L’économie malgache face à une crise politique : quand l’instabilité coûte plus cher que la pauvreté

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A Madagascar, la politique et l’économie entretiennent depuis toujours une relation d’amour et de méfiance mêlées. Chaque crise politique, qu’elle prenne la forme d’un coup d’État, d’une contestation électorale ou d’un blocage institutionnel, laisse derrière elle des cicatrices économiques profondes. Aujourd’hui encore, le pays se trouve à la croisée des chemins : une économie aux fondations fragiles, portée par quelques secteurs exportateurs, mais freinée par l’instabilité chronique du pouvoir. La crise politique n’est pas seulement un drame institutionnel ; elle est un frein à la croissance, un poison pour la confiance et une bombe à retardement pour l’emploi et les investissements.

Une économie déjà vulnérable avant la tempête

Avant même les tensions politiques récentes, l’économie malgache reposait sur un équilibre précaire. Le pays dépend fortement des exportations de matières premières (vanille, nickel, cobalt, textile), des transferts de la diaspora et de l’aide internationale. Cette dépendance expose l’économie à deux vulnérabilités majeures :
• les fluctuations des prix mondiaux, qui rendent les recettes d’exportation instables ;
• et la fragilité des institutions publiques, qui conditionnent l’accès aux financements extérieurs.
Dans ce contexte, chaque crise politique agit comme un tremblement de terre : les investisseurs reculent, les aides sont suspendues, et la monnaie se déprécie.

L’instabilité politique, ce “coût caché” du développement

La Banque mondiale estime que l’instabilité politique coûte à Madagascar plusieurs points de croissance par an. Mais au-delà des chiffres, c’est la confiance qui s’effondre en premier.
Quand les institutions se fragilisent, les opérateurs économiques adoptent une attitude d’attente :
• Les investisseurs reportent leurs projets, craignant des changements de politique ou de fiscalité.
• Les ménages réduisent leurs dépenses par peur de lendemains incertains.
• Les bailleurs suspendent ou retardent leurs décaissements.
Résultat : la machine économique tourne au ralenti.
Dans les rues d’Antananarivo ou de Toamasina, cette méfiance se traduit par une réalité simple : moins de travail, moins de liquidités, plus de survie.
Les premiers symptômes : inflation, dépréciation, chômage
Lorsqu’une crise politique éclate, ses effets économiques se font sentir rapidement :
• La monnaie locale, l’ariary, se déprécie sous la pression de la fuite des capitaux et de la baisse des exportations.
• L’inflation s’accélère, notamment sur les produits importés (carburant, riz, farine).
• Les entreprises locales, confrontées à la baisse de la demande et à l’incertitude, réduisent leurs effectifs ou suspendent leurs activités.
Le citoyen ordinaire, lui, voit la crise à travers son assiette : le prix du riz augmente, les transports deviennent plus chers, et les petits boulots se font rares.
Autrement dit, la crise politique finit toujours dans le panier de la ménagère.

Le secteur privé pris en otage

Les entreprises malgaches, petites ou grandes, sont souvent les premières victimes collatérales des soubresauts politiques.
Elles doivent composer avec :
• des retards de paiement de l’État,
• une administration paralysée,
• des restrictions bancaires,
• et une insécurité croissante.
Les opérateurs du secteur privé parlent d’un climat des affaires “asphyxié”, où l’incertitude politique est devenue une taxe invisible. Pour les entreprises exportatrices, la crise signifie aussi des ruptures de contrats, des hausses de coûts logistiques, et un accès plus difficile au crédit international.

L’État fragilisé et l’aide internationale suspendue 

Madagascar dépend encore largement de l’aide publique au développement. En période de crise politique, cette aide se réduit considérablement. Les partenaires internationaux comme la Banque mondiale, FMI, Union européenne exigent généralement des garanties de stabilité avant de relancer leurs financements.
Résultat : le budget national s’effondre, les projets d’infrastructure sont suspendus, et les programmes sociaux ralentissent. Le pays se retrouve piégé dans un cercle vicieux : moins de stabilité, moins d’aide et plus de pauvreté.

Une économie de survie et d’informalité

Quand la crise s’installe, l’économie formelle se rétracte, mais l’économie informelle, elle, s’étend. Les vendeurs de rue, les petits artisans, les travailleurs à la journée deviennent le cœur battant d’une économie de survie. Cette informalité, bien que résiliente, ne paie ni impôts ni cotisations sociales, et prive donc l’État de ressources essentielles.
Elle entretient aussi la précarité, puisque la majorité de ces travailleurs n’ont ni protection sociale ni sécurité de revenus.

Le coût humain : une pauvreté qui se renforce

Derrière les indicateurs macroéconomiques, la crise politique a un visage humain.
Selon les estimations, plus de 75 % des Malgaches vivent sous le seuil de pauvreté. Une instabilité prolongée accentue ce chiffre :
• les jeunes diplômés émigrent ou rejoignent l’économie informelle ;
• les femmes, souvent premières à perdre leur emploi, voient leur autonomie économique reculer ;
• les enfants sont retirés de l’école faute de moyens.
Autrement dit, chaque crise politique repousse d’autant le rêve d’un développement inclusif.

Sortir du cycle : la stabilité comme premier levier économique

Aucun programme économique, aussi ambitieux soit-il, ne peut réussir sans stabilité politique.
Les réformes fiscales, la promotion du secteur privé, ou la lutte contre la corruption exigent un cadre institutionnel solide. Cela suppose :
• un dialogue politique réel entre les acteurs ;
• des institutions indépendantes et crédibles ;
• une justice économique capable d’appliquer les règles sans pression politique.

Les exemples de pays africains comme le Rwanda ou le Botswana montrent que la stabilité politique, plus que la richesse naturelle, est le premier moteur de croissance durable.

Et maintenant ? Une urgence de confiance

L’économie malgache n’a pas besoin d’un miracle, mais d’une restauration de la confiance.
Les opérateurs privés, les bailleurs, et surtout les citoyens veulent des signaux clairs :
• une gouvernance transparente,
• des décisions économiques cohérentes,
• et un calendrier politique prévisible.
Car au fond, la stabilité politique n’est pas seulement une affaire de dirigeants : c’est un bien public, un investissement collectif.

Une crise politique est bien plus qu’un débat institutionnel : elle est un frein économique majeur. Chaque période d’instabilité coûte des années de développement perdues, des emplois sacrifiés et des vies précarisées.
L’économie malgache ne manque pas de potentiel, elle manque de sérénité.

Sans stabilité, aucun projet, aucune réforme, aucune aide ne peut produire d’effets.
La véritable urgence, aujourd’hui, n’est donc pas seulement de relancer l’économie, mais de réconcilier la politique avec la confiance. Car à Madagascar, plus qu’ailleurs, la prospérité commence là où la crise s’arrête.

(source: Rakotoarisoa Andriatahina – newsmada.com)

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