loi de programmation militaire

France: Les interrogations de la Cour des comptes sur le budget des armées

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Le Haut conseil des finances publiques a relevé des «incertitudes» sur une partie des 413 milliards d’euros alloués aux armées

Le financement de la loi de programmation militaire interroge la Cour des comptes. stock.adobe.com

Les formules sont techniques et parfois complexes à déchiffrer. Mais dans l’avis du Haut conseil des finances publiques sur la loi de programmation militaire (LPM) présentée mardi en conseil des ministres, les interrogations transparaissent. Le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici les a relayées mercredi lors d’une audition conjointe devant les commissions des finances et de la défense de l’Assemblée nationale, une première du genre. Avec des précautions de langage, il a relevé les «incertitudes» contenues dans la LPM et les «contraintes» qu’elle fait peser sur les autres dépenses de l’État. S’il ne s’agit pas de réserves sur la sincérité, les mises en garde sont claires.

La loi de programmation militaire 2024 2030, que le gouvernement souhaiterait voir adoptée avant le 14 juillet par le Parlement, est le résultat d’une architecture financière complexe. Elle prévoit 400 milliards d’euros de crédits étalés sur sept ans auxquels doivent s’ajouter 13,3 milliards de recettes extrabudgétaires. Pour le Haut conseil des finances publiques, la trajectoire des crédits de la LPM est «compatible» avec celle des finances publiques, telle qu’elle figurait dans le projet de loi de septembre 2022, pour les années 2024 et 2025. Pour maîtriser ses dépenses dans le temps, et notamment tenir son objectif de réduction du déficit, l’État s’engage sur l’évolution de son budget global.

«Incertitude»

Pour les années 2026 et 2027, la Cour «n’a pas pu s’assurer directement» de la compatibilité avec les comptes publics. Elle accorde la bonne foi au gouvernement même si les augmentations budgétaires les plus conséquentes, de 4,3 milliards d’euros par an, sont prévues à partir de 2028, après la prochaine élection présidentielle.

Les soupçons portent ailleurs : sur les 13,3 milliards d’euros supplémentaires inscrits dans la LPM. Leur financement serait assuré par des ressources extrabudgétaires, comme des cessions immobilières, une solidarité interministérielle et la mobilisation des «marges frictionnelles» qui résultent de l’exécution des budgets. Pour le Haut conseil, il est «peu réaliste» que ces 13 milliards résultent de cessions immobilières : la totalité des montants récoltés par ces cessions en 2022 ne s’élève qu’à 101 millions d’euros… «Le Gouvernement n’a pas fourni d’éléments permettant de vérifier si les 13,3 milliards d’euros de dépenses supplémentaires prévues dans le PLPM étaient bien pris en compte dans la trajectoire de dépenses» du projet de loi de programmation des finances publiques, relève les magistrats de la Cour des comptes en s’interrogeant sur l’impact de cette « incertitude ».

Ces recettes «ne sont pas incertaines», a rétorqué le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors d’une autre audition à l’Assemblée, en réfutant une estimation «au doigt mouillé». Il a promis de fournir des détails. Pour les armées, des ajustements potentiels à venir ne seraient pas sans conséquences. «Il n’y a rien de trop» dans la LPM, a convenu le ministre.

Marges financières réduites

Si la LPM est ambitieuse pour répondre aux défis sécuritaires, elle pèsera lourdement sur les comptes de la France, plus endettée que ses voisins. Les efforts annoncés pour la défense, mais aussi la sécurité intérieure ou la recherche, qui ont fait l’objet de lois de programmation, supposent «une diminution en volume des autres dépenses de l’État» pour respecter ses engagements financiers, a relevé Pierre Moscovici. Le Haut conseil a évalué cette baisse à 1,4% sur les autres champs de l’action publique. Cette équation politiquement explosive est compliquée par l’inflation. Le président de la Cour des Comptes a rappelé que de son point de vue l’hypothèse retenue par le gouvernement était «plutôt faible». Si le scénario est pire que prévu, les marges financières en seront encore réduites.

La nécessité du réarmement, que peu de responsables politiques contestent, risque d’obliger à des choix de priorité politique. «Les efforts en matière militaire ne devraient pas rentrer en concurrence avec les autres efforts par exemple en matière de santé, d’éducation ou de préservation de l’environnement», a prévenu le président de la commission des finances Eric Coquerel (LFI). «Je pointe le problème», a-t-il indiqué sans lancer de polémique. Pour l’instant.

(source: lefigaro.fr)

« Economie de guerre » : Emmanuel Macron demande une réévaluation de la loi de programmation militaire

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Le président français a appelé au renforcement de l’industrie européenne de défense qu’il souhaite « beaucoup plus forte » au regard des besoins militaires accrus avec la guerre en Ukraine.

Lors de l’ouverture du salon international de la défense et de la sécurité terrestres et aériennes Eurosatory, au Parc des expositions, à Villepinte, Emmanuel Macron annoncé la « réévaluation de la loi de programmation militaire ». LUDOVIC MARIN / AP

La France et l’Union européenne sont entrées dans « une économie de guerre dans laquelle (…) nous allons durablement devoir nous organiser », a affirmé, lundi 13 juin, Emmanuel Macron à Eurosatory, le plus grand salon international de la défense et de la sécurité terrestres et aériennes. Dans ce contexte, « j’ai demandé au ministre [des armées] et au chef d’état-major des armées de pouvoir mener dans les semaines qui viennent une réévaluation de cette loi de programmation militaire à l’aune du contexte géopolitique », notamment de la guerre en Ukraine, a-t-il annoncé. Le président n’a pas précisé s’il comptait augmenter davantage que prévu le budget de défense ou s’il s’agissait de revoir les priorités.

Il a également appelé au renforcement de l’industrie européenne de défense qui doit être « beaucoup plus forte » au regard des besoins militaires accrus avec la guerre en Ukraine. « Dépenser beaucoup pour acheter ailleurs n’est pas une bonne idée. (…) Nous avons besoin de renforcer une industrie et une base industrielle et technologique de défense européenne beaucoup plus forte et beaucoup plus exigeante », a-t-il estimé, alors que de nombreux pays européens ont annoncé leur volonté d’augmenter leur budget de défense. Autrement, « nous construirons les dépendances de demain », a-t-il prévenu, réitérant un appel déjà lancé dès son arrivée à l’Elysée en 2017.

Cinquante milliards de budget pour la défense d’ici 2025

Emmanuel Macron a amorcé en 2017 une nette remontée en puissance des crédits défense après des années de disette. Le budget du ministère des armées va de nouveau croître en 2022, à 40,9 milliards d’euros, conformément à la loi de programmation militaire 2019-2025 qui prévoit d’atteindre 50 milliards d’euros en 2025. « Nous n’avons pas attendu les changements stratégiques pour réinvestir », a rappelé le chef de l’Etat. Mais la montée des menaces, illustrée par le conflit qui fait rage en Ukraine depuis le 24 février, fait peser une « exigence supplémentaire pour aller plus vite, plus fort, au moindre coût ».

« Il nous reste beaucoup à faire pour nous adapter aux transformations profondes que nous sommes en train de vivre. Et, pour qui douterait de l’urgence de ces efforts, il suffit de regarder une fois encore vers l’Ukraine, dont les soldats réclament un armement de qualité et qui sont en droit d’avoir une réponse là aussi de notre part », a insisté M. Macron. « Nous prendrons les décisions des investissements et nous aurons les exigences qui vont avec », a-t-il conclu.

Réquisitionner des matériaux ou des entreprises civiles

Nombre des coopérations de programmes d’armements en cours en Europe patinent, à commencer par les projets du futur avion (Scaf) et du futur char de combat (MGCS) menés par la France et l’Allemagne. « Bâtissons ce socle de souveraineté, d’indépendance européenne, française si on le peut – avec des partenariats que je souhaite à travers le monde, et je vois beaucoup de non-Européens ici (…) j’aime construire les partenariats que je choisis, j’aime moins les dépendances que nous avons massivement et méthodiquement parfois préparées », a ajouté Emmanuel Macron.

Selon les informations du Monde, la direction générale de l’armement envisage par ailleurs de proposer un texte législatif qui permettrait de réquisitionner, dans certaines circonstances, des matériaux ou des entreprises civiles à des fins militaires. La plupart des entreprises de défense étant « duales », c’est-à-dire produisant également pour les besoins civils, ce texte, inspiré d’une législation américaine, leur permettrait de mobiliser leurs efforts vers la production militaire, sans que la France soit formellement en état de guerre.

Le Monde avec AFP