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Cardinal Filoni: le départ des chrétiens de Gaza serait un drame pour l’Église

Une semaine après l’attaque perpétrée contre l’église latine de la Sainte-Famille de Gaza, les chrétiens de l’enclave demeurent plus solidaires et résilients que jamais. En état de survie, ils témoignent d’une lumineuse humanité au milieu des décombres. Entretien avec le cardinal Fernando Filoni, grand maître de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre, ancien nonce apostolique au Moyen-Orient, en Irak et en Jordanie.
Delphine Allaire – Cité du Vatican
De quoi la toute petite communauté catholique de Gaza est-elle devenue un symbole aujourd’hui? Comment qualifier son témoignage?
Gaza connaît une réalité dramatique aujourd’hui. Nous vivons tous cette même tension quotidienne, avec son lot de morts, de souffrances, maintenant de drames de la faim. Dans cette réalité, subsiste une petite communauté chrétienne, une paroisse, composée aussi de chrétiens orthodoxes, qui vivent la même problématique. Dans cette grande réalité culturelle et religieuse islamique, il y a cette toute petite réalité chrétienne catholique. C’est un témoignage, car les chrétiens et les catholiques de Gaza ne sont pas partis malgré les difficultés, les bombes. Bien au contraire, ils ont partagé les mêmes drames humains, aussi en payant de leur vie, car il y a eu des morts dans le passé, comme récemment. Outre cette condition commune de souffrance, les catholiques de Gaza ont aussi partagé leur nourriture, les provisions et les médicaments arrivés dans la paroisse avec des habitants qui ne sont pas chrétiens. Il ne s’agit pas d’un élément secondaire, car cela signifie que l’Église, en dépit des difficultés qu’elle rencontre dans de nombreuses parties du monde, de diverses manières, les rencontre ici en convivance dans une zone de guerre violemment attaquée. Le Pape a évoqué des barbaries, et c’est vrai. Je pense qu’il n’y a pas besoin de plus de témoignages, parce que tout le monde le voit maintenant dans les nouvelles quotidiennes. Il s’agit de situations barbares.
Quelle est l’importance de rester sur ces territoires, de ne pas fuir, et ainsi maintenir une présence vivante à Gaza ou en Cisjordanie?
L’Église pourrait partir mais elle ne le fait pas parce que les chrétiens sont aussi des citoyens de Gaza, membres de cette communauté. Jusqu’à présent, ils ont vécu ensemble, ils ont partagé tous les aspects de cette vie, et le drame qu’ils vivent aujourd’hui ne leur permet pas de partir, parce que ce sont des gens avec lesquels ils ont une culture, des traditions, une vie en commun depuis tant d’années. Ainsi, l’Église reste à Gaza et continue à faire son travail, même dans la précarité, dans les difficultés de tous, mais surtout parce qu’ils sont chrétiens en plus d’être, bien sûr, des citoyens de Gaza comme tout le monde.
Comment les chrétiens de l’enclave palestinienne, outre d’être des citoyens à part entière, jouent-ils néanmoins un rôle supplémentaire de “pont entre les communautés”?
Au fil des ans, je me suis retrouvé à plusieurs reprises dans des environnements à forte majorité musulmane. Par exemple, en Irak, la communauté chrétienne, relativement peu nombreuse, est partie, mais la grande majorité musulmane est restée. Je me souviens bien de l’époque où tant de musulmans priaient les chrétiens de ne pas partir, “vous êtes les modérés parmi nous”, il y a une reconnaissance historique. Les racines chrétiennes sont là. C’est un état de fait d’ordre social et culturel. En d’autres termes, le christianisme n’est pas arrivé de l’extérieur, il était déjà là lorsque l’islam est arrivé sur ces terres. Les chrétiens sont donc des citoyens locaux à Gaza. Gaza leur appartient également en tant que territoire. Le jour où ils partent, cette caractéristique, cette qualité sera perdue. C’est pourquoi l’Église, même à Gaza, sait que Gaza lui appartient aussi. L’abandonner serait un problème, un drame, une énorme difficulté. Et cela, l’Église ne peut pas le faire. Les chrétiens la ressentent comme une perception psychologique, spirituelle et morale. «Nous sommes d’ici, nous voulons rester».
Lors de l’Angélus du 20 juillet, mais aussi lors de ses deux appels téléphoniques avec les dirigeants israélien et palestinien, Léon XIV a souligné l’obligation de protéger civils et Lieux saints. Pourquoi cette position du Pape est-elle si importante sur cette question?
Nous savons bien comment le Pape François, depuis des années -je dis bien depuis des années, car plus d’un an et demi s’est écoulé- et presque quotidiennement, a lancé cet appel, il a insisté pour la paix, et malheureusement il n’a pas été écouté. Le Pape Léon poursuit cette voie, mais ce n’est pas le Pape, c’est la communauté chrétienne catholique du monde entier qui le demande. Le Pape s’en fait l’interprète. Nous ne sommes pas insensibles à ce cri de souffrance, de douleur qui vient de Gaza, non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour l’ensemble de la population. Et parfois, je me dis, même si je sais que la cause de ces drames est la violence du Hamas à l’égard des citoyens israéliens, les meurtres, les déportations, et cela ne doit jamais être oublié et doit faire partie de cette histoire. Cependant, nous nous demandons s’il est possible que toute cette population de Gaza doive aujourd’hui souffrir non seulement des bombardements, mais aussi de la faim et de la soif? Lire la suite »