Bernard Kouchner et Patrice Franceschi : « Si nous laissons la Turquie envahir le Kurdistan syrien, on peut être certain du retour de l’Etat islamique »

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Alors que la Turquie multiplie les menaces contre les Kurdes de Syrie, l’ex-ministre des affaires étrangères et l’écrivain Patrice Franceschi demandent à l’Occident, dans une tribune au « Monde », d’adopter une position ferme pour décourager Ankara de lancer une nouvelle opération militaire.

Une fois de plus, nous voilà au Rojava, la patrie charnelle des Kurdes de Syrie. Cette fois, pour fêter avec eux le dixième anniversaire de l’autonomie de leur région conquise en 2012 sur le régime de Damas, lors des « printemps arabes ». Un anniversaire sous haute tension. Si la terre kurde est chauffée à blanc par un soleil implacable, elle l’est davantage encore par les annonces réitérées de la Turquie d’une nouvelle et imminente invasion. Ce serait la quatrième en six ans – et jusqu’à présent, les menaces du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ont été toujours suivies d’effet. Tout montre que le dirigeant d’Ankara reste déterminé à en finir avec les Kurdes, tant ils s’opposent avec acharnement à ses projets expansionnistes comme à sa volonté de réinstaller les islamistes sur leur territoire.

Dans chaque ville de l’immense plaine qui court du Tigre à l’Euphrate, ces fleuves mythiques de l’ancienne Mésopotamie, les Kurdes et leurs alliés arabes et chrétiens des Forces démocratiques syriennes (FDS) fêtent cet anniversaire sur fond de désarroi. Si tous se souviennent avec fierté de leur victoire contre Daech [l’acronyme arabe de l’organisation Etat islamique, EI]– quand nous autres, Français, les soutenions pleinement au sein de la coalition internationale –, ils n’en oublient pas pour autant les 36 000 tués et blessés que cela leur a coûté pour vaincre notre ennemi commun. Alors, ils honorent leurs morts avec émotion, mais se demandent quel prix humain il leur faudra encore consentir si, comme à l’automne 2019, nous les abandonnons aux mains de la Turquie, notre allié de l’OTAN qui sait si bien jouer de sa position dans le conflit ukrainien pour nous imposer ses vues immédiates, au détriment de nos intérêts à long terme.

Partout au Rojava, on se prépare avec tristesse mais détermination à une nouvelle guerre meurtrière, dont les prémices sont les innombrables exactions auxquelles se livrent les Turcs depuis leur frontière : bombardement de villages, d’écoles, de cimetières, d’églises et assassinats ciblés de responsables militaires par les drones qui ne cessent de sillonner le ciel. Sept de ces dirigeants, dont une majorité de femmes, ont été tués rien qu’au cours de notre séjour d’une dizaine de jours, fin juillet.

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Sur les réseaux sociaux kurdes, ces évènements sont souvent relatés avec un titre teinté d’une ironie tragique, tant ils se déroulent dans l’indifférence du monde entier : « La Turquie achève bien les Kurdes. »

Comment en est-on arrivé là ? Tout avait pourtant bien commencé. Entre la célèbre bataille de Kobané, en 2014, et la chute du califat, fin 2018 – avec l’anéantissement de Rakka, sa capitale, en 2017 –, les territoires conquis sur Daech par les FDS, avec l’appui de la coalition menée par les Américains, s’étaient étendus sur une surface égale à quatre fois celle du Liban. L’été 2019 avait été le point d’orgue de cette épopée libératrice : après des années de combat sans merci, la paix régnait enfin et une nouvelle société s’installait, dirigée par ce qu’on s’était mis à appeler l’« administration autonome du nord et de l’est de la Syrie ».

(source: lemonde.fr)

 

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