TANIKO Madagascar

Ramonjavelo : un limogeage tactique

Publié le 31 juillet 2025Mis à jour le 31 juillet 2025

Comme il fallait s’y attendre, Valéry Ramonjavelo a été limogé du gouvernement après le tsunami lié à l’affaire des Boeing 777 , dans laquelle une société malgache a été utilisée comme prête-nom pour contourner l’embargo sur l’Iran. Rappelons les trois questions que nous posions déjà vendredi dernier :

« Reste à savoir qui se cache vraiment derrière ces trois prête-noms et a accepté de se faire le complice des Iraniens pour enfreindre l’embargo international. »
« On se demande également avec curiosité pourquoi et comment l’ACM a pu octroyer ces immatriculations temporaires à une compagnie inconnue dans le secteur et dont la principale activité est l’exportation d’épices et de graines. »
« On se demande avec curiosité comment les autorités américaines vont réagir à cette complicité malgache évidente dans la violation de l’embargo, à un moment où Madagascar fait de son mieux pour sauver l’AGOA. »

Dans ce contexte, il était donc impératif pour Madagascar de se débarrasser rapidement du présumé responsable et se dissocier de lui. Décision stratégique également à quelques semaines du Sommet durant lequel Rajoelina va prendre la tête de la SADC, d’autant plus que l’organisation sous-régionale peut potentiellement faire bloc pour tenter de peser dans les négociations pour le maintien de l’AGOA. En coupant le cordon ombilical sans délai avec Ramonjavelo, les autorités malgaches espèrent donc convaincre les Américains de leur bonne foi et de leur attachement aux principes de bonne gouvernance. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles admettent une quelconque responsabilité du désormais ancien ministre des Transports. C’est juste un mouvement tactique dans lequel Valéry Ramonjavelo a été à la fois le fusible et le bouc émissaire.

Toutefois, cela n’enlève pas que son mécanisme de défense en tant que ministre des Transports dans cette affaire autorisait la suspicion. À qui voulait-il faire admettre que le fait d’avoir octroyé ces immatriculations temporaires d’aéronefs, au bénéfice d’une société spécialisée dans l’exportation de produits locaux avec un capital social de deux millions d’ariary, était une décision professionnelle et intelligente ? À qui voulait-il faire croire qu’il était de bonne foi dans cette opération ? De plus, il a fait une erreur grossière en envoyant une demande d’explication auprès du Directeur général de l’Aviation civile de Madagascar (ACM). Mal lui en prit car le destinataire a refusé de « se coucher », et sa réponse sur la propre implication du ministre a mis la barre sur les t et les points sur les i. Izy monja ihany no tratra farany teo.

La capacité de nuisance de Rinah

Pour compliquer les choses du côté du pouvoir, Rinah Rakotomanga, ancienne directrice de la communication de la Présidence de la République et ancienne Présidente du Conseil d’Administration de Madagascar Airlines, s’est empressée de tirer à boulets rouges sur Valéry Ramonjavelo, afin de se venger de son propre limogeage il y a plusieurs mois.

La dame n’a pas supporté cette mise à l’écart, et les nuages qui se sont amoncelés en quelques jours sur la tête du ministre des Transports et de la Météorologie furent pour elle une formidable occasion de déclencher la foudre de la vengeance. Derrière les révélations de Rakotomanga, il y a donc plus des motivations personnelles mesquines qu’un militantisme sincère en faveur des principes de bonne gouvernance. D’autant plus que dans le domaine de la compétence et de l’honnêteté intellectuelle, son parcours montre qu’elle est très mal placée pour jouer la mère-la-vertu. Quoiqu’il en soit, elle a prit sa revanche et démontré sa capacité de nuisance, même si Ramonjavelo lui-même a beaucoup contribué à tresser la corde pour se faire pendre. Les révélations de Rinah Rakotomanga ont trouvé une oreille favorable auprès de l’opinion publique, toujours friande de faits pouvant nuire aux dirigeants actuels, et dont la liste des scandales s’égrène au fils des ans. Après l’affaire bonbons sucettes, l’affaire écrans plats, l’affaire Raissa, l’affaire 73 kgs d’or, l’affaire Imbiky Herilaza, l’affaire Romy et l’affaire Ambohimalaza (pour ne citer que ces épisodes), l’affaire B777 n’est juste qu’un nouvel épisode qui illustre les mœurs du régime actuel, dont les hiérarques pourtant ne se privent pas de clamer leur patriotisme et leur attachement à l’État de Droit à la moindre occasion. Mais soyons sérieux : quelle crédibilité accorder aux déclarations dans ce sens d’un pouvoir qui plonge ses racines dans un coup d’État ?

Cela étant dit, Valéry Ramonjavelo n’a pas vraiment de souci à se faire, à condition que le gouvernement américain ne monte cette violation de l’embargo sur l’Iran en épingle. Sinon, il sera probablement recasé après quelques temps. En effet, de manière générale, Andry Rajoelina a toujours protégé ses fidèles de toute suite fâcheuse dans les affaires les impliquant, se contentant de les limoger pour la vitrine avant de les recycler. Tinaharivelo Razafimahefa et Imbiky Herilaza, impliqués dans deux scandales retentissants, sont devenus députés du parti présidentiel après leur départ du gouvernement. Romy Voos, condamnée pour corruption par un tribunal britannique, n’a jamais subi de poursuites judiciaires à Madagascar, dont elle a pourtant souillé le nom à l’échelle internationale. Rinah Rakotomanga, épinglée de façon nominative dans un rapport officiel d’enquête d’état au sujet de l’affaire SMMC, avait été exfiltrée pendant quelques mois comme conseiller à l’ambassade de Paris, le temps que les choses se calment.Tous ces faits autorisent à se demander si cette impunité ambiante est juste une question de loyauté envers les amis, ou une manière d’éviter que les recherches ne remontent plus loin, et surtout plus haut.

La tactique du bouc émissaire

Enfin, on rajoutera également au sujet du limogeage de Ramonjavelo qu’il fallait s’y attendre après l’expérience de l’affaire d’Ambohimalaza, dans laquelle le pouvoir actuel a montré son goût pour la tactique du bouc émissaire. Ce scandale est en train d’être étouffé derrière une version officielle rocambolesque de vengeance entre cousines. L’étrange empressement de Rajoelina à se substituer au système judiciaire pour annoncer les coupables lors du talk-show de la semaine dernière, alors que le procès n’a même pas encore eu lieu, a plus éveillé les soupçons qu’il ne les a calmés. Malheureusement pour le pouvoir, cette version officielle au forceps ne convainc pas à cause de la persistance des zones d’ombre. Une bonne partie de l’opinion publique, y compris parmi les familles des victimes, pense donc qu’elle sert juste à protéger Fenohasina, la fille dont l’anniversaire était fêté, car de nombreuses familles de victimes avaient déposé plainte contre elle.

Il y a un fait qu’il importe de relever, sans vouloir porter de jugement sur les mœurs des uns et des autres : dans une interview sur Real TV, la mère d’une des meilleures amies de Fenohasina avait mentionné devant la caméra que cette fille venait de bénéficier d’un visa pour les États-Unis car un « papa sosy » vivant là-bas avait décidé de la faire venir. On se souvient également des rumeurs persistantes sur un véhicule 4×4 qui lui avait été offert en cadeau d’anniversaire par un (autre ?) « papa sosy ». Un nom de ministre avait même été jeté en pâture à ce sujet sur les réseaux sociaux, obligeant ledit ministre à faire un démenti et porter plainte pour diffamation. La dénommée Fenohasina semble donc fréquenter un milieu de « sponsors » puissants et fortunés, et qui a intérêt à la protéger pour éviter qu’elle ne fasse des révélations embarrassantes. La tactique du bouc émissaire à travers les cousines désignées coupables est donc une hypothèse qui n’est pas nécessairement saugrenue pour l’affaire d’Ambohimalaza. Et dans l’affaire des B777, Ramonjavelo a joué le rôle du cousin de service.

(source: madagascar-tribune.com)