Reportage – L’approche de Nikol Pachninian, le chef du gouvernement, qui s’intéresse à « l’Arménie réelle », dans ses frontières actuelles et internationalement reconnues, hérisse le plus haut dignitaire de l’Eglise apostolique, Karékine II, qui privilégie le territoire mythifié de « l’Arménie historique ». Les deux hommes, à couteaux tirés, appellent mutuellement à leur démission.
Des fidèles s’agenouillent devant l’autel pour embrasser la croix en argent, posée à côté de la Bible dans un écrin de velours. Un prêtre met en garde les visiteurs : depuis une semaine, il est interdit de prendre des photos. A l’extérieur de l’église, des familles endimanchées pour un baptême prennent la pause devant l’édifice sous une chaleur caniculaire, tandis que des prêtres en robe noire vont et viennent d’un pas vif, le visage fermé. Une fébrilité inhabituelle règne à Etchmiadzine, le siège spirituel de la puissante Eglise apostolique arménienne, engagée dans une confrontation d’une ampleur inédite avec le gouvernement.
Tout a commencé le 10 juin, lorsque le chef du gouvernement, Nikol Pachinian, a appelé les fidèles à renverser le plus haut dignitaire religieux, Karékine II, qu’il accuse d’avoir un enfant – un secret de Polichinelle en Arménie. Le catholicos avait lui-même appelé le premier ministre à démissionner après la défaite de l’Arménie dans la guerre du Haut-Karabakh en 2020. Le 20 juillet, M. Pachinian a de nouveau demandé que le prélat soit chassé. Karékine II « n’a pas encore quitté le patriarcat, profanant ainsi le sanctuaire de notre sainteté », s’est-il indigné sur Facebook.
Dans son message, le premier ministre appelle ses partisans à manifester massivement devant le saint-siège d’Etchmiadzine, où réside le catholicos, en lisière d’Erevan, pour « libérer le patriarcat de lui. Nous le ferons ensemble. Soyez prêts », ajoute-t-il, sans donner de date. Depuis, les hypothèses se multiplient sur le moment où il passera à l’acte. Certains s’attendent à une démonstration de force dimanche 27 juillet, lors du Vardavar, l’une des fêtes religieuses les plus populaires du pays, au cours de laquelle les Arméniens s’aspergent d’eau, un rite symbolique de purification.
Cathédrale Saint-Jean du XIIIe siècle dans le monastère de Gandzasar, près de Stepanakert, dans le Haut-Karabakh. KAREN MINASYAN / AFP
Dans un rapport publié ce jeudi, l’ECLJ détaille, sur la base d’images satellites, des disparitions ou destructions inquiétantes de monuments du patrimoine arménien dans cette région, passée sous contrôle azéri en septembre 2023.
Le patrimoine millénaire du Haut-Karabakh est en danger. Ce n’est pas seulement la crainte des 100.000 Arméniens qui ont fui leur terre, en septembre 2023, après une opération militaire de l’Azerbaïdjan, mais le constat effectué par le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Dans un rapport publié ce jeudi, et que Le Figaro a pu consulter, l’ONG chrétienne internationale détaille l’«effacement culturel» opéré par Bakou dans cette région désormais sous son contrôle à force d’églises détruites, de croix retirées et de cimetières vandalisés. Cette politique «effrontée et dévastatrice (…) utilise à la fois la destruction et le révisionnisme pour effacer le patrimoine des Arméniens du Haut-Karabakh», alerte l’organisation basée à Strasbourg.
La région du Haut-Karabakh, peuplée de manière presque continue par les Arméniens depuis l’Antiquité, et disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la chute de l’union soviétique, compte environ 500 sites culturels abritant quelque 6000 vestiges du patrimoine arménien. En 2020, près de 70% du territoire du Haut-Karabakh était déjà tombé sous le joug de Bakou, au terme d’une guerre de 44 jours. Depuis qu’en septembre 2023, la totalité du territoire est passée sous contrôle azéri, l’Azerbaïdjan a toujours refusé aux observateurs étrangers l’accès aux sites culturels, malgré les nombreuses demandes de l’Arménie et d’institutions internationales. Ainsi, c’est par le biais d’images satellite recueillies par des chercheurs et des organisations que l’ECLJ a pu établir un inventaire précis des églises détruites, statues disparues ou cimetières vandalisés.
Des églises rayées de la carte
Parmi elles, l’église Saint-Sargis de Hadrut, datant du XVIIIe siècle, détruite en 2022, a vu son terrain déblayé pour ériger une nouvelle construction. Le 4 avril 2024, l’église Saint-Jean-Baptiste de Chouchi, endommagée par des bombes azerbaïdjanaises en 2020, a été rasée. Construite en 1847, la «chapelle verte» a été entièrement rayée de la carte, selon l’ONG Caucasus Heritage Watch, qui s’appuie notamment sur des images fournies par l’université de Cornell aux États-Unis.
Construite par les Arméniens en 1847, l’église Saint-Jean-Baptiste, à Choucha, a été détruite et rayée de la carte. Caucasus Heritage Watch
Autre forme d’effacement, le remplacement d’églises par des lieux de culte musulmans. L’église de l’Ascension à Berdzor, que l’«Organisation publique pour la protection des monuments» d’Azerbaïdjan a suggéré de transformer en mosquée en 2022, a, sans doute à ce dessein, été démolie et son terrain déblayé.
Certaines églises ont été spécifiquement privées de leurs emblèmes chrétiens. La cathédrale de Chouchi, d’après des images postées sur les réseaux sociaux azerbaïdjanais, s’est vue retirer les anges de son portail, ses dômes et sa croix. Dans l’église de Surb Sargis d’un petit village construite au XIIIe siècle, le gouvernement azéri, sous prétexte de travaux de «rénovation», a détruit les symboles religieux. Deux dalles historiques en pierre polie, décorées d’œuvres d’art chrétiennes et d’inscriptions médiévales arméniennes, ont été brisées, rapporte encore l’ECLJ. Selon des sources locales, la cathédrale Saint-Jean de la Mère de Dieu, construite et consacrée en 2019, aurait elle aussi été vandalisée par des Azerbaïdjanais. La croix qui surplombait l’église de Vankasar à Tigranakert, datant du VIIe siècle, a aussi été enlevée.
Les cimetières, marqueurs culturels
Pour Patrick Donabédian, historien d’art médiéval spécialiste du Caucase, cette politique azérie est «la continuation par de nouveaux moyens de la politique de l’empire Ottoman, au XIXe, qui consiste à dégager toute présence arménienne de la région». «Cela s’est manifesté tour à tour par l’extermination de la population (le génocide arménien, ndlr), par la destruction de leur patrimoine, ou par la réattribution de ce patrimoine à d’autres. L’objectif étant, après avoir chassé la population, d’empêcher à jamais son retour, et de montrer que les Arméniens sont étrangers à ces régions sans aucun droit sur ces terres».
Un poste de garde arménien (à gauche) près d’un poste de garde azerbaïdjanais (à droite), près du village de Khnatsakh, du côté arménien de la frontière avec l’Azerbaïdjan, le 27 septembre 2023. ALAIN JOCARD / AFP
L’Arménie espère que son adhésion lui offrira une protection supplémentaire contre son puissant voisin azerbaïdjanais, qui vient de remporter une victoire militaire éclair.
Les élus arméniens se sont exprimés en faveur de la ratification du statut de Rome, traité fondateur de la CPI, à 60 voix contre 22. La Russie voit cette adhésion d’un très mauvais œil, la Cour ayant émis au printemps un mandat d’arrêt contre le président Vladimir Poutine pour la «déportation» d’enfants ukrainiens vers la Russie.
Protection supplémentaire
Sans surprise, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a critiqué une décision «erronée», disant douter que cela soit «correct du point de vue des relations bilatérales». Il a estimé qu’Erevan n’avait d’ailleurs «rien de mieux» que l’alliance avec Moscou, tout en condamnant une nouvelle fois le mandat d’arrêt «illégal» émis par la CPI contre Poutine.
Mais l’Arménie espère que son adhésion lui offrira une protection supplémentaire contre son puissant voisin azerbaïdjanais, qui vient de remporter une victoire militaire éclair, Lire la suite »
ENTRETIEN – L’ancien secrétaire général de l’Otan, qui s’est rendu en Arménie mi-mars, estime crucial que les États européens s’engagent pour la paix dans le conflit autour du Haut-Karabagh, victime de l’attitude belliqueuse de l’Azerbaïdjan.
Ancien premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen a été secrétaire général de l’Otan de 2009 à 2014. Il dirige désormais le cabinet de conseil Rasmussen Global, qui travaille en étroite collaboration avec la présidence ukrainienne.
LEFIGARO.- Vous revenez d’un déplacement en Arménie, où vous avez alerté d’un risque réel d’escalade. Pourquoi la situation dans le Caucase vous inquiète-t-elle ?
A.V.RASMUSSEN.– Le risque d’une guerre ouverte entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans un futur proche est réel et sous-estimé. Il existe une unique route reliant l’enclave du Haut-Karabagh à l’Arménie. Une seule. Et cette route est bloquée depuis le 12 décembre. Des produits essentiels aux médicaments, plus rien ne passe. Des habitants sont coincés côté arménien et ne peuvent retourner chez eux. Cette situation peut aboutir à un désastre humanitaire. L’objectif, à terme, pourrait être un nettoyage ethnique, en rendant la vie des habitants si difficile que beaucoup d’entre eux quitteraient le territoire.
J’ai écrit un message au président azéri Ilham Aliev pour lui enjoindre de lever le blocus. Il ne m’a pas répondu, tout comme il n’a jamais réagi aux différentes déclarations de la communauté internationale. La Cour internationale de justice (organe judiciaire des Nations unies, ndlr) a ordonné elle-même à l’Azerbaïdjan de rétablir la circulation. Mais le blocus est toujours là. J’apprécie l’engagement fort d’Emmanuel Macron sur ce sujet, et j’espère que la France sera rejointe par les autres principaux États membres de l’Union européenne pour accentuer la pression sur le président Aliev.
Quel genre de pressions ?
La Commission européenne et l’Azerbaïdjan sont liés par un accord sur l’énergie. Évidemment, après avoir coupé l’approvisionnement en gaz russe, nous avons besoin d’alternatives. Mais cet accord peut justement être une excellente base pour accentuer la pression sur le président azéri. Il est important de signifier à Bakou que notre intérêt énergétique ne nous fera pas détourner le regard d’un drame humanitaire en puissance.
ll se pourrait qu’Ilham Aliev soit un autocrate, à l’instar de Vladimir Poutine. Mais je crois fermement qu’il est conscient du désavantage de passer pour un paria international, comme c’est le cas pour son homologue russe. À mon avis, Aliev calcule minutieusement les limites à ne pas dépasser dans les violations du droit international. Car le blocage du Haut-Karabagh est une violation du droit, de même que les attaques menées en septembre dernier sur le sol arménien, suivies de l’occupation de bouts de territoires. L’Union européenne doit signifier clairement au régime d’Aliev que ces violations ne resteront pas impunies.
La responsabilité de l’ouverture du corridor n’incombe-t-elle pas également à la Russie ?
En effet, le corridor de Latchin est sous le contrôle des «soldats de la paix» russes depuis un accord en 2020. J’ai vu de mes propres yeux les soldats postés pour contrôler la route. Ils sont tout proches du lieu du blocus, mais ils ne font rien ! Moscou n’a absolument rien fait pour empêcher cette situation, comme elle n’a rien dit lorsque Bakou a attaqué l’Arménie en septembre. On ne peut exclure que Moscou, outre un manque de volonté d’aider son alliée historique, manque également de capacités pour le faire, étant pleinement engagé sur le front ukrainien. Quoi qu’il en soit, il y a manifestement un changement de paradigme dans le Caucase, avec un recul de l’influence et de l’impact russe. Les Arméniens sont profondément déçus de cette inaction. Voilà pourquoi ils cherchent des amis fiables, qu’ils pourraient trouver à l’Ouest.
Vous dites que l’Europe a une responsabilité particulière en Arménie, pourquoi ?
Je pense qu’un nouveau conflit dans cette région aux portes de l’Europe ne peut nous servir. Cela risque d’abord être compromettant pour notre approvisionnement en énergie. Aussi, la passivité de la Russie laisse présager l’existence d’une alliance informelle entre Moscou et Bakou, et, derrière, entre Moscou et Istanbul. Voilà pourquoi les États européens doivent s’engager dans le Caucase du Sud.
Je pense que l’Union européenne a saisi l’enjeu en déployant une mission d’observateurs à la frontière arménienne. Pour l’instant, le groupe est trop petit, les moyens trop limités, et les experts n’ont pas accès au côté azéri de la frontière. Mais c’est une bonne base. L’objectif est double : dans l’immédiat, contenir la menace – car l’Azerbaïdjan n’osera pas attaquer tant que des observateurs européens pourront constater les faits. Dans une perspective plus longue, j’encourage l’Union européenne à en faire une véritable mission d’enquête pour établir des faits documentés sur la situation humanitaire au Nagorny Karabagh.
Nous devons également presser le président Aliev d’engager des négociations de paix. Le premier ministre arménien a fait preuve d’une grande flexibilité en ce sens, en indiquant que pour lui et son gouvernement, des garanties sur les droits et la sécurité des habitants du Nagorny Karabagh primeraient sur tout débat quant au statut de l’enclave (qui se veut autonome mais que Bakou revendique, ndlr). En d’autres termes, l’Arménie serait potentiellement prête à accepter que l’enclave fasse partie de l’Azerbaïdjan, à condition que soient absolument garantis les droits des Arméniens qui y résident.
Si un tel scénario se matérialisait, un mécanisme international serait nécessaire pour contrôler le respect des garanties. Ceci est inimaginable sans une mission pacifique de maintien de la paix, qui puisse alerter en cas de risque imminent de nettoyage ethnique. Je plaide donc pour le déploiement d’une mission internationale et armée, sous mandat des Nations unies.
Sur un autre front, celui de la guerre en Ukraine, vous conseillez le président Zelensky sur le plan international. Comment voyez-vous l’avenir du conflit ? Lire la suite »
Affrontement entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, offensive de l’Azerbaïdjan à la frontière arménienne… Affaibli par le conflit en Ukraine, Moscou peine désormais à tenir le rôle d’arbitre qu’elle revendique dans les Etats de l’ex-espace soviétique.
Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, rencontre les ministres des affaires étrangères des pays membres de l’Organisation du traité de sécurité collective, à Erevan, le 10 juin 2022. HANDOUT / AFP
En contrepoint du fiasco militaire russe en Ukraine, le fracas des armes s’élève à nouveau aux quatre coins de l’ancien empire soviétique. En Asie centrale, au moins cent personnes ont perdu la vie au cours des derniers jours à la frontière contestée entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Dans le Caucase, une offensive menée par Bakou à la frontière arménienne a provoqué un nombre encore supérieur de victimes la semaine dernière.
Le retour prévisible de la violence révèle en creux une Russie incapable de réaliser son ambition de redevenir le garant de la stabilité dans l’ex-espace soviétique. Sous la houlette de Moscou, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dont les pays belligérants font partie, à l’exception de l’Azerbaïdjan, brille par son incapacité à peser dans un conflit comme dans l’autre.
Le conflit frontalier entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, deux pays parmi les plus pauvres du monde, couve depuis trente ans avec de courtes éruptions de violence. Celles de la semaine dernière sont sans précédent par leur ampleur. Bichkek a pour la première fois utilisé des drones d’attaque Bayraktar (achetés à la Turquie), tandis que de part et d’autre, des dizaines de blindés se faisaient face, sous des duels d’artillerie lourde (dont les fameux lance-roquettes Grad). L’objet du conflit ne change pas : il s’agit de la souveraineté sur l’enclave tadjike de Vorukh, située à l’intérieur du territoire kirghiz ; le contrôle de la route reliant l’enclave au Tadjikistan, ainsi que le partage des ressources en eau locales.
Très affaibli par des scandales de corruption et une instabilité politique persistante, le régime semi-démocratique kirghiz accuse le Tadjikistan, une dictature dirigée depuis trente ans par un Emomali Rahmon à la santé aujourd’hui déclinante, d’avoir fomenté une invasion de son territoire. Selon Bichkek, qui indique avoir évacué de la zone 142 000 civils, l’armée tadjike aurait pour la première fois utilisé des « mercenaires afghans » qui se seraient livrés à des pillages aux dépens de civils. Côté tadjik, le vice-ministre des affaires étrangères Imomi Sodik revendique un nouveau tracé des frontières reliant Vorukh au territoire tadjik, arguant que « dans les années 1920-1930, le pouvoir soviétique a transféré trois territoires tadjiks à la République socialiste du Kirghizistan sans respecter les procédures légales ».
Remontrances à Samarcande
Lundi soir, les directeurs des services de sécurité des deux pays annonçaient à 23 heures locales dans un communiqué commun avoir « signé un protocole de stabilisation de la situation à la frontière ». Aucune explication de part et d’autre n’a été donnée sur la simultanéité de cette éruption sanglante avec le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï, organisé au même moment chez leur voisin commun l’Ouzbékistan, sous la houlette de la Chine.
Ouverture du Congrès des chefs des religions mondiales et traditionnelles avec le pape François
Les paroles du Pape dans son discours aux autorités kazakhes contiennent une invitation à sortir de la logique des blocs opposés dans laquelle le monde est retombé.
Le Pape François s’adressant aux autorités kazakhes (Vatican Media)
«Il est temps d’éviter l’accentuation des rivalités et le renforcement des blocs opposés. Nous avons besoin de dirigeants qui, au niveau international, permettent aux peuples de se comprendre et de dialoguer, et qui génèrent un nouvel « esprit d’Helsinki », la volonté de renforcer le multilatéralisme, de construire un monde plus stable et pacifique en pensant aux nouvelles générations». Le Pape François fixe son regard sur l’avenir du monde. Il ne s’abandonne pas à la logique terrible et sans issue de l’escalade militaire qui risque de détruire l’humanité. Pour cette raison, il continue d’indiquer des voies concrètes pour la paix; des moyens de sortir de la vieille logique des alliances militaires, de la colonisation économique, du pouvoir écrasant des grands et des puissants sur le plan international.
Depuis la capitale kazakhe de Nour-Soultan, où, en septembre 2001, Jean-Paul II, dans un moment tragique de l’histoire de l’humanité (moins de deux semaines après les attentats contre les tours jumelles de New-York), lançait un appel à supprimer toute justification du terrorisme et de la violence qui abusent du nom de Dieu, son successeur François a appelé à un renouveau de l’esprit qui, en 1975, a conduit à des mesures concrètes de dialogue entre l’Orient et l’Occident. Il y a 21 ans, l’appel du pape Karol Wojtyla – qui, quelques mois avant les attentats de New-York, était entré pieds nus dans la mosquée des Omeyyades à Damas – s’adressait avant tout aux chefs religieux. Aujourd’hui, Les mots de François, préoccupé par une troisième guerre mondiale qui n’est plus «en petits morceaux», s’adressent avant tout aux dirigeants des nations, surtout les grandes.
Les accords d’Helsinki, dans lesquels le Saint-Siège est pleinement impliqué pour la première fois au cours d’une réunion de ce genre depuis le Congrès de Vienne, sont signés par trente-cinq États, dont les États-Unis, l’URSS et pratiquement toutes les nations européennes. Ils énoncent un certain nombre de principes dont le respect des droits de souveraineté, le non-recours à la force, le règlement pacifique des différends, l’inviolabilité des frontières et l’intégrité territoriale des États, le respect des droits et libertés de l’homme, y compris les libertés religieuses, et l’autodétermination des peuples.
À droite comme à gauche, on demande à la diplomatie française de contribuer à garantir la paix dans la région, deux ans après la guerre au Nagorny Karabakh.
ALEXANDER NEMENOV / AFP Ces élus pressent la France de réagir après les affrontements à la frontière Arménienne (Photo d’illustration prise à Kalbajar en novembre 2020 pendant la guerre pour le Nagorno Karabakh)
POLITIQUE – « La communauté internationale ne peut laisser faire. » Plusieurs élus français s’inquiètent, ce mardi 13 septembre, de la situation dans le Caucase. Des affrontements de grande ampleur sont en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les forces de Bakou, appuyées par des canons et des drones, cherchant à « avancer » en territoire arménien, selon Erevan. Au moins 49 militaires arméniens ont été tués au cours des dernières heures.
Des événements qui réactivent le spectre de la guerre de 2020 pour le contrôle de la région du Nagorny Karabakh et menacent de faire dérailler un processus de paix sous médiation européenne. Dans ce contexte, la droite française, mais pas seulement, espère une réaction rapide de l’Élysée ou du quai d’Orsay. Celle-ci n’a pas tardé. L’Élysée a annoncé en fin de matinée saisir le Conseil de sécurité de l’Onu.
« Les manœuvres récentes le laissaient pressentir, l’Azerbaïdjan semble lancer une attaque militaire d’ampleur contre l’Arménie », écrit par exemple l’eurodéputé François-Xavier Bellamy sur les réseaux sociaux, ce mardi 13 septembre, en demandant à ce que la France et l’Europe agissent en urgence pour « empêcher une nouvelle guerre ».
« L’existence même de l’Arménie est attaquée »
Mêmes mots, ou presque, chez Laurent Wauquiez pour qui « l’intégrité territoriale et l’existence même de l’Arménie sont attaquées. » Le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes, estime que « la communauté internationale ne peut laisser faire l’agresseur azéri sans réagir. » Un message dont la teneur s’inscrit dans le sillage des publications déjà mises en ligne par ses collègues.
Une fois de plus, l’intégrité territoriale et l’existence même de l’Arménie sont attaquées. La communauté internati… https://t.co/1bpKEAlMGq
Du côté des Républicains, prompts à réagir rapidement quand des chrétiens d’Orient sont concernés, nombreux sont les responsables à se faire entendre, de Valérie Pécresse à Xavier Bertrand, en passant par Éric Ciotti, l’un des quatre candidats à la présidence du parti. Ce dernier parle d’une situation « alarmante » et, comme ses comparses, envoie son « soutien » au peuple arménien.
Les nouvelles du Caucase sont alarmantes, l’Arménie serait attaquée par l’Azerbaïdjan d’Aliev sur son propre territ… https://t.co/GaGM9vOwil
Dans ce contexte, la droite n’est pas seule à s’exprimer. Plusieurs élus français, de toutes sensibilités politiques, s’inquiètent publiquement de ce regain de violences, le plus meurtrier depuis la guerre de l’automne 2020. « La France doit œuvrer, au plus vite, pour garantir l’intégrité territoriale de l’Arménie et la paix », écrit ainsi le maire socialiste de Montpellier Michaël Delafosse, en soutien, lui aussi du peuple d’Erevan.
Plusieurs élues de la majorité, à l’image de Sara Tanzilli ou Sabrina Agresti-Roubache, ont également réagi. Tout comme le député insoumis du Val-d’Oise Carlos Martens Bilongo.
L’Arménie fait l’objet d’une attaque par l’Azerbaïdjan. La France doit œuvrer, au plus vite, pour garantir l’intégr… https://t.co/LoqakU6Cwc
L’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux ex-républiques soviétiques rivales du Caucase, se sont affrontés lors de deux guerres au cours des trois dernières décennies pour le contrôle de la région du Nagorny Karabakh, la dernière ayant eu lieu en 2020. Dénonçant une « agression » de Bakou, le Premier Ministre arménien Nikol Pachinian a appelé la communauté internationale à réagir, lors d’entretiens avec plusieurs dirigeants étrangers dont le président russe Vladimir Poutine. La Russie, qui espère un cessez-le-feu rapide, se dit « extrêmement préoccupée par la nette dégradation de la situation. »
À l’occasion du 30e anniversaire de l’indépendance de son pays, Lasha Zhvania affirme que les Géorgiens n’ont jamais renoncé à revendiquer des sites clés de Jérusalem.
« Le patrimoine culturel géorgien en Terre sainte est en danger », a averti l’ambassadeur de la Géorgie en Israël, Lasha Zhvania.
L’idée que la Géorgie, un petit pays peu peuplé, situé dans les montagnes du Caucase entre les puissants voisins, que sont la Russie et la Turquie, ait une histoire significative en Israël peut en surprendre certains. Jérusalem est célèbre pour ses sanctuaires catholiques, orthodoxes grecs et arméniens, et aujourd’hui, on ne trouve pas une seule église géorgienne dans tout Israël.
Mais pendant des centaines d’années, les Géorgiens ont été une force omniprésente, voire dominante, parmi les chrétiens de Terre Sainte. Les moines et les princes géorgiens ont construit des dizaines d’églises et détenaient certains des sites les plus sacrés du christianisme.
À mesure que le pouvoir politique de la Géorgie s’est affaibli, son emprise sur les sanctuaires de Terre Sainte, s’est relâchée et, à l’époque ottomane, tous ses monastères et églises étaient aux mains de communautés plus puissantes. Les inscriptions et les fresques géorgiennes anciennes ont été négligées et même vandalisées, un processus qui s’est poursuivi jusqu’à l’époque moderne.
S’adressant au Times of Israël pour marquer le trentième anniversaire de l’indépendance de la Géorgie le 26 mai, Zhvania a souligné le long héritage de la Géorgie en Israël et en particulier à Jérusalem. Bien que cet héritage ait été occulté au fil des siècles, par des églises rivales et des États plus puissants, il reste optimiste et pense que les revendications géorgiennes seront un jour reconnues.
« Il y a une sorte de poussière sur cette histoire. Mais cette poussière peut être enlevée très facilement. »
Le monastère de la croix (Crédit : Shmuel Bar-Am)
Quarante églises perdues
Les Géorgiens et les Juifs sont entrés en contact étroit il y a des milliers d’années.
Selon la tradition géorgienne, les premiers Juifs ont migré vers la région du Caucase à la suite de la destruction du Premier temple de Jérusalem par les Babyloniens en 586 avant l’ère commune. Des sources écrites géorgiennes font état de vagues ultérieures de Juifs de Judée vers la Géorgie, toutes deux tombées sous la domination romaine, au cours des premiers siècles avant et après l’ère commune.
Les Juifs de la ville géorgienne de Mtshketa, auraient apporté en Géorgie (une des versions de) la robe sans couture, que Jésus portait lors de sa crucifixion, où elle se trouve aujourd’hui dans la vénérable cathédrale de Svetitskhoveli.
Une fois le christianisme implanté dans la région, les Géorgiens ont pris la direction opposée.
L’icône de Saint-Nino à la cathédrale Svetitskhoveli, à Mtskheta, en Géorgie (Crédit : Kober, domaine public)
La tradition géorgienne fait remonter la conversion au christianisme, de l’ancien royaume géorgien de Kartli au 4e siècle. Une femme originaire de Cappadoce, nommée Nino – qui, selon certains, venait de Jérusalem – a commencé à prêcher dans le royaume vers l’an 320. Après avoir initialement persécuté les chrétiens, y compris sa femme, le roi païen Mirian III a été témoin d’un miracle, puis s’est converti, déclarant le christianisme religion officielle de l’État.
La Géorgie est la deuxième nation à se convertir au christianisme après l’Arménie, et les Géorgiens s’intéressent de près à la Terre Sainte.
Après la signature d’un accord de cessation des hostilités, entré en vigueur le 10 novembre après six semaines de guerre entre forces arméniennes et azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabakh, des inquiétudes et des interrogations naissent sur l’avenir des églises et monastères arméniens situés dans les zones qui passeront sous le contrôle direct de l’Azerbaïdjan.
Des familles arméniennes visitent, probablement pour la dernière fois, le monastère de Dadivank, le 12 novembre 2020. (AFP or licensors)
Les monastères sont des signes vivants des racines chrétiennes d’une terre, et après la signature de l’accord entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la population s’interroge sur le destin futur des églises et monastères situés dans les territoires qui passeront sous la juridiction de Bakou.
Ce compromis signé lundi soir entre le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, sous l’égide du président russe Vladimir Poutine, a permis un arrêt immédiat des combats qui faisaient rage depuis le 27 septembre dans le Haut-Karabakh, une région montagneuse de peuplement arménien mais rattachée à l’Azerbaïdjan, selon les frontières administratives établies à l’époque soviétique.
L’accord prévoit une partition de la région selon la ligne de front de la nuit du 9 au 10 novembre, avec une zone de souveraineté azerbaïdjanaise directe, essentiellement au sud, alors que dans le reste du territoire, le déploiement d’une force d’interposition de la Fédération de Russie est censé permettre le retour de la population arménienne.
Des interrogations qui subsistent sur la préservation du patrimoine
À la différence des trois précédentes tentatives de cesssez-le-feu, cet accord semble pleinement respecté, mais il continue à susciter des incompréhensions et des questionnements en Arménie, comme le gouvernement d’Erevan lui-même le reconnaît.«Nous sommes actuellement dans l’incertitude quant au sort du patrimoine culturel de l’Artsakh» (nom arménien du Haut-Karabakh), a déclaré à l’AFP Nariné Toukhinian, la vice-ministre arménienne de l’Éducation, de la Science et de la Culture, qui précise que l’accord n’établit aucune disposition au sujet des lieux de culte.
«Nous sommes extrêmement préoccupés car on a déjà vu la profanation et la destruction des khachkars (des croix traditionnelles arméniennes en pierre ornementées) par les Azéris», explique-t-elle. Des exemples de l’histoire récente font en effet craindre des exactions contre le patrimoine religieux: ainsi, les traces de la présence arménienne dans la République autonome du Nakhitchevan, qui appartient à l’Azerbaïdjan mais qui est détachée du reste du territoire, ont été progressivement détruites après le départ des derniers Arméniens, dans les années 1980.«Des prêtres arméniens resteront où restera la population arménienne. Mais il est peu probable que nos ecclésiastiques pourront rester dans les territoires cédés à l’Azerbaïdjan», a précisé la vice-ministre du gouvernement d’Erevan.
L’Église apostolique arménienne, très majoritaire dans le pays, ne s’est pas encore directement exprimée sur la question mais son Patriarche Karékine II a néanmoins demandé aux autorités de la République d’Arménie et du Haut-Karabakh, après la signature de l’accord, de «donner immédiatement des explications compréhensibles et convaincantes au peuple (…) sur ces décisions et leur impact sur le futur de notre patrie».
Les adieux au monastère de Dadivank
Un article de La Croix évoque les pèlerinages d’Arméniens venus faire ces jours-ci leurs adieux au monastère de Dadivank, situé dans une province qui doit être transférée à l’Azerbaïdjan d’ici à ce dimanche 15 novembre. Quand la région était contrôlée par le régime soviétique, les lieux avaient été abandonnés au bétail, avant le rétablissement du culte dans les années 1990.
Pour le père Hovhannes, qui a continué cette semaine à accueillir et à baptiser des pèlerins, l’attachement des Arméniens à ce monastère devrait justifier une poursuite du culte et des pèlerinages, malgré l’accord sur le transfert de souveraineté. «Les gens ont perdu des proches, leurs maisons. Ils ne veulent pas perdre Davidank. (…). Nous devons prier pour la sauvegarde de notre monastère», explique-t-il.
La cathédrale de Chouchi, symbole de l’identité arménienne
La perte de la ville de Chouchi (Choucha pour les Azerbaïdjanais) suscite également une vive inquiétude dans la population arménienne. Elle abrite une cathédrale construite au XIXe siècle, qui fut abandonnée après les massacres de 1920.
Ankara, qui s’était massivement engagée au côté de l’Azerbaïdjan, n’est pas mentionné dans l’accord qui a mis fin à six semaines de guerre.
Des soldats de maintien de la paix russes (au centre et à droite) interceptent un véhicule près de Stepanakert, le 13 novembre. ALEXANDER NEMENOV / AFP
Vraies divergences ou simple quête de prééminence ? Trois jours après la signature d’un accord de paix sur le Haut-Karabakh, Moscou et Ankara affichent des vues discordantes sur ce texte qui a mis fin à une guerre de six semaines, remportée par l’Azerbaïdjan sur l’Arménie. Le document a été paraphé le 9 novembre par les dirigeants de ces deux pays, Ilham Aliev et Nikol Pachinian, ainsi que par le président russe, Vladimir Poutine. Il prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan de tous les districts voisins du Haut-Karabakh tenus par l’Arménie depuis 1994, y compris ceux non encore conquis par les armes. Le futur statut du territoire séparatiste, lui-même amputé de plusieurs localités, n’y est pas défini.
La Turquie, qui s’était massivement engagée au côté de l’Azerbaïdjan, fournissant un soutien diplomatique et logistique allant jusqu’à l’acheminement de mercenaires syriens, n’est pas mentionnée dans l’accord, ce qui a poussé nombre d’observateurs à considérer que la victoire turque était limitée.
Dans un entretien avec plusieurs médias internationaux, jeudi 12 novembre, dont Le Monde, le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a dit refuser des « analyses de salon » qui chercheraient à déterminer le vainqueur d’une négociation « dont tout le monde ressort gagnant ». M. Lavrov n’a en revanche pas pu masquer les divergences exprimées avec son homologue turc sur un point précis du texte : le contrôle du cessez-le-feu sur le terrain. L’accord de Moscou prévoit l’envoi d’une force de maintien de la paix russe de quelque deux mille hommes pour une durée minimale de cinq ans. Ces soldats ont d’ores et déjà commencé à se déployer en Azerbaïdjan, dernier Etat du Caucase du Sud à ne pas compter de présence militaire russe.