Occident

Monde instable: la « nouvelle normalité »? avec le Général Richoux

Publié le Mis à jour le

Différents angles de projection de l’Ordre international: le « pouvoir de nuisance » de la Russie vs la puissance « planétaire » antérieure et les puissances « coloniales ». Intégrité territoriale: l’un des enjeux fondamentaux depuis la deuxième guerre mondiale.

Guerre Israël-Hamas : au Maghreb, la rupture des opinions publiques avec l’Occident

Publié le Mis à jour le

Dans les rues de Rabat, d’Alger et de Tunis, la colère gronde contre le soutien à Israël dénoncé comme « inconditionnel », mettant en position délicate les intellectuels démocrates de la région.

Une manifestation d’avocats tunisiens en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, à Tunis, le 26 octobre 2023. (AP Photo/Hassene Dridi) HASSENE DRIDI / AP

« Désormais, le divorce est consommé. » Le diagnostic est posé sans barguigner par l’hebdomadaire marocain Tel quel dans un dossier consacré, le 20 octobre, à la « fracture ouverte entre l’Occident et le Sud global » à l’occasion de l’éclatement de la guerre à Gaza entre Israël et le Hamas. Si la pertinence du concept de Sud global fait débat en l’occurrence – l’Inde a très vite soutenu le gouvernement israélien après l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre –, la géographie des émotions est d’une homogénéité peu discutable dans le monde musulman, en particulier au Maghreb.

En Afrique du Nord, où la solidarité avec la « résistance palestinienne » est une vieille affaire, la colère ne vise pas qu’Israël et ses bombardements intenses sur Gaza causant des milliers de victimes civiles et un désastre humanitaire sans précédent. Elle s’élargit à l’Occident, perçu comme un soutien « inconditionnel » à Israël. « Les opinions publiques au Maghreb assimilent Israël à l’Occident, relève Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb et enseignante à l’université Paris-I. Non parce qu’Israël est un Etat fonctionnant à l’occidentale, mais parce que, dans la crise actuelle, il est protégé, voire surprotégé, par les gouvernements américain et européens. »

La guerre en Ukraine, où les Occidentaux ont mis en avant le droit international pour obtenir la mise au ban de la Russie, est dans tous les esprits. La dénonciation du « deux poids, deux mesures », selon que les victimes civiles soient ukrainiennes ou palestiniennes, est devenue un leitmotiv dans le procès fait à l’Occident.

« Colon un jour, colon toujours »

Au Maghreb, la France – sensibilité du passé colonial oblige – est particulièrement exposée à ces indignations de la rue. A Tunis, plusieurs rassemblements se sont tenus devant l’ambassade française, située au cœur de la capitale. Les manifestants ont réclamé « le départ » de l’ambassadrice. « Colon un jour, colon toujours », « La France, pays des droits de certains hommes » : les slogans tagués sur la façade de l’Institut français de Tunis traduisent sans ambiguïté cette image dégradée de la France. Les Etats-Unis sont visés eux aussi, ainsi que l’Allemagne, dont les propos de l’ambassadeur – évoquant l’« escalade actuelle déclenchée par une attaque terroriste barbare du Hamas contre Israël » – ont suscité un tollé en Tunisie. A Rabat comme à Alger, les manifestations en soutien aux Palestiniens ont dénoncé à l’unisson la « complicité » de l’Occident dans le « génocide à Gaza ».

(… lire la suite)

Tigrane Yégavian: «Qui se soucie encore des chrétiens d’Orient ?»

Publié le Mis à jour le

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le géopolitologue appelle à dépasser les considérations religieuses et politiques à propos des chrétiens d’Orient. Selon lui, ils méritent un soutien inconditionnel, en tant que créateurs d’unité dans des sociétés de plus en plus divisées.

«Les chrétiens d’Orient n’entrent pas dans les codes actuels, ce n’est pas une cause qui émeut le grand public.» Tigrane Yégavian. ROBERT ATANASOVSKI/AFP

Tigrane Yegavian est géopolitologue spécialiste du Caucase et du Moyen-Orient, il est également chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement. Il a notamment publié Minorités d’Orient les oubliés de l’Histoire aux éditions Le Rocher en 2019

FIGAROVOX. – Malgré l’importance de la défense des minorités dans les sociétés occidentales, on entend peu parler de la situation dramatique des chrétiens au Moyen-Orient et de leur perte de droits. Le sujet est-il devenu tabou en France ?

Tigrane YÉGAVIAN. – Ce que je trouve avant tout désolant, c’est qu’il y ait une telle politisation d’un débat qui ne devrait pas l’être. Il faut noter qu’à la fin du XIXe, les principaux soutiens de la cause des Arméniens et des Chaldéens opprimés par les Turcs ottomans, étaient surtout des gens de gauche tels que Jean Jaurès, Anatole France, Charles Péguy… Et c’est plus récemment que les chrétiens de droite se sont emparés de ces questions. Même dans les années 90, la cause arménienne était défendue par le parti socialiste et communiste. Mais on voit très clairement qu’après 2014 et l’invasion de l’Irak par l’État islamique qui expulse les chrétiens et extermine les Yézidis, il y a une vague d’émotion au sein de la classe politique de droite. Celle-ci va donc s’emparer du sujet, et parfois l’instrumentaliser, comme l’a fait Reconquête. Tandis que la gauche, elle, a abandonné cette cause, et s’est surtout illustrée par une indignation à géométrie variable. Le refus d’Arte de dialoguer avec l’Œuvre d’Orient, association tout à fait respectable, est hautement significatif.

Mais au-delà de la politisation et de l’hystérisation du sujet qui nuisent à sa visibilité et empêchent une concertation pacifique, il y a aussi un effet de mode. C’est-à-dire que les chrétiens d’Orient n’entrent pas dans les codes actuels, ce n’est pas une cause qui émeut le grand public. S’il s’agissait de féministes LGBT qui affrontaient Daesh, là on en aurait plus parlé, il y aurait eu un narratif susceptible de toucher les gens. Les chrétiens d’Orient ont le malheur d’être chrétiens…

« Ces chrétiens sont les derniers à tisser des liens sociaux supra-confessionnels, grâce à leur tissu scolaire et hospitalier, dans des pays menacés de division et d’effondrement. »

Le problème de ces chrétiens c’est que pendant plusieurs siècles ils ont été protégés par les Occidentaux, notamment au XIXe, après ils ont essayé de s’émanciper en devenant des citoyens, ce qui n’a pas marché du fait de l’islamisation des sociétés arabes, et maintenant ils se retrouvent au pied d’un troisième paradigme, ils ne savent pas comment faire pour garantir et pérenniser leur avenir, ils cherchent leur place. Je pense que l’on est arrivé à un moment charnière de leur histoire, un point de bascule. Il est nécessaire de les aider, en tant que minorité, à trouver une nouvelle place dans ces sociétés. Mais en Occident on ne parle d’eux qu’à Noël, ou lorsqu’il y a un attentat en Égypte, en Irak

On manque aussi de nuance lorsque l’on parle de ce sujet, notamment dans le conflit syrien. On a tendance, en France, à avoir une vision binaire et expliquer que les chrétiens soutiennent le régime de Bachar el-Assad. Les chrétiens sont tout à fait conscients de la nature autocratique de ce régime, mais ils n’ont aucune confiance en l’Occident pour garantir leur sécurité, c’est donc une sorte de «moindre mal».

FIGAROVOX. – La chaîne de télévision franco-allemande Arte a refusé la diffusion d’un spot publicitaire de l’Œuvre d’Orient. Selon l’Œuvre d’Orient la chaîne se « réfugie derrière son cahier des charges franco-allemand pour refuser la diffusion de ce spot et couper la voix aux chrétiens d’Orient ». Cette critique est-elle justifiée ? Comment expliquez-vous le refus de la chaîne ?

Tigrane YÈGAVIAN. – Il me semble y avoir de la mauvaise foi de la part d’Arte, parce qu’ils sont à la pointe pour toutes les causes «droits de l’hommistes», y compris celles qui défendent les minorités religieuses. La cause des Ouïghours ou des Rohingya, par exemple, font l’objet d’une couverture médiatique bien plus importante chez Arte que dans le reste du service public. Il y a donc une forme de deux poids deux mesures et d’hypocrisie dans le traitement de ce sujet, surtout de la part d’une chaîne du service public qui avait pourtant produit en 2016 un documentaire sur les chrétiens d’Orient.

On se retrouve donc, aujourd’hui, dans une forme de blocage qui ne peut être motivé, à mon sens, que par des raisons politiques. Comme si les chrétiens d’Orient gênaient, ne rentraient pas dans les bonnes cases, alors que l’Œuvre d’Orient est une organisation institutionnelle tout à fait neutre, et extrêmement bien installée dans le paysage français depuis 1856. Cette association n’a pas d’agenda politique, c’est une organisation non-gouvernementale qui coopère depuis longtemps avec le ministère des affaires étrangères et d’autres acteurs publics. De même, les spots publicitaires de l’Œuvre d’Orient ont souvent été relayés par les médias traditionnels, tels que Radio France.

Mais je pense qu’il y a eu une radicalisation et une politisation du sujet des chrétiens d’Orient, et que des associations telles que SOS chrétiens d’Orient ont une part de responsabilité, bien qu’elles fassent un travail tout à fait louable. Et pour une chaîne comme Arte, très «droits de l’hommiste», défenseur de la démocratie libérale, antirusse, qui a donc une ligne éditoriale assez marquée, cette politisation peut gêner. L’Œuvre d’Orient défend les chrétiens d’Orient, non pas parce qu’ils sont chrétiens, mais parce qu’ils ont une mission spéciale. C’est-à-dire que ces chrétiens sont les derniers à tisser des liens sociaux supra-confessionnels, grâce à leur tissu scolaire et hospitalier, dans des pays menacés de division et d’effondrement.

Comment les chrétiens d’Orient perçoivent cette absence de mobilisation et ce silence relatif de l’Occident ?

Lire la suite »