Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, les communautés humaines se sont régulièrement combattues pour s’approprier des terres, des troupeaux, des métaux précieux ou des esclaves, sans se soucier de quelque justification que ce soit.
Seules les cités grecques ont connu dans l’Antiquité un semblant de codification des guerres. Mais c’est principalement autour de l’An Mil, à l’aube de la civilisation européenne, que la chrétienté médiévale jeta les fondations de ce qui devint le droit international…
La guerre, une constante de l’Histoire humaine
Les guerres sont attestées par l’archéologie depuis le Mésolithique (dico), il y a environ dix mille ans, et elles ont toujours visé à l’écrasement de l’adversaire, sa soumission, voire son extermination. Elles n’ont jamais été régies par un quelconque « droit international ». Tout au plus ont-elles pu être contenues par la diplomatie : l’art de prévenir les conflits et les conclure…
La « trêve sacrée »
On note dans l’Antiquité classique une exception, à savoir le monde grec. Celui-ci était constitué de nombreuses cités jalouses de leur indépendance. Chacune de ces cités était formée par la réunion des autochtones (du grec : « issus du même sol » ; on dirait aujourd’hui « de souche »), à l’exclusion des étrangers (« métèques ») et des captifs de guerre ou esclaves.
Cette cohésion humaine permit l’avènement de la démocratie athénienne mais elle engendra aussi de fréquents conflits d’intérêt entre les cités.
Les cités grecques se livraient de ce fait des guerres fréquentes mais comme toutes partageaient les mêmes croyances, les mêmes coutumes et la même langue, elles s’accordaient sur des trêves fréquentes en lesquelles on peut voir la première ébauche d’un droit « international » de la guerre et de la paix. Il y avait en premier lieu l’ékécheiria ou « trêve sacrée » lors des Jeux panhelléniques tels que les Jeux Olympiques, les Jeux Pythiques (Delphes), et les Jeux Néméens et Isthmiques. Certaines fêtes religieuses comme les Panathénées (Athènes) pouvaient entraîner une suspension des hostilités. Quiconque violait ces interdictions pouvait être poursuivi pour sacrilège.
Ces pratiques ont disparu avec la conquête romaine au IIe siècle avant J.-C. et la Grèce est alors rentrée dans le droit ou plutôt le non-droit commun.
Un nuage de fumée à la suite d’un bombardement israélien dans le centre de la bande de Gaza, le 23 avril 2024. – / AFP
Amnesty International a publié mercredi son rapport sur la situation des droits humains dans le monde. L’ONG fait état d’un «quasi-effondrement du droit international» et souligne les dangers liés aux nouvelles technologies.
«On s’enfonce de plus en plus vers un mépris total des vies humaines», déplore Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty France, à la conférence de lancement du rapport 2023 sur la situation des droits humains dans le monde de l’ONG. Si le traitement des civils dans les guerres était déjà une préoccupation en 2022, le rapport souligne que 2023 a été une année marquée par «le quasi-effondrement du droit international » et « la multiplication des conflits» où «les populations [ont été] systématiquement massacrées.» La guerre au Proche-Orient en est l’exemple le plus édifiant : la majorité des victimes des massacres du 7 octobre étaient des civils, et plus de 34000 Palestiniens ont été tués dans la riposte israélienne, selon le ministère de la Santé du Hamas.
Cependant, même avant le 7 octobre, «2023 était l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens depuis 2005» (année où Amnesty International a commencé sa documentation sur cette question), rappelle Budour Hassan, chercheuse de l’organisation sur Israël et les territoires palestiniens occupés. L’ONG pointe la responsabilité des autorités israéliennes, accusées de «vider de son sens le droit international». Les alliés d’Israël sont aussi mis en cause, en premier lieu les États-Unis, dont le veto au Conseil de sécurité de l’ONU a empêché à plusieurs reprises la mise en place d’un cessez-le-feu à Gaza. Plus généralement, l’organisation critique la passivité de la communauté internationale et rappelle que de nombreux pays n’ont, pendant longtemps, pas condamné les actions d’Israël, signe d’un «deux poids deux mesures grotesque» face aux sanctions prises contre le régime russe pour la guerre en Ukraine.
Dérives technologiques
Moscou n’est toutefois pas en reste. Le rapport dénonce également les violations du droit international par la Russie, qui a laissé son armée «commettre des crimes de guerre en toute impunité», tout en durcissant la censure à l’intérieur de ses frontières. En Birmanie, les civils ont aussi payé un lourd tribut. Les bombardements de l’armée régulière ont causé la mort de plus de 4000 personnes depuis le coup d’État de 2021. Au Soudan, la situation s’est aussi dégradée avec l’éclatement d’un nouveau conflit où 14700 Soudanais auraient péri, selon un bilan qui serait bien inférieur à la réalité. Autre point commun de ces guerres : les violences sexuelles utilisées comme «armes de guerre». De manière générale, les droits des femmes se sont dégradés dans plusieurs pays, comme en Afghanistan, où elles disparaissent peu à peu de la vie publique.
« Le silence a nourri une campagne de déni dans le monde, des campagnes de haine, d’antisémitisme. Le silence a permis de répandre des mensonges », regrette Cochav Elkayam-Lévy, spécialiste israélienne du droit international et du féminisme
Dr. Cochav Elkayam-Levy parlant, à CNN, le 17 novembre 2023. (Crédit : Capture d’écran ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur les droits d’auteur)
Le « trop long silence » de l’ONU sur les viols et violences sexuelles lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre en Israël a eu « des effets dévastateurs » et a été vécu comme « une trahison », selon une spécialiste israélienne du droit international et du féminisme.
« Il leur a fallu des semaines pour réagir. Et ces semaines ont eu des effets dévastateurs », regrette Cochav Elkayam-Lévy, présidente de la Commission civile sur les crimes du Hamas contre les femmes et les enfants, une organisation indépendante créée dans le sillage de l’attaque sanglante du 7 octobre.
« La justice commence avec la reconnaissance des crimes » insiste avec émotion la juriste israélienne dans un entretien à l’AFP au siège du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) à Paris.
Les récits de témoins de viols, violences sexuelles, mutilations génitales, se sont multipliés depuis l’attaque du 7 octobre, accusations niées par le groupe terroriste islamiste palestinien, mais qui font d’ores et déjà l’objet d’enquêtes difficiles et complexes en Israël.
L’ONU et ses agences ont été vivement critiqués dans le pays, qui les accuse d’avoir réagi tardivement. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’était exprimé sur le sujet fin novembre, réclamant des enquêtes.
« Le trop long silence de l’ONU sur ces crimes a été vécu comme une trahison par les Israéliens, mais aussi comme une trahison de l’humanité », raconte Mme Elkayam-Lévy, « immensément choquée » par ce qu’elle qualifie de « déni infligé à toute une collectivité par les agences même qui sont censées faire respecter le droit international ».
« Le silence a nourri une campagne de déni dans le monde, des campagnes de haine, d’antisémitisme. Le silence a permis de répandre des mensonges », poursuit Mme Elkayam-Lévy.
Elle se trouve à Paris au moment où la représentante spéciale de l’Onu en charge des violences sexuelles en période de conflit, Pramila Patten, est en visite en Israël pour rencontrer victimes, témoins et professionnels.
Lundi soir, Mme Patten a exhorté les victimes des crimes sexuels présumés du Hamas à « briser le silence » et raconter ce qu’elles ont subi.
« Il y a des signes encourageants, l’Onu désormais mentionne ces crimes. Mais l’échec est profond, il faut de profonds changements dans le système », estime Mme Elkayam-Lévy.
« Mission historique »
Le 7 octobre, la professeure de droit israélienne est au diapason de tout un pays, sidérée, dépassée par l’ampleur de l’événement. « C’est comme si les portes de l’enfer s’étaient ouvertes devant nous. Quelque chose d’inimaginable s’est produit. Quand j’ai compris que nous faisions face à un déni, j’ai dit à mes collègues: nous avons une mission historique, il faut documenter ce qui est arrivé à ces femmes et ces enfants, créer des archives », raconte-t-elle.
Des Israéliens enlevés et emmenés à Gaza par des terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, comme le montrent les vidéos floutées des réseaux sociaux diffusées par la télévision israélienne. (Crédit : Capture d’écran de la Douzième chaîne)
A partir d’un groupe WhatsApp d’une dizaine de ses collègues juristes et autres experts, elle crée la Commission civile pour documenter « dans le respect strict des normes internationales » les tueries, tortures et violences sexuelles attribuées au Hamas.
La Commission doit publier prochainement un premier rapport préliminaire, mais Mme Elkayam-Lévy se refuse à donner des estimations sur l’ampleur de ces crimes. « Nous ne saurons jamais le nombre de victimes exact d’abus sexuels, nous ne saurons pas ce qui est arrivé aux femmes qui ont été tuées, ce qu’elles ont subi », déclare-t-elle.
Le peu de récits de survivants et l’absence d’expertise médico-légale compliquent l’évaluation de l’ampleur de ces crimes sexuels.
Mais, selon Mme Elkayam-Lévy, la parole commence à se libérer en Israël, notamment depuis la libération de premiers otages lors d’une trêve fin novembre.
« Ce sujet est de plus en plus discuté et porté à l’attention du public en Israël », affirme-t-elle.
Des manifestantes se sont rassemblées devant le siège de l’ONU à New York, le 4 décembre 2023, pour protester contre le silence de la communauté internationale à propos des violences sexuelles commises par les terroristes du Hamas contre des femmes israéliennes lors du massacre du 7 octobre. (Crédit : Carli Fogel)
Dérive de l’Iran vers le comportement US et israélien
Au-delà de l’épreuve de force à laquelle se livrent Washington et Téhéran, Thierry Meyssan met en évidence le changement profond de comportement de l’Iran. Ce pays, jadis sourcilleux sur le respect du Droit international, l’ignore aujourd’hui, rejoignant ainsi les États-Unis et Israël qui ne l’ont jamais admis.
L’Iran captait l’attention du monde entier lors de ses interventions devant les Nations Unies. Il portait haut les couleurs des peuples face à l’impérialisme. Il ne reste rien aujourd’hui de cet héritage. Le président Mahmoud Ahmadinjed à la tribune de la 65ème session de l’Assemblée générale de l’Onu, le 23 septembre 2010, remet en cause la version officielle des attentats du 11-Septembre 2001 aux USA.
Les 195 États membres de l’Onu prétendent vouloir résoudre leurs conflits sans recourir à la guerre, mais au Droit. Celui-ci repose depuis sa création par la Conférence de La Haye de 1899 sur une idée simple : de même que les particuliers —y compris les dirigeants politiques— acceptent de se préserver de la guerre civile en se soumettant au Droit national, de même les États peuvent se préserver de la guerre en se soumettant volontairement au Droit international.
Par « Droit international » j’entends les procédures qui régissent les relations entre les États, pas celles qui, de Nuremberg au TPI, légalisent le jugement des vaincus par leurs vainqueurs.
Trois membres de l’Onu affichent désormais leur incompréhension du Droit international, tandis que d’autres n’y font plus référence et, après avoir dénaturé le concept de « Droits de l’homme » [1], préfèrent un « multilatéralisme fondé sur des règles » [2].