Les dialogues du pape François avec l’islam
Plutôt que de privilégier un seul interlocuteur, le Saint-Siège a multiplié les canaux d’échange avec l’islam aussi bien sunnite que chiite.

L’invasion russe de l’Ukraine a conféré une sensibilité accrue au dialogue entamé par le Vatican avec le Patriarcat orthodoxe de Moscou, certains accusant le pape François d’avoir privilégié ce dialogue aux dépens d’une position plus tranchée en faveur de l’Ukraine. De telles polémiques ont relégué au second plan les avancées substantielles que le dialogue avec l’islam a enregistrées depuis le début, en 2013, de ce pontificat.
L’actuel pape, prenant en compte la profonde diversité de l’islam, a multiplié les canaux d’échange avec différentes institutions musulmanes, ainsi qu’avec les instances de dialogue interreligieux qui ont souvent émergé à l’initiative d’Etats soucieux d’améliorer leur image internationale. Le Saint-Siège a ainsi refusé de se laisser enfermer dans le dialogue avec une seule institution, qui n’aurait pas grand sens vu l’absence d’équivalent islamique d’un pape universellement reconnu.
La démocratisation du dialogue islamo-chrétien
Le dialogue avec le monde musulman a longtemps été mené au Vatican par des cercles étroits de spécialistes. L’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai) est installé à Rome depuis 1964, après le transfert en Italie de l’institut établi, quatre décennies plus tôt, par les Pères blancs en Tunisie. Alors que sa vocation initiale était de former des missionnaires en milieu musulman, il est désormais consacré au dialogue interreligieux, avec publication de la revue Islamochristiana, de haute tenue académique. Par ailleurs, au sein de la curie romaine, un dicastère, équivalent pontifical d’un ministère, le PCID, est destiné au dialogue interreligieux, avec un bureau spécifique pour l’islam. Le responsable en est un évêque jordanien, formé dans un séminaire catholique de Cisjordanie, puis diplômé du Pisai, où il enseigne désormais le droit islamique. Il entretient au nom du Vatican des relations suivies avec une vingtaine d’institutions, depuis le Maroc jusqu’à l’Indonésie, en passant par la Jordanie, l’Iran et le Golfe.
Cette diversité dans l’échange a été encouragée par le pape François, qui a donné une impulsion sans précédent au dialogue avec l’islam. Des années de préparation ont rendu possible, en février 2019, le « Document sur la fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune » signé par le pape François, à l’occasion de son voyage à Abou Dhabi, avec le grand imam d’Al-Azhar, référence historique de l’islam sunnite.
Les deux signataires renvoient dos à dos « l’extrémisme athée et agnostique », d’une part, et « l’intégrisme religieux, l’extrémisme et le fondamentalisme aveugle », d’autre part, pour condamner catégoriquement « le terrorisme détestable ». Ils s’engagent résolument en faveur d’une « pleine citoyenneté » et jugent « discriminatoire » le concept de « minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ». Il s’agit d’une rupture historique pour le Vatican, qui s’est longtemps mobilisé en faveur des chrétiens d’Orient au nom de la défense des « minorités ».
(source: lemonde.fr)