Politique, Education – Débats sur des bancs

Publié le

Le 22 janvier 2024, la ministre de l’Éducation nationale Marie Michelle Sahondrarimalala a pris l’initiative de lancer un sondage sur Facebook au sujet d’une idée de financement participatif de tables-bancs pour les écoles publiques.

L’idée en elle-même est intéressante, et peut même présenter plusieurs mérites. Le premier est la création d’une dynamique civique, voire citoyenne, en soutenant le secteur de l’enseignement en proie à de nombreuses contraintes matérielles et financières qui se traduisent sur la performance du système scolaire. Selon les enquêtes 2019 du Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la conférence des ministres de l’éducation des États francophones (PASEC), l’ensemble des résultats d’apprentissage à Madagascar se sont détériorés de 1998 à 2015 : comparés aux autres pays, « En général, les résultats moyens des élèves malgaches en lecture et en mathématiques sont parmi les plus faibles de l’évaluation ».

Le ballon-sonde lancé par la ministre Sahondrarimalala était donc un moyen de s’attaquer au manque de tables-bancs, avec un exposé assez clair : les besoins sont de deux millions d’unités, mais le budget de l’État ne permet d’en acheter que 45.000 par an. Effectivement, à ce rythme-là, il faudrait au moins 44 ans pour rattraper le gap, sans compter les nécessaires remplacements pour vétusté et les ajouts obligatoires pour cause de croissance démographique. Une table-blanc coûte entre 100.000 et 250.000 MGA selon les dires de la ministre Sahondrarimalala. Pour suppléer au manque, il faut donc financer les 1.955.000 unités qui manquent au budget étatique et trouver entre 195 et 488 milliards MGA, selon que l’on prenne l’hypothèse basse d’une unité à 100.000 MGA ou l’hypothèse haute à 250.000 MGA. Rien que le budget du téléphérique aurait permis de couvrir ce besoin dans son entièreté.

La demande est donc légitime, et dans un contexte normal, devrait pouvoir générer un élan national pour le bénéfice des jeunes générations. Mais les mots-clés dans la phrase précédente sont justement ceux-ci : « dans un contexte normal ». Une victoire électorale biaisée obtenue par des tripotages éhontés du système électoral n’est pas un contexte normal. Un taux d’abstention record de 54% à une élection présidentielle n’est pas un contexte normal. Les dérapages en matière de finances publiques imposés sur le caprice d’Andry Rajoelina ne font pas un contexte normal.

Illustration des priorités

Juste pour rappel, la rénovation du stade de Mahamasina a coûté 74 millions de dollars, le pays a emprunté 150 millions d’euros à la France pour le périphérique de la Capitale, et l’État a injecté 1,4 millions d’euros pour bâtir le Colisée dans l’enceinte du Rova d’Antananarivo. Le total de ces dépenses inutiles, scandaleuses, et en ce qui concerne spécifiquement le Colisée, sacrilège, est donc d’à peu près 1100 milliards d’ariary. En comparant avec la fourchette de 195 à 488 milliards d’Arirary nécessaires pour avoir les bancs requis, on comprend tout de suite où se trouve la capacité d’Andry Rajoelina à définir les priorités budgétaires pour le pays par rapport à ses propres caprices weraweresques.

Ces constats récents amènent à mettre en doute le fait que les vertueuses priorités affichées dans les lois de finances aient une solide consistance. D’ailleurs, bien la loi de finances 2024 affirme sans rire que l’un des trois piliers de l’année est « le renforcement du capital humain et de l’accès aux services sociaux de base », l’on peut y constater que le poste “solde et indemnités” du Ministère de la Santé publique est inférieur de 27% à celui du seul Secrétariat d’État à la Gendarmerie. Au cas où la question « qui t’as fait roi ? » ne restait pas omniprésente dans les esprits…

Malgré leurs difficultés, les Malgaches ont déjà démontré à plusieurs reprises qu’ils étaient prêts à des contributions citoyennes pour le bien commun. Dans la sphère privée, beaucoup de Malgaches contribuent personnellement à des œuvres comme la construction ou la réfection de bâtiments religieux, et même l’achat de bancs d’Église. Dans la sphère publique, en janvier 2000, nouvellement élu maire d’Antananarivo, Marc Ravalomanana avait lancé une initiative FAR (Fitiavana an’Antananarivo Renivohitra) pour suppléer au budget municipal et avait obtenu d’assez bons résultats. Une fois élu au même poste, Andry Rajoelina avait copié l’initiative mais avait fait largement moins bien. Si la demande de la ministre de l’Éducation nationale avait été exprimée dans un autre contexte, l’accueil aurait sans aucun doute été plus enthousiaste, surtout que cette ministre figure quand même parmi les très rares membres respectables du gouvernement actuel.

On voit d’ici les idéologues s’exclamer : “ny zaza mila dabilio no jerena, fa tsy i Rajoelina na ny ministra !”. Toutefois, quelle que soit la dimension morale, philosophique, ou même développementaliste qui justifierait que ceux qui peuvent répondent positivement à cet appel, il est tout à fait compréhensible que la majorité de la population ne ressente aucune envie de mettre la main à la poche pour aider un pouvoir dont les hiérarques n’ont pas démontré de grand engagement en matière de bonne gouvernance depuis le coup d’État de 2009. Après trois jours de sondage sur Facebook, au 26 janvier à 7 :30, les réponses négatives l’emportaient largement, avec 81% des 18.500 votes. Dommage pour la ministre que ce taux soit calculé par Facebook, et non par la Haute cour constitutionnelle ou la Commission électorale nationale indépendante.

(source: Ndimby A. – Patrick A., Madagascar-Tribune.com)

Laisser un commentaire