Jean Andrianaivo Ravelona – Artiste – « La crise que traverse Madagascar est avant tout d’ordre culturel »

Connu du grand public en tant qu’artiste peintre, Jean Andrianaivo Ravelona est également une figure engagée dans la défense du patrimoine et de la culture. Homme de convictions, élu « Homme de l’année 1997 » par l’organisation ROI, il s’exprime aujourd’hui face à la crise que traverse le pays sous l’angle culturel.
Pourquoi tirez-vous la sonnette d’alarme au sujet de la culture ?
Parce que je ressens une urgence. Depuis des années, je constate une lente mais profonde dégradation de notre culture. Aujourd’hui, cela prend une tournure dramatique. La société est en train de perdre ses repères fondamentaux, son lien à son histoire, à sa terre, à ses valeurs. J’estime que cette crise que nous vivons est avant tout culturelle. Et c’est de là que découlent les tensions sociales, identitaires et même politiques. Pour moi, Madagascar vit une instabilité profonde qui est une « crise d’identité culturelle ».
Vous parlez d’une «crise d’identité culturelle» Que voulez-vous dire par là ?
Je veux dire que nous avons perdu le lien vivant qui nous unissait à notre patrimoine. Cette crise ne date pas d’hier, mais elle s’est amplifiée avec des décisions comme l’installation du Colisée à Anatirova. Ce monument symbolique, imposé sans cohérence historique, a, selon moi, instauré une forme de culture contre nature. Il nie notre propre rapport au sacré, à l’histoire royale, à l’architecture traditionnelle. Plus récemment, c’est le projet Base Toliara qui suscite mon indignation. Il menace de faire disparaître un patrimoine national d’une richesse inestimable, qu’il soit naturel, immatériel, artistique, culturel ou humain. Outre la possible destruction de plusieurs milliers de baobabs et de la forêt Mikea, le projet menace directement les cultures immatérielles, les traditions artistiques et le mode de vie des peuples Mikea et Masikoro.
Quand vous parlez de « culture contre nature », que voulez-vous dire exactement ?
J’entends par là une culture qui ne respecte plus ni la nature, ni l’humain, ni la mémoire. Une culture déconnectée de son terroir, imposée de l’extérieur ou fabriquée pour répondre à des logiques économiques ou politiques. Or, une société ne peut pas se construire sur l’oubli ou le mépris de ce qu’elle est. La culture devrait nous rassembler, nous enraciner, pas nous déraciner.
Quelles solutions proposez-vous face à ces problèmes culturels ?
La première solution, et peut-être la plus fondamentale, est de retrouver une stabilité culturelle. Cela passe par un retour à notre état naturel, à notre essence. Il faut une prise d’initiative de chaque Malgache, mais aussi un réel engagement des autorités locales. Comme le disait un de nos aînés : « Le développement d’un pays doit dépendre de la civilisation propre à ce pays, et non de celle d’un autre ». La culture est porteuse d’éducation humaine, et c’est l’humain qui, à son tour, apporte le développement. Autrement dit, l’humain est la première ressource à mobiliser pour construire le développement.
Quel message souhaitez-vous adresser aux Malgaches ?
Je lance un appel à la conscience collective. Il est encore temps de redonner sens à notre culture, de protéger notre patrimoine, de transmettre nos savoirs. Les solutions à nos crises ne viendront pas uniquement de réformes politiques ou économiques, mais d’un réveil culturel profond, d’un retour à notre identité. Il faut oser penser la culture comme un levier fondamental de transformation et de développement.
(source: Nicole Rafalimananjara – lexpress.mg)