le Maroc et l’UE. Il faut aussi penser aux reconnaissances mutuelles, car c’est cela l’objectif final. Si on a le même niveau de respect des standards, on peut avoir une reconnaissance mutuelle des règles qui fait qu’une entreprise marocaine ou européenne est traitée de la même manière. Cela va réduire les coûts pour les entreprises.
Le Maroc a plus d’avantages avec l’intégration africaine, parce qu’il est le principal partenaire de l’UE dans le continent.
– On voit que l’Afrique est entrée dans les discussions autour de la modernisation de l’accord d’association Maroc-UE. Est-ce l’entrée en vigueur de la zone de libre échange continentale qui fait que les Européens voient aujourd’hui le Maroc comme une porte d’entrée vers cet immense marché ?
-Le Maroc était déjà vu comme une porte d’entrée vers l’Afrique. Mais puisqu’il y a aujourd’hui un objectif partagé par les gouvernements en Afrique d’avoir plus d’intégration dans le continent, la chose prend une dimension encore plus importante.
L’Afrique est composée de pays avec des réalités complètement différentes. Et il y a beaucoup de fragmentations dans le continent. Il y a bien sûr le problème des infrastructures mais aussi le fait qu’il y a des gens qui sont encore réticents à cette ouverture et à cette intégration du continent. Mais je pense que les politiques en Afrique ont pris conscience qu’avoir un marché intégré donne plus d’attractivité à l’Afrique comme continent pour l’investissement et pour les affaires. Et cela donne plus d’avantages au Maroc, parce qu’il est le principal partenaire de l’UE dans le continent.
– Donc l’idée, c’est que des entreprises européennes qui veulent faire des affaires en Afrique puissent profiter de cette zone de libre-échange continentale en s’installant au Maroc…
-Oui, c’est une des options, puisqu’on a déjà un accord avec le Maroc qu’on n’a pas avec d’autres pays. On a bien sûr des accords pays et régions en Afrique, mais le Maroc est partenaire traditionnel de l’UE et il a donné des preuves que ce partenariat marche.
C’est une des raisons pour laquelle il faut moderniser l’accord d’association. Et ça peut aider à convaincre les autres pays africains que ce genre de partenariats marchent et qu’on a intérêt en tant que pays africains à avoir plus d’intégration y compris au sein du continent et avec l’UE.
– Mais il se pose toujours une problématique des règles d’origine. Si un exportateur africain ou européen est basé au Maroc et utilise des intrants venants d’un peu partout en Afrique, est ce qu’on va considérer que son produit est marocain ou non ? Comment peut-on gérer ce problème des règles d’origine qui pose déjà problème dans le cas des industriels marocains du textile dans leurs relations avec l’UE ?
-C’est un problème important. On sait très bien que les règles d’origine jouent un rôle essentiel dans l’intégration des marchés. Mais l’idée est toujours que le bénéficiaire doit être la zone qu’on veut qu’elle en bénéficie et pas quelqu’un d’autre. C’est ce qui crée en fait des réticences de certains industriels européens. Parce que l’on ne veut pas que de grands concurrents, de grandes puissances notamment asiatiques, puissent profiter de cette situation au détriment des entreprises africaines et européennes.
Le bénéfice doit revenir aux entreprises africaines pour aller vers plus d’intégration dans le continent. Mais ça ne doit pas bénéficier à des opérateurs qui sont loin et qui ne vont pas aider à développer la chaîne productive en Afrique.
– Vous, en tant que patronat européen, sentez-vous que les politiques –qui sont finalement les décideurs–, sont conscients de ces enjeux là, ou cette modernisation de l’accord d’association ne fait pas partie de leur agenda sur le court terme ?
-A cause de tout ce qui s’est passé avec la pandémie et tous les problèmes que l’on continue de vivre aujourd’hui, notamment la hausse des prix des matières premières, je pense qu’il y a certainement une prise de conscience.
Il est clair qu’il y a l’idée d’une part de diversifier nos chaînes d’approvisionnement pour ne pas dépendre d’un seul fournisseur. Et d’autre part, d’essayer de ramener ces chaînes d’approvisionnement le plus proche possible.
Avec toutes ces nouvelles données, il y a des raisons économiques et stratégiques pour avoir des chaînes d’approvisionnement beaucoup plus courtes. Et cela plaide en faveur du Maroc et du continent africain.
L’Afrique a toujours eu des relations très proches avec les pays de l’Europe. Il y a vraiment un intérêt pour des raisons historiques, mais aussi pour des raisons actuelles : donner à l’Afrique un nouveau modèle de développement. C’est ce que veut l’Afrique. Elle ne veut plus que la relation avec l’UE soit une simple relation d’assistance financière, mais veut vraiment construire une relation plus soutenable qui fait la promotion de l’économie africaine avec le développement de chaînes de valeurs en Afrique.
– Mais il y a souci au niveau européen, c’est que tous les pays de l’UE ne sont pas forcément d’accord avec cette voie-là. Quand le Maroc a négocié son accord de 2000, c’était avec une Europe à 15. L’Europe compte aujourd’hui 27 membres, dont certains, notamment à l’est et parfois même au sud, considèrent le Maroc comme un concurrent direct. Comment une Europe à 27 peut gérer cette divergence d’intérêt dans le cas de la modernisation des accords avec le Maroc ?
-C’est un défi pour l’Europe dans plusieurs sujets, pas seulement dans ses relations avec le Maroc. On est bien sûr très différents, on a des intérêts qui sont différents. Mais finalement, c’est dans l’intérêt de tous d’avoir une stabilité politique et économique dans nos frontières. Les pressions migratoires touchent tout le monde. C’est un appel de plus pour qu’on ait une stratégie qui passe par le développement africain et un vrai appui à l’investissement dans le continent. Sur cela, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de différences. Il y a bien sûr les questions de concurrence qui se posent, mais ça concerne aussi des pays européens entre eux même… Il y a des intérêts stratégiques plus importants qui vont permettre de trouver une solution et qui mettrait tout le monde d’accord sur cette modernisation de l’accord d’association avec le Maroc.
– Est ce que les patronats des deux pays sont impliqués dans les négociations ou ça se passe exclusivement entre politiques ?
-Normalement, on n’est pas à la table de négociations. Ce sont les politiciens qui décident. Mais on nous demande notre avis, nos positions. Et on a des échanges réguliers pendant les négociations. Mais on n’est pas assis à la table. C’est valable aussi bien pour le patronat européen que marocain.
– Quel est votre sentiment par rapport à ce processus? Est-ce qu’on est proche du début des négociations ou est-ce un nouveau vœu pieux des patrons des deux côtés de la Méditerranée ?
-Je pense que les conditions sont réunies pour l’ouverture de négociations, que ce soit au niveau géopolitique, économique que dans la volonté de faire plus pour le développement du continent africain. Maintenant, il faut que les politiques des deux côtés fassent le premier pas. Et c’est le moment idéal pour cela. C’est pour cela qu’on pousse de notre côté mais aussi du côté de la CGEM pour accélérer les choses, car on pense qu’il y a une conjugaison de facteurs qui justifient l’ouverture de ces négociations de modernisation de l’accord d’association.
(source: medias24.com)